Couverture du livre Juste la fin du monde de Lagarce

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Couverture pour Juste la fin du monde

Juste la Fin du monde (II.2)
Jean-Luc Lagarce
— Explication linéaire —




Extrait étudié



Tu es là devant moi,
je savais que tu serais ainsi, à m’accuser sans mot,
à te mettre debout devant moi à m’accuser sans mot,
et je te plains, et j’ai de la pitié pour toi, c’est un vieux mot,
mais j’ai de la pitié pour toi,
et de la peur aussi, et de l’inquiétude,
et malgré toute cette colère, j’espère qu’il ne t’arrivera rien de
mal,
et je me reproche déjà
(tu n’es pas encore parti)
Le mal aujourd’hui que je te fais.

Tu es là,
tu m'accables, on ne peut plus dire ça,
tu m'accables,
tu nous accables,
je te vois, j'ai encore plus peur pour toi que lorsque j'étais
enfant,
et je me dis que je ne peux rien reprocher à ma propre
existence,
qu'elle est paisible et douce
et que je suis un mauvais imbécile qui se reproche déjà d'avoir
failli se lamenter,
alors que toi,
silencieux, ô tellement silencieux,
bon, plein de bonté,
tu attends, replié sur ton infinie douleur intérieure dont je ne
saurais pas même imaginer le début du début.
Je ne suis rien,
je n'ai pas le droit,
et lorsque tu nous quitteras encore, que tu me laisseras,
je serai moins encore,
juste là à me reprocher les phrases que j'ai dites,
à chercher à les retrouver avec exactitude,
moins encore,
avec juste le ressentiment,
le ressentiment contre moi-même.



Introduction



Accroche


• Mémoire de Philosophie de Jean-Luc Lagarce :
Le dramaturge joue les « francs-tireurs », refusant d’entrer dans l’institution que les siècles passés ont construite autour du théâtre : il est désormais de son devoir de démonter et de démontrer les mécanismes de la supercherie.
Jean-Luc Lagarce, Théâtre et pouvoir en occident, 1980-2011.

• Retrouver cela dans Juste la fin du Monde.
• Dénoncer les supercheries d’un personnage tragique.

Situation


• Antoine nous oblige à poser un nouveau regard sur Louis.
• Point culminant de la pièce, confrontation des deux frères.
• Scène sans cesse rejouée : le départ de Louis.
• Mais cette fois les rôles sont bouleversés.

Problématique


Comment Jean-Luc Lagarce utilise-t-il ce drame familial pour rendre visible les stratagèmes du personnage tragique ?

Mouvements du commentaire linéaire


1) Des accusations en miroir.
2) faire tomber les masques.
3) Des reproches prémonitoires.

Axes de lecture du commentaire composé


• Révélation et dénonciation.
• Une crise familiale.
• Au-delà des mots.
• Le poids du passé.
• Le bouleversement des rôles.
• Tragique jusqu’au bout.


Premier mouvement :
Des accusations en miroir



Tu es là devant moi,
je savais que tu serais ainsi, à m’accuser sans mot,
à te mettre debout devant moi à m’accuser sans mot,
et je te plains, et j’ai de la pitié pour toi, c’est un vieux mot,
mais j’ai de la pitié pour toi,
et de la peur aussi, et de l’inquiétude,
et malgré toute cette colère, j’espère qu’il ne t’arrivera rien de
mal,
et je me reproche déjà
(tu n’es pas encore parti)
Le mal aujourd’hui que je te fais.


Dénoncer des accusations sans mots


• « Accusations sans mots » oxymore (association d’idées).
• Verbe d’état « tu es là » suffit à accuser.
• Périphrase (dire la même chose en plusieurs mots) « te mettre debout ». Épanorthose : reformuler pour mieux dire.
• Étymologie du latin sto, stare (= se tenir) donne aussi « statue ».

Allusion aux reproches cachés de Louis


• Précaution oratoire « je ne t’en veux pas, mais … ».
• Les mots laissent place à une sensation « mal à l’aise ».
• Dénégations « Il n’a pas été brutal »
• Louis joue bien la surprise.

Un acteur de tragédie


• Allitération en P souligne trois mots « plainte, pitié, peur ».
• Ce sont les émotions qui définissent la tragédie chez Aristote.
• Antoine semble conscient de la référence : « c’est un vieux mot ».
• Louis serait le Héros d’une tragédie ?

Bouleversement des rôles


• Démonstratif qui donne le ton de sa propre réplique « cette colère ».
• Antoine acteur qui regarde (spectateur) et met en scène sa colère.
• Voix pronominale « je me reproche déjà » : il juge ses propres actes.
• Est-il à la fois bourreau et victime ?

Annonce la fin prochaine


• Euphémisme caché « tu n’es pas encore parti » (= mort ?)
• Ironie tragique : allusion au destin fatal des personnages.
• Parenthèse pour énoncer une certitude.
• Antoine se reproche « le mal » qui sera la cause du départ de Louis.
• Louis n’annonce pas : pour épargner ou pour accabler ?

