Couverture pour Cahiers de Douai

Rimbaud, Cahiers de Douai.
« À la musique »
Explication linéaire.





L’étude porte sur le poème entier



Place de la Gare, à Charleville.

Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

− L'orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
− Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.

Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;

Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent : "En somme !..."

Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d'où le tabac par brins
Déborde − vous savez, c'est de la contrebande ; −

Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes...

− Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.

Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.

J'ai bientôt déniché la bottine, le bas...
− Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
− Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…




Introduction



Accroche



• Charleville-Mézière est la ville de naissance de Rimbaud.
• On y trouve d’ailleurs aujourd’hui tout un parcours qui permet de découvrir tous les lieux fréquentés par le jeune poète.
• Mais Rimbaud, brillant élève, ne rêve que de fuir cette ville de province.

Situation


• Observer le quotidien des habitants, c’est dénoncer un ordre établi, le Second Empire de Napoléon III.
• Ce poème est écrit avant la défaite de Sedan (1er septembre 1870) mais on y perçoit déjà la défaite.
• Le tableau prend vie sous le regard du poète qui caricature chaque classe sociale avec une ironie implacable.
• La musique militaire cache en fait une autre musique, celle du désir et de la liberté.

Problématique



Comment la poésie, en dénonçant l’ordre écrasant de la société, devient un terrain de liberté et d’expression des désirs ?

Mouvements pour un commentaire linéaire



L’organisation du tableau guide la structure du poème.
1) D’abord, la fanfare et le premier rang laissent deviner une société où l’ordre règne de façon implacable.
2) Mais en s’éloignant des premiers rangs, on peut se demander si toutes ces classes sociales qui paradent sont absolument sous contrôle…
3) Finalement, la figure du poète, dernière marge de la société, révèle à quels points les désirs naturels persistent sous le masque de la civilisation.

Axes de lecture pour un commentaire composé



I. La critique sociale
1) Un tableau de mœurs
2) Un ordre écrasant
3) Violence de l'ordre établi

II. Des procédés de la satire
1) Un tableau animé
2) Les effets de la caricature
3) Une ironie implacable

III. Une émancipation par la poésie
1) Persistance de la Nature
2) Un regard qui met à nu
3) Une poésie libératrice



Premier mouvement :
Une société où l’ordre règne




Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.

− L'orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
− Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.



Quelle est la cohérence de ce mouvement ?


• Chaque quatrain est constitué d’une seule phrase.
• Le premier quatrain est le seul quatrain du poème qui a des rimes embrassées.
• Rime signifiante « pelouses » et « jalouses » encadrent les éléments naturels « fleurs » et « chaleurs ».
• Le deuxième quatrain prend de la distance : de l’orchestre, le regard s’éloigne et s’attarde sur le « premier rang ».
• Les tirets longs organisent le tableau avec les indications spatiales « Au milieu … Autour ».
⇨ Présentation d’une place, de manière organisée.

En quoi ce premier mouvement annonce un tableau de mœurs ?


• Cadre temporel collectif « les jeudis soirs » (c’est à l’époque le jour de repos des enfants).
• « La place » : article défini qui en fait le lieu important de la ville.
• « Place de la gare à Charleville » paratexte ajouté à la main par Rimbaud. C’est une scène vue, comme un croquis pris sur le vif.
• « Tous les bourgeois » la classe sociale avec l’article indéfini totalisant, annonce un tableau de mœurs.
• L’importance de l’armée « orchestre militaire » qui divertit les simples bourgeois.
• Variété de bourgeois : le « gandin » est un jeune élégant, le « notaire » appartient à une bourgeoisie de notables.
⇨ Registre satirique tout de suite détectable.

En quoi ce premier mouvement annonce une société mesquine ?


• Adjectif « mesquin » ce qui est avare, se complaît dans la médiocrité. Caricature de la bourgeoisie.
• Les « pelouses » sont personnifiées par l’adjectif « mesquines » qui décrit un caractère humain (avare et médiocre).
• L’adjectif « mesquines » décrit en fait les personnages présents. Hypallage : l’adjectif déteint sur tout ce qui l’entoure.
• De même « tout est correct » logique d’hypallage.
• Le « gandin » et les « notaires » sont au « premier rang » pour être vus. Ils « paradent ».
⇨ Tout ce qui se trouve sur cette place se doit d’être correct.

