Rabelais, Gargantua
Chapitre 13
Explication linéaire

Extrait étudié

Je me torchai, dit Gargantua, d’un couvre-chef, d’un oreiller, d’une pantoufle, d’une gibecière, d’un panier. Mais quels déplaisants torche-culs ! Puis d’un chapeau, et notez que les chapeaux sont les uns ras, les autres velus, les autres veloutés, les autres en taffetas, les autres satinés. Le meilleur de tous est celui de fourrure. Car il enlève très bien la matière fécale.
Puis me torchai d’une poule, d’un coq, d’un poulet, de la peau d’un veau, d’un lièvre, d’un pigeon, d’un cormoran, d’un sac d’avocat, d’un capuchon, d’une coiffe, d’un leurre emplumé.
Mais en conclusion je dis et maintiens qu’il n’y a pas de torche-cul supérieur à un oison bien en duvet, pourvu qu’on lui tienne la tête entre les jambes. Et vous pouvez me croire sur mon honneur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirifique, tant de la douceur de ce duvet que de la douce chaleur de l’oison, qui se communique facilement au boyau culier et autres viscères, jusqu’à monter à la région du cœur et du cerveau.
Et ne pensez pas que la béatitude des héros et demi-dieux des Champs-Élysées vient de leur asphodèle ou de leur ambroisie, ou du nectar, comme disent les vieilles d’ici. Elle est, selon mon opinion, qu’ils se torchent le cul d’un oison. Et telle est l’opinion de Maître Jean Duns Scot.

Introduction

Accroche

Un roman comparé aux Silènes des apothicaires.
• L’apparence grotesque = sujet trivial et humour bouffon.
• Aborder en fait des sujets plus sérieux.

Situation

Siècle très religieux :
• Se débarrasser de la saleté = se débarrasser du mal.
• La merde = les péchés.

Le jeune géant multiplie les expérimentations :
• Sélectionner les meilleurs critères.
• Tester par une expérience directe.
• Retenir les meilleures hypothèses et invalider les autres.

Questions qui passionnent les humanistes :
• Pédagogie, religion et de société
• Exprimé dans un langage symbolique.
• Métaphores variées : oiseaux, chapeaux, demi-dieux.

Problématique

Quels sont les messages et les questionnements de grande valeur que Rabelais cache à l’intérieur de cette anecdote grotesque ?

Mouvements de l'explication linéaire

1) Une expérimentation comique.
2) Une conclusion fantaisiste ?
3) Vers un sujet élevé.

Axes de lecture pour un commentaire composé :

• Des principes humanistes.
• Des symboles cachés.
• Les fonctions du rire.
• Impliquer le lecteur.
• Religion et société.
• Une méthode expérimentale.

Premier mouvement
Une expérimentation comique

Je me torchai, dit Gargantua, d’un couvre-chef, d’un oreiller, d’une pantoufle, d’une gibecière, d’un panier. Mais quels déplaisants torche-culs ! Puis d’un chapeau, et notez que les chapeaux sont les uns ras, les autres velus, les autres veloutés, les autres en taffetas, les autres satinés. Le meilleur de tous est celui de fourrure. Car il enlève très bien la matière fécale.
Puis me torchai d’une poule, d’un coq, d’un poulet, de la peau d’un veau, d’un lièvre, d’un pigeon, d’un cormoran, d’un sac d’avocat, d’un capuchon, d’une coiffe, d’un leurre emplumé.

D’abord, l’énumération semble hétéroclite, sans ordre :
• De la tête « couvre-chef, oreiller » aux pieds « pantoufle »
• Du vêtement au sac « gibecière, panier »
• Ordre chronologique ? « puis »
• Symbolique ? Il insiste sur la tête « chapeau ».

On devine les hypothèses :
• Quel critère ? La fonction de l’objet, son emplacement ?
• Non, un critère ressort en particulier : la douceur…
• Ce qui est « déplaisant » est éliminé (avec exclamations).
⇨ Pour Rabelais, la science doit être guidée par ce qui fait du bien.

Nous revivons l’expérimentation avec Gargantua :
• Impératif à la deuxième personne « notez que »
• Alternative « les uns … les autres ».
• Lien logique de cause : « car il enlève ».
• Intensité « très bien ».

Incongruité comique de certains objets :
• Un sac d’avocat (appartenant à un avocat)
• Un cormoran (oiseau qui vit normalement au bord de la mer)

Progressivement vers une dimension symbolique :
• Cuir, fourrure et plume sont des matières vivantes.
• Les affaires juridiques « sac d’avocat » sont la merde de ce monde.
• Le « capuchon » renvoie aux moines qui lavent les péchés du monde.
⇨ Le jeune Gargantua est intelligent, il invente une nouvelle méthode.

