Couverture du livre Manon Lescaut de Prévost

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Couverture pour Manon Lescaut

Prévost, Manon Lescaut
Scène du parloir
Explication linéaire



C’était elle, mais plus aimable et plus brillante que je ne l’avais jamais vue. Elle était dans sa dix-huitième année. Ses charmes surpassaient tout ce qu’on peut décrire. C’était un air si fin, si doux, si engageant, l’air de l’Amour même. Toute sa figure me parut un enchantement.
Je demeurai interdit à sa vue, et ne pouvant conjecturer quel était le dessein de cette visite, j’attendais, les yeux baissés et avec tremblement, qu’elle s’expliquât. Son embarras fut, pendant quelque temps, égal au mien, mais, voyant que mon silence continuait, elle mit la main devant ses yeux, pour cacher quelques larmes. Elle me dit, d’un ton timide, qu’elle confessait que son infidélité méritait ma haine ; mais que, s’il était vrai que j’eusse jamais eu quelque tendresse pour elle, il y avait eu, aussi, bien de la dureté à laisser passer deux ans sans prendre soin de m’informer de son sort, et qu’il y en avait beaucoup encore à la voir dans l’état où elle était en ma présence, sans lui dire une parole. Le désordre de mon âme, en l’écoutant, ne saurait être exprimé.




Introduction



Accroche


• Citation ambivalente d'Alfred de Musset :
Manon ! Sphinx étonnant ! Véritable Sirène, […]
Quelle perversité ! Quelle ardeur inouïe
Pour l’or et [...] le plaisir ! [...] Ah, folle que tu es,
Comme je t’aimerais, demain, si tu vivais !

Alfred de Musset, Namouna, 1832.

• Images de sphinx et de sirène guère élogieuses !
• Réhabiliter Manon, qu'on ne perçoit qu'à travers le regard de Des Grieux, narrateur soucieux de se justifier.

Situation


• Deuxième coup de foudre justement fortement mis en scène.
• Manon apparaît même comme une allégorie de l’amour !
• Mais jeux de regards plus complexes.

Problématique


Comment le récit de cette deuxième rencontre sollicite la sagacité d’un lecteur, touché par des personnages dont il perçoit pourtant les faux-semblants ?

Mouvements


1) Point de vue de Des Grieux, qui retrace les étapes de ce second coup de foudre.
2) Temps d’attente et de suspense : comment Manon va-t-elle réagir ?
3) Manon prend la parole, Des Grieux laisse déjà entendre qu'il ne saura pas lui résister.

Axes de lecture pour un commentaire composé


• Apparence et dissimulations.
• Des aventures romanesques.
• Les étapes d'une déchéance morale.
• Le goût du mystère.
• La sagacité du lecteur.
• Un narrateur naïf ?
• Une corruption généralisée.
• Une économie de l'ombre.
• Une satire sociale.



Premier mouvement :
Un coup de foudre supérieur au premier



C’était elle, mais plus aimable et plus brillante que je ne l’avais jamais vue. Elle était dans sa dix-huitième année. Ses charmes surpassaient tout ce qu’on peut décrire. C’était un air si fin, si doux, si engageant, l’air de l’Amour même. Toute sa figure me parut un enchantement.

Une véritable apparition


• Présentatif « C’était elle ».
• Le pronom personnel « elle » en position d’attribut du sujet.
• Sa présence provoque la scène, elle totalise l'événement.

Lien implicite entre les deux scènes de rencontre.


• Sa « dix-huitième année » = moment d’apogée.
• Roman structuré sur une période de 4 ans : cette deuxième rencontre est au milieu. Conséquences sur tout le reste du récit.
• Référence implicite au passé : « plus aimable que je ne l'avais jamais vue » (plus-que-parfait) devient « sa figure me parut » (passé-simple).

Manon au centre de l'attention


• Le présentatif revient : « c’était un air » l'attribut a changé.
• « L'air » lui-même ? Manon comme auréolée d’une lumière.
• Manon est non seulement « aimable » mais aussi « brillante ».
• La « figure » désigne le visage, ou sa physionomie / sa présence.
• On entre dans le point de vue de Des Grieux avec la première personne « sa figure me parut un enchantement. »

Un amour qui submerge


• Le lien logique d’opposition « mais » cache en fait une addition : encore plus extraordinaire, coup de foudre encore plus fort.
• Grande gradation (une augmentation en intensité).
• D’abord le comparatif de supériorité « plus aimable … plus brillante ». • Superlatif de supériorité « surpassaient tout ce qu’on peut décrire ».
• Superlatif absolu : « si fin, si doux, si engageant ».

Une résistance inutile


• Gradation des adjectifs : « finesse » (visible) « douceur » (toucher) « l’engagement » de l'esprit.
• Des Grieux sujet « je l’avais vue » devient objet « sa figure me parut ».
• « Ses charmes » revient sous forme « d’enchantement ».
• Étymologiquement, carmen = chant, sortilège, envoûtement.
• Référence au filtre d’amour de Tristan et Iseult.

Une allégorie de l'Amour


• « L’air de l’Amour même » avec la majuscule.
• Déterminant indéfini « un air si fin » c'est la personne de Manon.
• Le déterminant défini « l’air de l’Amour même » c'est l'allégorie.
• Déesse de l’amour : Vénus, une déesse dangereuse.