Comment est dénoncée la violence de l’ordre établi ?


• « La place … pelouses » la place au singulier est découpée en parcelles au pluriel.
• Le verbe « taillée » on entend « taillée en pièces ». Participe passé de sens passif : par qui ? Jardiniers ou militaires ?
• « Square » est un terme anglais qui signifie « carré » : morceau de pelouse découpé de manière géométrique.
• Les « arbres et les fleurs » sont domestiqués, rendus « corrects ». Terme normalement utilisé pour des humains et notamment des enfants.

Comment cette violence prend-elle un caractère martial ?


• Présence de l’orchestre militaire : l’ordre est dans la musique.
• Le « fifre » est un instrument, mais fait aussi allusion à la hiérarchie militaire : « sous-fifre ».
• Les deux points ont un sens de conséquence : ce spectacle militaire explique la présence de ceux qui sont au premier rang.
• La « parade » du gandin peut aussi bien être une parade amoureuse qu’une parade militaire.
• Les « chiffres » du notaire rappellent l’importance de la gestion des patrimoines dans cette société.
⇨ La violence est exprimée à travers l’ordre imposé.

En quoi le mot « correct » est-il porteur d’ironie ?


• Le terme « correct » est emprunté au vocabulaire des bourgeois qui sont là. Leur parole est déjà présente.
• Double connotation de ce mot « correct » : positif pour le bourgeois, mais excessif, « bêtise jalouse » pour le poète.
• « Correct » de la famille des mots « corriger … correction » ce qui est naturel, sauvage, a été transformé avec violence.
• « Tout est correct » attribut du sujet « tout » est accablant.
• Les « militaires », le « gandin » et les « notaires » sont-ils si corrects que cela ?
⇨ Ironie : sous les apparences correctes, rien ne l’est vraiment…

Comment les bourgeois sont-ils caricaturés ?


• L’adjectif « poussifs » illustre la lenteur des personnages. Comme s’ils devaient être poussés : peu autonomes.
• Le verbe d’action « porter » transforme les « bêtises jalouses » en véritable objets qu’il faut porter. Peut-être que c’est cela qui les alourdit et les rend « poussifs »…
• Le possessif « leurs bêtises » attribue la bêtise à toute une classe sociale.
• Le verbe « étranglés » la chaleur les gêne pour respirer, mais on devine aussi qu’ils portent des cols et des cravates, qu’ils sont rouges et essoufflés.

Comment cette caricature est-elle rendue vivante et animée ?


• Personnification des « chaleurs » qui étranglent les bourgeois. Malin plaisir du poète qui est du côté de la Nature.
• Les « shakos » sont des chapeaux militaires : par synecdoque (la partie pour le tout) ils désignent les têtes des musiciens.
• Normalement ce sont les breloques qui pendent (bijoux attachés à une chaîne). Ici le sujet est inversé.
⇨ La caricature est très imagée et en mouvement.

En quoi le regard de Rimbaud est-il corrosif et implacable ?


• L’adjectif et le nom sont inversés : habituellement, c’est plutôt la jalousie qui est bête.
• L’adjectif « jalouses » qui rime avec « pelouses » renvoie donc logiquement à « mesquines ». L’envie est proche de l’avarice. Ce sont d’ailleurs deux péchés capitaux.
• La place « taillée » renvoie aux « chiffres » du notaire. C’est une société obsédée par l’ordre militaire et financier.
⇨ Ces termes encadrent rigoureusement les deux quatrains.



Deuxième mouvement :
Une société absolument sous contrôle ?




Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;

Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent : "En somme !..."

Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d'où le tabac par brins
Déborde − vous savez, c'est de la contrebande ; −

Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes…



Comment ce tableau est-il hiérarchisé ?