Deuxième mouvement
Une conclusion fantaisiste ?

Mais en conclusion je dis et maintiens qu’il n’y a pas de torche-cul supérieur à un oison bien en duvet, pourvu qu’on lui tienne la tête entre les jambes. Et vous pouvez me croire sur mon honneur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirifique, tant de la douceur de ce duvet que de la douce chaleur de l’oison, qui se communique facilement au boyau culier et autres viscères, jusqu’à monter à la région du cœur et du cerveau.

Gargantua est très sérieux malgré le fond qui semble fantaisiste.
• Livrer des conclusions de manière explicite « en conclusion ».
• Insistance sur la première personne « je dis, je maintiens ».
• Présent de vérité générale « il n’y a pas » .
• Il inclut le lecteur « pourvu qu’on lui tienne la tête ».
• Méthode inductive : du particulier au général.

Que nous révèle ce choix final de l’oison ?
• Nous faire rire car ce n’est pas pratique ni facile à trouver.
• Référence aux bestiaires médiévaux : les animaux sont toujours associés à un sens symbolique.
• Exemple de traité symbolique sur les oiseaux De Avibus d’Hugues de Fouilloy.

Quel sens symbolique trouver à l’oison retenu par Gargantua ?
• L’oiseau, proche du ciel, est un symbole spirituel (âme ou Saint-Esprit)
• L’oison, encore jeune, porte l’innocence.
• Il est comparable au moine, qui devrait être actif et non oisif.
• Rabelais a lui-même été moine et médecin.

Les effets de ce torche-cul vont plus loin qu’un simple nettoyage :
• Curatifs, ils touchent à la fois le cœur et le cerveau.
• Les organes désignent le siège des passions et de l’intelligence.
⇨ Le corps ne fonctionne jamais sans l’âme.

Registre burlesque ici :
• Termes familiers pour parler d’un sujet élevé.
• Catharsis selon Aristote : purger l’âme par le spectacle des passions.
• Sauf qu’ici, Rabelais purge nos passions mauvaises par le rire.
• Double aspect comique / sérieux : comme les silènes du prologue.

Troisième mouvement
Vers un sujet élevé

Et ne pensez pas que la béatitude des héros et demi-dieux des Champs-Élysées vient de leur asphodèle ou de leur ambroisie, ou du nectar, comme disent les vieilles d’ici. Elle est, selon mon opinion, qu’ils se torchent le cul d’un oison. Et telle est l’opinion de Maître Jean Duns Scot.

Le sujet est bien plus élevé qu’il n’y paraissait d’abord :
• Héros et de Demi-dieux
• Genres les plus nobles (mythologie, épopée, tragédie)
• Contraste fort bas / élevé, comique et révélateur.

Contredire une idée reçue :
• Négation très ferme avec l’impératif : « ne pensez pas »
• L’asphodèle, l’ambroisie, le nectar sont des ingrédients magiques.
• « se torcher le cul » = savoir corriger ses défauts.

Vers un apologue (petite histoire qui transmet une idée morale)
• Autre genre proche de l’apologue, plus biblique : la parabole.
• Il ne tient qu’à nous, chaque être humain, de grandir.
• Devenir des géants = des héros, des demi-dieux.

Question la plus importante du roman :
• Comment se débarrasser de la merde de ce monde ?
• Comment se débarrasser du péché ?
• Idées reçues : par la magie (confession, indulgences, récitations)
• Véritable solution : apprendre à se corriger (libre-arbitre).

Un débat théologique :
• « Maître Jean Duns Scot » théologien très connu à l’époque.
• Le philosophe le plus érudit n’est pas plus avancé que Gargantua !
⇨ Cette réflexion concerne tous les êtres humains.

Question qui dépasse la théologie :
• Quel savoir, quelle éducation pour l’être humain de demain ?
• Quelle organisation de la société nous rend meilleurs ?
⇨ Réponse à la fin du roman avec l’abbaye de Thélème.

Conclusion

• Humour et thèmes triviaux qui amènent à des réflexions élevées.
• Éléments symboliques qui portent un sens caché.
• Question religieuse reliée à d’autres questions plus concrètes.
• Éducation, pédagogie, expérience directe du monde.
• Penseurs humanistes dissimulés dans l’anecdote.
• Le prologue nous avait déjà invité à lire entre les lignes.
• L’abbaye de Thélème nous donnera la clé de lecture.