Deuxième mouvement :
Faire tomber les masques



Tu es là,
tu m'accables, on ne peut plus dire ça,
tu m'accables,
tu nous accables,
je te vois, j'ai encore plus peur pour toi que lorsque j'étais
enfant,
et je me dis que je ne peux rien reprocher à ma propre
existence,
qu'elle est paisible et douce
et que je suis un mauvais imbécile qui se reproche déjà d'avoir
failli se lamenter,
alors que toi,
silencieux, ô tellement silencieux,
bon, plein de bonté,
tu attends, replié sur ton infinie douleur intérieure dont je ne
saurais pas même imaginer le début du début.


Théâtre dans le théâtre


• Antoine révèle en quoi Louis a un aspect Tartuffe.
• Déictique (référence à la situation d’énonciation) « tu es là ».
• Présent d’énonciation « je te vois ».

Antoine rejoint les spectateurs


• Spectatrices silencieuses : la mère, Suzanne et Catherine.
• Première personne du singulier « tu m’accables ».
• Première personne du pluriel « tu nous accables ».
• Épanorthose : reformuler pour mieux dire « on ne peut plus dire ça ».
• Le pronom indéfini « on » semble aussi inclure le public.

L’émotion devient sensation


• Le verbe « accabler » a remplacé le verbe « accuser »
• Poids, fardeau de la culpabilité.
• Les Erynies accablent Oreste dans la mythologie.

Accusation directe


• Silence de Louis, phrases courtes d’Antoine
• Anaphore rhétorique « Tu … Tu … »
• Paronomase qui fait entendre « Tu nous tue » ?
• Idée présente dès le prologue : abandon = meurtre.

Poids du passé


• Comparaison avec le passé « Lorsque j’étais enfant ».
• Répétition d’un schéma passé (éternel retour nietzschéen ?)
• Accumulation des fois précédentes de plus en plus cruelle.
• Comparatif de supériorité « encore plus peur ».
• Ce principe de l’épanorthose organise l’intrigue elle-même !

Antoine refuse le rôle tragique


• Antoine entre dans un monologue « et je me dis que … »
• On frôle le lyrisme « qui se reproche d’avoir failli se lamenter »
• Lyrisme : expression musicale d’une douleur personnelle.
• Les Héros tragiques (Phèdre) utilisent souvent ce registre.

Dénoncer les artifices du théâtre


• « Imbécile » étymologiquement, celui qui n’utilise pas de béquille.
• Symboliquement, il refuse d’utiliser des artifices.
• Opposition avec son frère « alors que toi ».
• Même le silence de Louis est lyrique « Ô tellement silencieux ».

Confrontation des deux frères


• Ironie féroce d’Antoine « imaginer le début du début »
• Hyperboles de plus en plus exagérées « ton infinie douleur ».
• « Bon, plein de bonté » : bonté excessive qui rappelle celle de Tartuffe.

La tragédie persiste


• Ironie tragique parce que Louis, qui jouait la tragédie, est condamné.
• La Malade Imaginaire est véritablement tombé malade.
• Dans son journal, Jean-Luc Lagarce par le du Malade Imaginaire :
Au milieu de la scène entre les deux frères [...] à l'instant essentiel :
« que faire quand on est malade… ?
— Rien, mon frère. [...]
Les larmes me vinrent aux yeux.


Troisième mouvement :
Des reproches prémonitoires



Je ne suis rien,
je n'ai pas le droit,
et lorsque tu nous quitteras encore, que tu me laisseras,
je serai moins encore,
juste là à me reprocher les phrases que j'ai dites,
à chercher à les retrouver avec exactitude,
moins encore,
avec juste le ressentiment,
le ressentiment contre moi-même.


Antoine semble deviner ce qui va se passer


• Verbe « quitter » euphémisme pour désigner la mort.
• Comme la pythie antique : la prophétie prend un sens différent quand on découvre le destin réel des personnages.
• Épanorthose : « quitter » devient « laisser ». C’est un départ volontaire.

Revivre la crise familiale passée


• Répétition de l'adverbe « encore » (trois fois comme un refrain).
• Effet de boucle où la prolepse (qui annonce la suite) devient analepse (retour dans le passé).
• Première personne du pluriel « tu nous quitteras encore »
• Première personne du singulier « tu me laisseras ».
⇨ La colère d’Antoine provient d’un amour malmené.

L’abence est tout


• Antoine : « je ne suis rien, je n'ai pas le droit »
• Cela sous-entend que Louis au contraire est tout
• Références à la bible : Parabole du fils prodigue, Caïn et Abel…
• Dans la modernité : l’absence de Dieu est comme un abandon.
• Celui qui est présent se sent diminué « je serai moins encore ».

Une dimension métaphysique


• Le mot « juste » est celui du titre : il s’applique à Antoine ?
• Tragédie du ressentiment et de la culpabilité.
• Quel est le sort de ceux qui survivent à la fin du monde ?
• Chez Beckett : errance d’êtres humains qui attendent Dieu.
• Chez Lagarce : personnages qui assistent au départ du dramaturge.


Conclusion



• Point culminant de la pièce qu’on peut lire à plusieurs niveaux.
• Drame familial : le conflit entre deux frères
• Démystification de la tragédie.
• Réflexion métaphysique sur l’absence de Dieu.
• Lagarce pense probablement à des concepts nietzschéens comme le ressentiment ou l’éternel retour.

[...]



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Décor imaginaire pour la deuxième partie de Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce.

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