Couverture pour Cahiers de Douai

Rimbaud, Cahiers de Douai.
Créativité et émancipation ?
Dissertation bac corrigée




Introduction



Accroche



• Mars 1870 : Rimbaud a 15 ans. Il n’aura 16 ans que le 20 octobre.
• L’un des premiers poèmes des Cahiers de Douai : « Sensation », est au futur : « j’irai loin, bien loin, comme avec une femme ».
• Après ses premières fugues, octobre 1870, il écrit déjà au passé :
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;
Oh ! là là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, « Ma Bohème » , octobre 1870.

Situation



• Les fameux Cahiers de Douai ont donc transformé le jeune homme naïf : il n’est désormais plus un « Petit Poucet rêveur ».
• La « Lettre du Voyant », le voyage avec Verlaine… les vers libres de Une Saison en Enfer et des Illuminations prouvent bien que les Cahiers de Douai sont l’histoire d’une grande émancipation…

Problématique



En quoi peut-on dire que la créativité poétique est émancipatrice dans Les Cahiers de Douai de Rimbaud ?

Annonce de plan



I. D’abord, révolte contre l’ordre établi (satire et caricature). Dénonce le Second Empire, la guerre, la Religion.
II. Mais en même temps, autodérision et regard ironique sur l’adolescence. Refus du sublime à travers une fausse simplicité.
III. Enfin, dépassement des codes littéraires et artistiques : dans les Cahiers de Douai naissance du poète voyant prométhéen.


Première partie :
Remettre en cause l’ordre dominant par la satire et la caricature



1) Remettre en cause l’ordre social



◊ EX : « La musique »
• Dimension autobiographique : peindre la place de Charleville.
• Place qui représente en petit l’ordre social de la France
− L'orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
− Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.


⇨ Tout gravite autour de l’armée, l’apparence, et l’argent.
⇨ Le poète reste à l’écart de cet ordre.

2) Donner la parole au peuple



◊ Exemple : « Le Forgeron »
• Détourne un épisode historique célèbre.
• Le forgeron montre par la fenêtre des injustices choquantes.
• Créativité : hypotypose du peuple qui se mobilise.
C’est la crapule [...]
Ils viennent maintenant hurler sous votre nez


⇨ Détourner le discours dominant qui traite le peuple de crapule.
⇨ Au contraire, rendre la parole au peuple qui hurle.

◊ Autre exemple : « Les Effarés ».
Aucun mot ne permet de rendre compte de la supplication des enfants affamés, mais c’est déjà un chant :
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,


⇨ Donner la parole à ceux qui n’en ont pas, dénoncer les injustices.

3) Dénoncer la guerre par la caricature



◊ Exemple : « L’éclatante victoire de Sarrebrück »
• Caricature belge dénonce la propagande de Napoléon III.
• La poésie renforce le pouvoir de la caricature, par la narration.
• La blague potache devient sophistiquée (rime riche et rare « equoi »).
Et : « Vive l’Empereur !! » — Son voisin reste coi… [...]
Boquillon, rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, — présentant ses derrières « De quoi ?… »


◊ Autre exemple : « Rages de Césars »
• Aussi une caricature mais déjà aussi une vision.
• Napoléon III voit ses rêves s’envoler avec la fumée de son cigare.

4) Dénoncer le discours dominant et la religion



◊ Exemple : « Le Mal »
• Inspiration, Candide de Voltaire. Double tableau :
• D’un côté la guerre effroyable qui fait des veuves et des orphelins.
• De l’autre, une Église qui s’enrichit sans vergogne.
— Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées [...]
Et se réveille, quand des mères, ramassées
Dans l’angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir,
Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir !


⇨ Mais affirmer en face de cette religion alliée au pouvoir, son propre credo, celui d’une Nature qui est véritablement sainte
— Pauvres morts ! dans l’été, dans l’herbe, dans ta joie,
Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !…


Transition



Véritable sens de l’émancipation : dépasser la critique et la caricature, pour affirmer ses propres croyances. Voire même savoir se retourner la critique, pour dépasser l’enfance et l’adolescence.


Deuxième partie :
Sortir de l’enfance et de l’adolescence en revendiquant une poésie d’une apparente simplicité



1) S’adresser à ses aînés



◊ Exemples : « Lettre à Banville » et « Soleil et chair ».
• En mai 1870, Rimbaud écrit au célèbre poète parnassien Théodore de Banville :
Voici que je me suis mis, enfant touché par le doigt de la Muse, — pardon si c’est banal, — à dire mes bonnes croyances, [...] — moi j’appelle cela du printemps. [...] Vous me rendriez fou de joie et d’espérance, si vous vouliez, cher Maître, faire faire à la pièce Credo in unam une petite place entre les Parnassiens…
Arthur Rimbaud, Lettre à Théodore de Banville, le 24 mai 1870.

⇨ On perçoit déjà l'autodérision « pardon si c’est banal ».
⇨ Projet pourtant déjà original et subversif « Credo in unam » credo chrétien au féminin : Dieu est une femme.
⇨ « Soleil et chair » : Dieu est devenu Vénus !

2) Faire évoluer son écriture



◊ Exemple : « Le Cabaret-Vert ».
• Quelques mois plus tard, Rimbaud abandonne l’univers antique pour représenter le soleil et la chair.
• C’est désormais la poitrine voluptueuse de la serveuse belge, et le bonheur simple de commander des tartines et du jambon :
Du jambon rose et blanc parfumé d’une gousse
D’ail, – et m’emplit la chope immense, avec sa mousse
Que dorait un rayon de soleil arriéré.


⇨ Débordement : l’enjambement fait apparaître la gousse d’ail et la bière, qui n’étaient pas dans sa demande.
⇨ Alchimie poétique du soleil qui transforme la bière en or.