• Les « rentiers » sont les premiers : ils n’ont pas besoin de travailler pour avoir du revenu, ils sont oisifs.
• Ensuite, les « bureaux » sont les employés, accompagnés de leurs dames et de leurs domestiques.
• On peut penser aux « réparties de Nina » qui a la chance d’avoir pour fiancé un employé de bureau !
• Ensuite viennent les « épiciers » qui sont en club et retraités.
• Le « bourgeois à boutons clairs » est relégué au dernier rang, il exerce une activité malhonnête « c’est de la contrebande ».
• Cela explique sa proximité avec les « voyous ».
• Les pioupious (simples soldats) et les « bonnes » encadrent cette bonne société.
• Points de suspension : longue énumération qui n’est pas finie.
⇨ L’ordre social est extrêmement rigide.

En quoi cette peinture est-elle sociale ?


• Tous les « rentiers » ne sont pas présents « des rentiers ». Ils sont oisifs, pas obligés de sortir le jeudi soir.
• C’est le cas par contre des « bureaux » qui travaillent et sont bien tous là « les gros bureaux » l’article est défini et pluriel.
• Alors que les rentiers se contentent de critiquer la musique « soulignent tous les couacs », les « bureaux » montrent leurs femmes, avec le possessif « leurs grosses dames ».
• Les « épiciers » ne sont présentés qu’en « clubs » au pluriel, de manière collective, c’est une corporation qui est visée.
• Le « bourgeois à boutons clairs » porte un costume élégant, avec des boutons en nacre ou en ivoire.
⇨ Le niveau de richesse se traduit par des marques visibles.

En quoi la caricature devient-elle parfaitement assumée ?


• L’adjectif « gros » accompagne « bouffis » puis « grosse ». Polyptote (mot employé dans plusieurs formes grammaticales).
• L’allitération (retour de sons consonne) en B insiste encore.
• Le verbe « traîner » exprime une lenteur exagérée.
• L’image des « cornacs » est humoristique : les suivantes sont comparées à des personnes qui guident les éléphants.
• L’adjectif « officieux » prouve que le poète nous fait voir l’envers du décor, ce qui n’est pas officiel.
• La diérèse (les deux voyelles sont prononcées dans des syllabes séparées) insiste sur le mot « Offi/ci/eux ».
⇨ La poésie fournit des outils à la caricature.

En quoi ce tableau est-il, foisonnant, en mouvement ?


• La « bedaine flamande » fait référence aux tableaux de Brueghel l’ancien : revendiquer une veine satirique.
• L’enjambement nous fait voir ces « brins » de tabac qui « débordent ».
• Les « lorgnons » incarnent l’esprit très critique des rentiers.
• De même les « cannes à pomme » qui « tisonnent » font des épiciers une sorte d’État-major qui discute des traités.
⇨ L’aspect visuel révèle les tares cachées d’une société.

Comment percevons-nous au-delà des apparences ?


• Les « volants » des robes sont la partie visible. Ce sont des « réclames » : ces signes de richesse sont une publicité.
• Le déterminant démonstratif « Celles » nous laisse deviner qui sont ces personnages qui escortent les grosses bourgeoises. Des suivantes dont le nombre est encore signe de richesse.
• Le tabac, symbole de vanité (tout part en fumée) est commun à toutes les classes sociales. Les épiciers prisent, le gros bourgeois fume la pipe, les pioupious roulent du tabac.
⇨ La poésie a et le symbole un rôle révélateur.

Comment est représentée la politique dans ce passage ?


• Les « couacs » de l’orchestre militaires sont des batailles perdues. Ces « rentiers » parlent de politique à demi-mot.
• L’adverbe « sérieusement » est mis en valeur par la diérèse qui en fait un mot de cinq syllabes : la politique est un sujet sérieux.
• Le geste des épiciers « tisonnent » : symboliquement, ils alimentent un feu, une passion.
• Le verbe « discuter » est ici transitif direct. Cela donne l’impression qu’ils négocient eux-même les traités.
• La moquerie se trouve dans le discours direct aussitôt interrompu par des points de suspension « En somme… »
⇨ Les épiciers retraités se flattent de prendre des décisions qui auront un impact international !

Rimbaud tient-il un propos politiquement engagé ?


• La défaite de Sedan contre la Prusse est présente à travers les « couacs » et les « traités ».
• Rimbaud souligne que la situation, loin d’être sous contrôle, est au contraire fortement instable.
• Alors que dans le premier mouvement « tout est correct » on perçoit ici au contraire que des choses « débordent ».
• Les fameux « gazons verts » sont là depuis le début « mesquines pelouses ». Les « voyous » ne sont en fait qu’une malhonnêteté un peu plus en marge que les autres.
⇨ Rimbaud n’épargne aucune classe sociale.

