Couverture pour Discours de la servitude volontaire

Étienne de La Boétie,
Discours de la Servitude volontaire, 1577.
Abrégé et expliqué.




Je vous propose de découvrir avec moi le célèbre Discours de la servitude Volontaire de La Boétie, l'un des textes de philosophie politique qui a le plus marqué l'histoire de idées, ayant influencé les penseurs révolutionnaires, mais aussi, les tyrans eux-mêmes…

Introduction



Il y a plus de 450 ans, à la fin du XVIe siècle, à une époque où le système féodal était dominant, et où les monarchies se consolidaient… La Boétie, très jeune homme (qui devait avoir entre 16 et 18 ans), entreprend de chercher et de comprendre comment les peuples pouvaient se laisser dominer et même maltraiter par des tyrans.

Ce texte Ă©tait dĂ©jĂ  subversif alors, et ils continue de l'ĂŞtre aujourd'hui, d'abord parce qu'elle associe deux idĂ©es contradictoires : la soif de libertĂ©, naturelle, lĂ©gitime, laisse pourtant la place Ă  une servitude volontaire, c'est-Ă -dire, consentie…

Ce titre nous intrigue parce que c'est un oxymore : l'alliance de deux idĂ©es contradictoires. Ou du moins un paradoxe : une association d'idĂ©es inhabituelle. Comment la servitude pourrait-elle ĂŞtre dĂ©sirable ?

Je vais retracer le discours de La Boétie, dans l'ordre, en citant régulièrement le texte lui-même, tout en l'expliquant. C'est une véritable lecture accompagnée, décryptée au fur et à mesure. Le discours de La Boétie se présente un grand développement. Pour faciliter la compréhension, je vais le découper en sept grandes parties.

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1. Le constat de la tyrannie



On pourrait appeler la première partie du discours de la servitude volontaire : « Le constat de la tyrannie Â», parce que La BoĂ©tie s'Ă©tonne de voir partout les peuples obĂ©ir comme par magie Ă  un seul homme.

La BoĂ©tie commence son Discours en citant Ulysse, personnage de l'Iliade d'Homère :
« Il n’est pas bon d’avoir plusieurs maîtres ; n’en ayons qu’un seul. »

La BoĂ©tie comprend Ulysse : il s'agissait alors de crĂ©er une cohĂ©sion au sein d'une armĂ©e grecque divisĂ©e. Nul besoin d'avoir plusieurs chefs… Mais il s'interroge encore : la puissance d'un seul est-elle pour autant souhaitable ?

Au contraire, rĂ©pond-il : cela ouvre la voie Ă  la tyrannie…
N’est-ce pas un extrême malheur que d’être assujetti à un maître de la bonté duquel on ne peut jamais être assuré [...] Et obéir à plusieurs maîtres, n’est-ce pas être autant de fois extrêmement malheureux ?

Ainsi, La Boétie se demande si la monarchie, qui concentre tout le pouvoir dans les mains d'une seule personne, peut vraiment gérer efficacement des affaires publiques, collectives...

Mais une question se pose mĂŞme avant celle-lĂ  : comment expliquer cette tendance Ă  obĂ©ir Ă  un roi, parfois mĂŞme lorsqu'il se rĂ©vèle ĂŞtre un tyran (qui exerce un pouvoir oppressif).
Comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un tyran seul ?

Dans ce dĂ©but de discours, La BoĂ©tie reste dans le constat, il se montre Ă©tonnĂ© : souvent le tyran n'a mĂŞme pas besoin d'avoir recours Ă  la force ! Quelle Ă©trange chose de voir ces millions d'hommes obĂ©ir Ă  un seul, comme par magie :
Non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le nom d’un seul homme

La BoĂ©tie admet que les habitants d'un pays pourraient reconnaĂ®tre quelque grand personnage qui ait fait concrètement la preuve de sa bontĂ© et de son courage, mais ce n'est pas ce qu'il constate en rĂ©alitĂ© :
Mais ô grand Dieu ! qu’est donc cela ? Comment appellerons-nous ce vice, cet horrible vice ? [...] voir un nombre infini d’hommes [...] non pas être gouvernés mais tyrannisés, [...] Souffrir les rapines, [...] non d’une armée, [...] mais d’un seul ; [...] souvent le plus lâche, [...] de la nation,

2. Une liberté à portée de main



Une deuxième partie du Discours de la Servitude volontaire pourrait s'intituler « Une libertĂ© Ă  portĂ©e de main Â», parce que La BoĂ©tie nous explique qu'il ne s'agit pas tant de conquĂ©rir notre libertĂ©, que de refuser la servitude.

D'abord, la Boétie fait remarquer que, de deux armées qui s'affrontent, celle qui serait animée du désir de liberté aurait un plus grand courage, et plus de chances de gagner que celle qui aurait pour seul motif la convoitise.

Il cite alors les guerres que les Grecs ont remportĂ©es contre les Perses (guerres mĂ©diques) :
Mais aussi, dans ces glorieuses journĂ©es, c’était moins la bataille des Grecs contre les Perses que la victoire de la libertĂ© sur la domination, de l’affranchissement sur l’esclavage !