3) Revendiquer une poésie simple comme un baiser



◊ Exemple : « La Maline ».
• Invention de l’adverbe « malinement » au lieu de « malignement ».
• La ruse de la servante est dépourvue de malignité : fausse énigme.
Fichu moitié défait, malinement coiffée [...]
Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m’aiser ;
— Puis, comme ça, — bien sûr, pour avoir un baiser, —
Tout bas : « Sens donc, j’ai pris une froid sur la joue… »


⇨ Fausse naïveté des jeunes gens. Le baiser est une métaphore de la poésie elle-même, un chant qui monte aux lèvres.

4) La poésie dépasse le théâtre et le roman



◊ Exemple : « Première Soirée ».
• Initialement, « Première soirée » était intitulée « Comédie en trois baisers ». Les baisers et les rires remplacent les répliques.
• Une poésie qui ne se fonde pas sur les mots.
• Le titre laisse supposer qu’il y aura d’autres soirées…
Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »
— Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien…


◊ Autre exemple : « Roman ».
• Inspiré de Flaubert, « Roman » présente une sorte d’Éducation Sentimentale qui refuse le sublime.
• Fin au présent de vérité générale = morale désinvolte ! Ce qui l’a mené vers l’amour est aussi ce qui l’en détache.
— Ce soir-là..., — vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade...
— On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade.


⇨ Dépasser cette désinvolture, ce serait partir au-delà des tilleuls doucereux, pour aller vers des contrées plus sauvages…

Transition



• Remettre en cause les codes littéraires conduit vers d’autres horizons : naissance d’un poète voyant et prométhéen.


Troisième partie :
Dépasser les codes littéraires et artistiques pour devenir voyant et poète prométhéen



1) Une rébellion à l’égard des codes esthétiques



◊ Exemple : « Vénus Anadyomène »
• Détourner une tradition artistique : anadyomène = émerger. Justement, le jeu de regard l’empêche d’émerger !
Puis le col gras et gris, les larges omoplates
Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;
Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;


◊ Exemple : « Le Bal des pendus »
• Dans « Le Bal des Pendus » Rimbaud reprend une tradition de Villon (poète brigand) pour faire une poésie hérétique voire sataniste.
Au gibet noir, manchot aimable,
Dansent, dansent les paladins,
Les maigres paladins du diable,
Les squelettes de Saladins.


⇨ Rimbaud est du côté des maudits, ceux qui sont rejetés par la religion, et des refusés, les réalistes comme Courbet et Manet.
⇨ La vision dévoile une vérité parfois repoussante, non esthétique.

2) Devenir poète voyant, précurseur du symbolisme



◊ Exemples : « Le Dormeur du val », « Ophélie ».
• Dans « Le Dormeur du val », La mort plane tout au long du sonnet, mais la surprise est réservée pour les dernières syllabes.
• Le poète nous invite déjà à être voyant, à découvrir par les signes combien cette mort est contre-nature.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


• Dans le poème « Ophélie », Rimbaud reprend le personnage de Hamlet de Shakespeare.
• Fantôme, elle donne des fleurs au poète, qui comprend alors l’origine de sa folie :
Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
— Et l’infini terrible effara ton œil bleu !


⇨ Le poète ou la poétesse vont chercher des vérités qui dépassent la raison et la rationalité. Émancipation qui présente des risques.

3) Libérer le lecteur d’une interprétation figée



◊ Exemples : « Le Buffet ».
• Rimbaud tente de dépasser Baudelaire : rendre le lecteur lui-même capable de visions.
— C’est là qu’on trouverait les médaillons, les mèches
De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches
Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.


⇨ Conditionnel « c’est là qu’on trouverait » : Imaginer la vie humaine entre la mèche de cheveux blonds et la mèche de cheveux blancs.
⇨ Portes du buffet = allégorie du recueil poétique, le lecteur va donner du sens aux visions que le poète lui confie.

◊ Autre exemple : « Ma Bohème ».
• Dans « Ma Bohème » : autodérision du jeune poète qui revient à la fin de ses deux cahiers sur un passé révolu :
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,
Comme des lyres, je tirais les élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur !


⇨ L’enfant, petit poucet rêveur, a quitté le conte de fées pour entrer dans le monde fantastique des visions.
⇨ Nouveau lyrisme « des élastiques » qu’il mettra en œuvre dans Les Illuminations et Une Saison en Enfer.


Conclusion



Bilan



• Dans Les Cahiers de Douai : colère et révolte à l’égard de l’ordre établi. Caricatures vivantes qui dénoncent le second Empire, la guerre contre la Prusse, la religion.
• Mais les visions les plus cruelles et intemporelles sont les plus puissantes, comme « Les Effarés » ou « Le Dormeur du val ».
• Héritier des romantiques, comme Hugo, mais aussi des réalistes comme Flaubert, Rimbaud refuse le sublime et la grandiloquence.
• La révélation du « Dormeur du val » est d’ailleurs courte, incisive, mais cette simplicité cache une grande sophistication.

⇨ En écrivant les Cahiers de Douai, Rimbaud a bouleversé à jamais la poésie française, et lui-même ne pourra plus jamais écrire de la même manière.
⇨ La « Lettre du Voyant » marque ce tournant, qui annonce « Le Bateau Ivre », puis Une Saison en Enfer et Les Illuminations.

Ouverture


Au début du XXe siècle, Apollinaire se fait voyant, rapportant ces images d’une vie qui s’écoule comme une fuite en train, ou comme le sang d’une blessure.
Les feuilles
Qu’on foule
Un train
Qui roule
La vie
S’écoule

Apollinaire, Alcools, « Automne Malade », 1913.




Robert Antoine Pinchon, Le Pont aux Anglais, soleil couchant, 1905.