Deuxième mouvement :
Une réaction de Manon qui se fait attendre



Je demeurai interdit à sa vue, et ne pouvant conjecturer quel était le dessein de cette visite, j’attendais, les yeux baissés et avec tremblement, qu’elle s’expliquât. Son embarras fut, pendant quelque temps, égal au mien, mais, voyant que mon silence continuait, elle mit la main devant ses yeux, pour cacher quelques larmes.

Un moment qui dure


• Deux phrases longues avec des subordonnées.
• Verbe d'état au passé simple « je demeurai ».
• L’imparfait exprime l'immobilité « j’attendais ».
• Participe présent insiste sur la durée « ne pouvant conjecturer ».
• Complément circonstanciel de temps « pendant quelque temps ».

Un moment suspendu


• Seule action du passage au passé simple : « elle mit la main devant les yeux ». Toute l’attente converge vers cette action.
• Le subjonctif « qu’elle s’expliquât » : mode de la virtualité. Rien ne dit qu'elle va effectivement s'expliquer.
• Un silence qui se voit : « interdit à sa vue … voyant que mon silence continuait ».

Un jeu de regards


• Un silence qui se voit : « interdit à sa vue … voyant que mon silence continuait ».
• Jeu d’aveuglement : Des Grieux « yeux baissés », Manon Lescaut « main devant les yeux ».
• Seu: le lecteur (ou spectateur) garde les yeux ouverts !

Une scène de théâtre ?


• La main devant les yeux, masque : « pour cacher quelques larmes ».
• Comment le sait-on si elles sont « cachées » ?
• Déterminant indéfini « quelques » : insiste sur le doute
• Intentions cachées ? « quel était le dessein de sa visite » ?

Manon Lescaut embarrassée ?


• Première rencontre à seize ans « sans paraître embarrassée ».
• Cette fois-ci elle cache son visage : énigme de Manon.
• Des Grieux narrateur de sa propre histoire, donne un rôle ambigu à celle qui n'est plus là pour donner sa version des faits.



Troisième mouvement :
Des aveux stratégiques



Elle me dit, d’un ton timide, qu’elle confessait que son infidélité méritait ma haine ; mais que, s’il était vrai que j’eusse jamais eu quelque tendresse pour elle, il y avait eu, aussi, bien de la dureté à laisser passer deux ans sans prendre soin de m’informer de son sort, et qu’il y en avait beaucoup encore à la voir dans l’état où elle était en ma présence, sans lui dire une parole. Le désordre de mon âme, en l’écoutant, ne saurait être exprimé.

Éviter d'être condamnée à la haine


• Mots forts : « confesse … haine ».
• Mais cette haine « méritée » n’est donc pas effective.
• L’objet de cette haine est son « infidélité ».
• Manon reste destinataire de la « tendresse ».

Balance déséquilibrée


• L’aveu = cinq mots (« son infidélité méritait ma haine »)
• Le lien d'opposition « mais » introduit plusieurs propositions.
• 2 arguments « il y avait eu aussi … et il y avait beaucoup encore ».
• Effet de symétrie la « dureté » de Des Grieux rime avec « infidélité ».

Dureté de Des Grieux


• La tournure impersonnelle semble éviter l'accusation trop directe. « Il y avait eu bien de la dureté » et « il y en avait encore beaucoup ».
• Insistance avec les adverbes d'intensité « bien … beaucoup ».
• La condition + le subjonctif oblige Des Grieux à reconnaître sa dureté : « s’il était vrai que j’eusse jamais eu de la tendresse pour elle ».

Dureté et tendresse


• Déterminant indéfini « quelque tendresse » euphémisant !
• Topos du discours amoureux : la cruauté de l'amour.
• Métaphore du mot « tendresse » qui est l'antithèse de la dureté.
• Manon accuse Des Grieux d’être absurde.

Cruauté du silence


• Deuxième argument plus fort, rejoint le moment présent.
• Plus-que-parfait « il y avait eu » attente terminée.
• Imparfait « il y en avait beaucoup encore »
• L’adverbe « encore » est accusateur.
• Des Grieux doit prendre une décision…

Retour à la narration de Des Grieux


• « Le désordre de mon âme ne saurait être exprimé » conditionnel présent, présent de la narration.
• Prétérition : émotion exprimée en la disant impossible à exprimer.
• Est-ce vraiment impossible à dire ? Hyperbole : figure d’exagération.
• Point de vue de Des Grieux « en l’écoutant » il a les yeux baissés.

Une touche de théâtralité


• « La voir dans l'état où elle est » : quel est cet état ?
• Elle sait pourtant que Des Grieux ne la voit pas…
• Manon adopte un « ton timide » : didascalie au théâtre ?
• Manon actrice mais Des Grieux dramaturge et metteur en scène : il fait tout pour justifier qu'il cède aux charmes de Manon.


Conclusion



Passage virtuose qui fait coexister 3 stratégies


• Manon souhaite être pardonnée et retrouver son amant
• Des Grieux sur le point de céder, se justifie sans cesse
• L’auteur lui-même laisse des zones d’ombres pour éveiller le regard critique du lecteur.

[...]



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Maurice Leloir, Illustration pour la scène du parloir dans Manon Lescaut, 1885.

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