Sous la société, la force de la Nature persiste


• Les « pioupious » en permission veulent séduire les nourrices (c’est la fin de la guerre franco-prussienne).
• Les « trombones » sont personnifiés, c’est un chant nuptial qui « rend amoureux ».
• Tous les CC de manière « rendus amoureux … très naïfs … fumant » conduisent à un CC de but « pour enjôler les bonnes. »
• Ironie de l’adverbe intensif « très naïfs » : ce n’est qu’une attitude surjouée par les jeunes soldats qui courtisent.
• Deux euphémismes : « rendus amoureux » et « enjôler » décrivent des militaires un peu trop entreprenants.
⇨ L’ordre social ne parvient pas à brider les passions humaines.


Troisième mouvement :
Le poète et la poésie en marge de la société




− Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.

Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.

J'ai bientôt déniché la bottine, le bas...
− Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
− Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres…



Comment le poète se présente-t-il ?


• Moment de basculement avec le tiret long puis la première personne sous sa forme tonique : « — Moi »
• Le poète arrive après les voyous et les pioupious. Il se trouve donc tout en bas de la hiérarchie sociale.
• Il n’agit pas « je ne dis pas un mot », et jusqu’à la fin, il reste objet « les baisers me viennent aux lèvres ».
⇨ Personnage en marge du tableau, il n’est pas non plus épargné par le regard ironique.

En quoi est-il tout de suite un personnage sulfureux ?


• L’adjectif « débraillé » vient de « braiel » en ancien français : la ceinture qui retient les « braies » le pantalon.
• Nous avons donc immédiatement une connotation sexuelle.
• La comparaison « comme un étudiant » indique que justement, il n’est pas un étudiant. Mais il semble étudier.
• La diérèse sur le mot « étudiant » insiste ironiquement sur l’idée qu’il étudie : il observe attentivement.
⇨ Le regard du poète n’a rien d’innocent !

Quel est le point de vue du poète ?


• Pendant un temps on peut croire qu’il utilise le verbe « être » : il serait sous les marronniers verts, à l’ombre, à l’écart.
• Mais c’est le verbe « suivre » : il regarde les filles qui se trouvent sous les marronniers. On ne sait donc pas où se trouve le poète.
• Même confusion avec le verbe « tourner » : ce ne sont pas les fillettes qui tournent, mais leurs yeux.
⇨ Jeu de regards du point de vue du poète qui interprète.

Comment s’organise le jeu de regards ?


• Alternance de la 1ère et 3e personne : « Moi » et « Elles » en tête de vers. Puis « moi » et le possessif « leurs yeux ».
• Mais le verbe « regarder » est consacré au regard du poète, qui est en mouvement.
• Le verbe « suivre » revient deux fois : d’abord un regard large « je suis les fillettes » puis plus précis « je suis le dos divin ».
• Les regards se croisent à la faveur de ces mouvements, comme le suggère la préposition « vers moi ».
⇨ Le regard du poète déshabille la jeune fille comme la société.

Est-ce que nous avons le point de vue féminin ?


• Nous n’avons accès qu’à ce que pense le poète « elles le savent bien » le point-virgule donne l’explication de cette interprétation.
• Le poète interprète les regards, mais ne sait pas exactement ce qu’ils signifient « choses indiscrètes » c’est un pantonyme (un mot volontairement imprécis).
⇨ Point de vue qui reste interne au poète.

Est-ce que les voix sont perçues ?


• Il les voit parler mais n’entend pas ce qu’elles disent, elles « se parlent tout bas ». N’oublions pas que l’orchestre joue toujours.
• Le rire des jeunes filles « riant » dans l’allitération en R.
• Les points de suspension remplacent les paroles.
• Peut-être qu’il entend le mot « drôle » qui peut avoir plusieurs sens : amusant, sympathique ou au contraire bizarre.
• Un « drôle » est un personnage dont on se méfie.
• On entend les jeunes filles « riant » à travers l’allitération en R.
⇨ Effet d’immersion pour le lecteur.

