Louis-Ferdinand CĂ©line
Voyage au bout de la Nuit
Explication linéaire
Partie 4 chapitre 20
Extrait étudié
Ce matin-là , j'ai rencontré Bébert sur le trottoir, il gardait la loge de sa tante partie dehors aux commissions. Lui aussi soulevait un nuage du trottoir avec un balai, Bébert.
Qui ne ferait pas sa poussiÚre dans ces endroits-là , sur les sept heures, passerait pour un fameux cochon dans sa propre rue. Carpettes secouées, signe de propreté, ménage bien tenu. ça suffit. On peut puer de la gueule, on est tranquille aprÚs ça. Bébert avalait toute celle qu'il soulevait de poussiÚre et puis celle aussi qu'on lui envoyait des étages. Il arrivait cependant aux pavés quelques tùches de soleil mais comme à l'intérieur d'une église, pùles et adoucies, mystiques.
BĂ©bert m'avait vu venir. J'Ă©tais le mĂ©decin du coin, Ă l'endroit oĂč l'autobus s'arrĂȘte. Teint trop verdĂątre, pomme qui mĂ»rira jamais BĂ©bert. Il se grattait et de le voir, ça m'en donnait Ă moi aussi envie de me gratter.
C'est que, des puces j'en avais, c'est vrai, moi aussi, attrapé pendant la nuit au-dessus des malades. Elles sautent dans votre pardessus volontiers parce que c'est l'endroit le plus chaud et le plus humide qui se présente.
On vous apprend tout ça à la faculté.
BĂ©bert abandonna sa carpette pour me souhaiter le bonjour. De toutes les fenĂȘtres on nous regardait parler ensemble.
Tant qu'il faut aimer quelque chose, on risque moins avec les enfants qu'avec les hommes, on a au moins l'excuse d'espérer qu'ils seront moins carnes que nous autres plus tard. On ne savait pas.
Sur sa face livide dansotait cet infini petit sourire d'affection pure que je n'ai jamais pu oublier. Une gaieté pour l'univers.
Peu d'ĂȘtres en ont encore un petit peu aprĂšs les vingt ans passĂ©s de cette affection facile, celle des bĂȘtes. Le monde n'est pas ce qu'on croyait ! VoilĂ tout ! Alors, on a changĂ© de gueule ! Et comment ! Puisqu'on s'Ă©tait trompĂ© ! Tout de la vache qu'on devient en moins de deux ! VoilĂ ce qui nous reste sur la figure aprĂšs vingt ans passĂ©s ! Une erreur ! Notre figure n'est qu'une erreur.
Introduction
Ferdinand Bardamu poursuit son expérience initiatique vers le bas, toujours plus profondément dans la nuit, c'est-à -dire dans la découverte horrifiée de la nature humaine.
Dans la quatriÚme partie, notre personnage narrateur est devenu médecin, il s'est installé en région parisienne, à la Garenne-Rancy, lieu imaginaire qui se nourrit de noms existants. Rancy provient sans doute de Drancy, en ßle de France, mais il évoque surtout l'adjectif rance : quelque chose qui, en vieillissant, est devenu sale et malodorant.
La puanteur et la poussiÚre représentent bien les commérages qui entachent le voisinage, et parmi lesquels émerge l'innocence de ce personnage de Bébert. C'est l'un des rares personnages innocents, et positifs du Voyage au Bout de la Nuit, mais cette scÚne de rencontre annonce déjà sa maladie, et l'impuissance du narrateur à le sauver.
Problématique
Comment cette scÚne de rencontre, annonçant déjà le destin du personnage, illustre une réflexion pessimiste sur la vulnérabilité de l'innocence humaine ?
Axes de lecture pour un commentaire composé :
> Cette scÚne de rencontre révÚle tout de suite un lien privilégié entre le narrateur et le personnage de Bébert.
> La pureté de l'enfant est opposée à la saleté des commérages de banlieue.
> La métaphore de la lumiÚre annonce le destin du personnage.
> Une réflexion pessimiste sur la nature humaine et l'utilité du savoir.
> Le traumatisme de la guerre incarné dans l'image finale des gueules cassées.
â Super : voir les conditions pour accĂ©der Ă tout ! â