Louis-Ferdinand CĂ©line
Voyage au bout de la Nuit
Explication linéaire
Partie 1 chapitre 2
Extrait étudié
Le colonel, câĂ©tait donc un monstre ! Ă prĂ©sent, jâen Ă©tais assurĂ©, pire quâun chien, il nâimaginait pas son trĂ©pas ! Je conçus en mĂȘme temps quâil devait y en avoir beaucoup des comme lui dans notre armĂ©e, des braves, et puis tout autant sans doute dans lâarmĂ©e dâen face.
Qui savait combien ? Un, deux, plusieurs millions peut-ĂȘtre en tout ? DĂšs lors ma frousse devint panique. Avec des ĂȘtres semblables, cette imbĂ©cillitĂ© infernale pouvait continuer indĂ©finiment⊠Pourquoi sâarrĂȘteraient-ils ? Jamais je nâavais senti plus implacable la sentence des hommes et des choses.
Serais-je donc le seul lĂąche sur la terre ? pensais-je. Et avec quel effroi !⊠Perdu parmi deux millions de fous hĂ©roĂŻques et dĂ©chaĂźnĂ©s et armĂ©s jusquâaux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en autos, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, Ă genoux, creusant, se dĂ©filant, caracolant dans les sentiers, pĂ©taradant, enfermĂ©s sur la terre, comme dans un cabanon, pour y tout dĂ©truire, Allemagne, France et Continents, tout ce qui respire, dĂ©truire, plus enragĂ©s que les chiens, adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragĂ©s que mille chiens et tellement plus vicieux ! Nous Ă©tions jolis ! DĂ©cidĂ©ment, je le concevais, je mâĂ©tais embarquĂ© dans une croisade apocalyptique.
Introduction
En 1911, Louis-Ferdinand Destouches s'engage au 12e cuirassiers de Rambouillet. Il sera mobilisĂ© en 1914 pendant la Grande Guerre. GriĂšvement blessĂ© au bras lors d'une mission oĂč il s'est portĂ© volontaire, il sera rĂ©formĂ©. Cet acte de bravoure lui vaudra la mĂ©daille militaire et une page entiĂšre dans LâIllustrĂ© National !
Au vu de cette anecdote, Céline n'est pas du tout un soldat comme Bardamu, le narrateur de Voyage au Bout de la Nuit ! Le personnage du roman, antihéros entraßné malgré lui dans ses missions, n'est pas un double autobiographique de l'écrivain, il en est plutÎt le porte-parole du pessimisme.
CĂ©line racontait souvent qu'il avait Ă©tĂ© blessĂ© Ă la tĂȘte et trĂ©panĂ© pendant la guerre, ce fait n'a jamais Ă©tĂ© attestĂ©. Mais cette histoire exprime bien que la guerre fut vĂ©ritable un traumatisme pour CĂ©line. L'expĂ©rience de la guerre a un rĂŽle fondateur dans la vision du monde trĂšs sombre qu'on peut lire dans son Ćuvre.
Dans notre extrait, Bardamu réalise pour la premiÚre fois l'horreur de la guerre dans toute son étendue. C'est un moment de basculement. Jusqu'ici, il voyait bien des soldats mourir, mais cette fois-ci, la compréhension est plus globale, plus profonde : en voyant l'inconscience de son colonel, Bardamu réalise que la bravoure est à l'origine d'un mécanisme tragique qui va mener implacablement toute l'humanité à sa perte.
Le tableau dĂ©peint par CĂ©line est effarant : la premiĂšre guerre mondiale apparaĂźt bien comme la premiĂšre guerre moderne, oĂč les moyens techniques de la sociĂ©tĂ© industrielle sont mis au service de la destruction.
Problématique
Comment Céline parvient-il à montrer l'absurdité tragique de la guerre moderne à travers un témoignage ironique qui renverse les valeurs habituelles du registre épique ?
Axes de lecture pour un commentaire composé :
> L'écart entre le point de vue du narrateur et celui du colonel désigné comme un monstre.
> Un narrateur antihéros qui réhabilite la lùcheté et renverse les valeurs.
> Un mouvement implacable et tragique.
> Un registre épique qui dénonce l'armée.
> Un témoignage ironique de l'absurdité des combats.
> La dénonciation des horreurs de la guerre moderne.
> Une prise de conscience traumatisante, fondatrice du pessimisme célinien.
â Super : voir les conditions pour accĂ©der Ă tout ! â