Comment sont décrits les personnages féminins ?


• Rime « fillettes … indiscrète » le poète leur prête une curiosité excessive et espiègle.
• L’adjectif « alerte » est à la fois physique et moral, elles se déplacent, et sont attentives.
• On peut croire dans un premier temps qu’elles « tournent » : le mouvement du regard est aussi un mouvement du corps.
• Les corps sont bien inscrits dans des mouvements circulaires : les « mèches folles » sont des boucles. Les épaules forment des « courbes ».
• La lettre O et les sons OU, AU, esthétisent ce passage.

Comment la description des corps est-elle esthétisée ?


• La « blancheur » des cous se confond avec celle des étoffes au point que les cheveux semblent « brodés ».
• L’habillement et la nudité se confondent : les atours sont « frêles » donc d’une certaine légèreté.
• Le terme de « courbe » renvoie à la peinture ou la sculpture.
• L’adjectif « divin » place la beauté du côté apollinien : harmonie, douceur, mesure…
• Mais la beauté « belle » est finalement associée à une « fièvre ».
⇨ Cela participe à l’intention ironique de Rimbaud.

En quoi cette description des corps est aussi dionysiaque ?


• De dionysos : dieu grec des excès et du vin. La « fièvre » du jeune poète est une ivresse des sens « je sens les baisers ».
• Les « mèches » sont « folles » mais l’adjectif est une hypallage qui peut tout aussi bien désigner les personnages, leurs regards.
• Les mèches folles brodées évoquent peut-être un masque théâtral ?
⇨ On retrouve dans ce poème une scène de mythologie grecque modernisée.

Comment évoluent ces connotations sexuelles ?


• La préposition « sous les marronniers » revient ensuite « sous les corsages ».
• Les « choses indiscrètes » semblent remplir les regards : « tout pleins » l’adverbe et l’adjectif matérialisent ces pensées.
• L’évocation des vêtements est surtout une observation de la nudité : « la chair de leurs cous blancs ».
• Le verbe « dénicher » : un oiseau que l’on sort de son nid. Il sort le pied de sa « bottine » et le mollet de son « bas ».
• Le regard descend du « cou » aux épaules pour remonter des « bottines » aux « bas ». Les points de suspension laissent entendre qu’il remonte le long de la jambe.
• La préposition « après » insiste sur cette chronologie.
⇨ Le mouvement du regard révèle les connotations sexuelles.

En quoi peut-on parler d’une poésie du désir ?


• Les « choses indiscrètes » sont décrites tout au long du poème.
• Les « mots » sont niés : ils ne sont pas prononcés. Parce qu’ils sont remplacés par le regard et la musicalité poétique.
• Les « baisers » qui viennent aux lèvres sont aussi les notes les « rimes » du poète.
• Dans « Soleil et chair » le poète renvoie à au dieu pan soufflant dans sa flûte.
⇨ On comprend alors le titre « À la musique » : Rimbaud oppose clairement la musique militaire (celle de l’ordre), et la poésie: fièvre musicale qui déborde le carcan de la société.



Conclusion



Bilan



Dans ce poème, la description d’un orchestre militaire et de ses spectateurs est surtout le prétexte à une grande fresque satirique. Les travers le cette société du Second Empire finissant sont dénoncés.

Les procédés de la caricature et de l’ironie mettent à nu une morale hypocrite, un ordre militaire violent, la vanité du pouvoir de l’argent.

Mais surtout, la poésie révèle une autre musique : espiègle et émancipatrice. Le poète rit de lui-même, mais assume aussi des désirs qui sont synonyme de vie et de liberté.

Ouverture



• On retrouve cette même posture de poète et chanteur en marge de la société bien-pensante, chez Brassens par exemple.
• Cet extrait de « La Mauvaise Réputation » est évocateur :
Le jour du 14 juillet
Je reste dans mon lit douillet
La musique qui marche au pas
Cela ne me regarde pas
Je ne fais pourtant de tort à personne
En n'écoutant pas le clairon qui sonne




Alfred-Philippe Roll, La Fête du 14 Juillet, 1882.

⇨ 💼 « À la musique » (extrait étudié mis en page au format A4 PDF)