Mais ensuite, la BoĂ©tie va plus loin dans son raisonnement, avec cette simple idĂ©e : le plus souvent, la libertĂ© ne demande pas tant de courage qu'on ne l'imagine, et ce n'est pas la lâchetĂ© qui explique la soumission des peuples : il faut chercher ailleurs la cause de leur servitude :
S’il lui coûtait quelque chose pour recouvrer sa liberté, je ne l’en presserais point ; [...] je n’exige pas de lui une si grande hardiesse

En effet, il ne s'agit pas de combattre les tyrans, mais plutĂ´t de cesser de leur obĂ©ir. Exactement comme on cesserait d'alimenter un feu plutĂ´t que d'essayer Ă  tout prix de l'Ă©teindre :
Plus les tyrans pillent, [...] ils se fortifient d’autant [...] mais si on ne leur donne rien, [...] ils demeurent nus et défaits :

La BoĂ©tie fait alors l'Ă©loge de la libertĂ©, c'est la chose qu'on doit le plus dĂ©sirer, parce qu'elle est nĂ©cessaire pour profiter de tout le reste :
C’est la liberté : bien si grand et si doux que, dès qu’elle est perdue, tous les maux s’ensuivent et que, sans elle, tous les autres biens, corrompus par la servitude, perdent entièrement leur goût et leur saveur.

Alors, La BoĂ©tie se dĂ©sole de voir que les peuples fournissent eux-mĂŞmes aux tyrans le pouvoir de leur nuire, au lieu de dĂ©sirer la libertĂ©. Il les incite Ă  prendre conscience que leur servitude dĂ©pend avant tout de leur volontĂ© :
Vous pourriez vous en délivrer sans même tenter de le faire, mais seulement en essayant de le vouloir. Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres.

Il utilise alors une très belle image, pour reprĂ©senter la chute des tyrans, qu'il appelle de ses vĹ“ux :
Vous le verrez, comme un grand colosse dont on Ă´te la base, tomber de son propre poids et se briser.

3. De la liberté à la servitude



Une troisième partie du Discours de la Servitude volontaire pourrait s'intituler « De la libertĂ© Ă  la servitude Â» parce que La BoĂ©tie estime que les peuples ont d'abord naturellement connu la libertĂ© avant d'ĂŞtre asservis. Et il se pose cette question : Comment la volontĂ© de servir a-t-elle pu remplacer le dĂ©sir pourtant si naturel de libertĂ© ?

La BoĂ©tie part d'un constat : les hommes sont Ă©gaux, ou du moins, tous faits sur un mĂŞme modèle.
La nature, premier agent de Dieu, bienfaitrice des hommes, nous a tous créés de même et coulés en quelque sorte au même moule, pour nous montrer que nous sommes tous égaux, ou plutôt tous frères.

Il fait alors une concession : certes, il existe des diffĂ©rences entre les hommes, soit dans le corps, soit dans l'esprit, mais c'est pour nous inciter, non pas Ă  nous combattre, mais Ă  collaborer :
Il faut croire plutôt que, faisant ainsi les parts aux uns plus grandes, aux autres plus petites, elle a voulu faire naître en eux l’affection fraternelle et les mettre à même de la pratiquer, les uns ayant puissance de porter des secours et les autres besoin d’en recevoir.

Autre argument : la nature nous a donnĂ© la voix et la parole justement pour nous aider Ă  nous mettre d'accord, communiquer nos pensĂ©es pour mieux conjuguer nos volontĂ©s. C'est donc tout le contraire de la servitude.

Il est d'ailleurs remarquable ici que ce soient les valeurs d'Ă©galitĂ© et de fraternitĂ© qui fondent la libertĂ© !
Peut-on mettre un seul instant en doute que nous ne soyons tous naturellement libres, puisque nous sommes tous égaux, et peut-il entrer dans l’esprit de personne que, nous ayant mis tous en même compagnie, elle ait voulu que quelques-uns y fussent en esclavage.

La BoĂ©tie prend alors l'exemple des animaux : aucun ne se laisse asservir facilement, certains prĂ©fèrent se laisser mourir, les Ă©lĂ©phants prĂ©fèrent perdre leurs dĂ©fenses, et mĂŞme les animaux domestiquĂ©s sont malheureux quand on les prive de libertĂ©. Il dit cela avec deux beaux vers :
Même les bœufs sous le poids du joug geignent,
Et les oiseaux dans la cage se plaignent !


Du cĂ´tĂ© des humains, on peut donc distinguer trois sortes de tyrans : ceux qui sont Ă©lus, ceux qui ont pris le pouvoir par les armes, et ceux qui le rĂ©cupèrent par hĂ©rĂ©ditĂ©.

Mais même les chefs élu s'accrochent au pouvoir, parfois même de manière encore plus violente que les autres, pour mieux écarter leurs sujets d'une liberté encore récente.

Finalement, la BoĂ©tie trouve que ces trois formes de tyrannie sont Ă©galement nocives Ă  la libertĂ© :
S’ils arrivent au trône par des routes diverses, leur manière de régner est toujours à peu près la même. Les élus du peuple le traitent comme un taureau à dompter, les conquérants comme une proie sur laquelle ils ont tous les droits, les successeurs comme un troupeau d’esclaves qui leur appartient tout naturellement.

4) La force de la coutume



Une quatrième partie du Discours de la servitude volontaire pourrait s'intituler « La force de la coutume Â» car La BoĂ©tie va s'attacher Ă  montrer que la servitude volontaire s'ancre historiquement dans une habitude qui traverse les gĂ©nĂ©rations.

Il commence par un exercice d'imagination : et si il naissait aujourd'hui un peuple tout neuf ? Il y a fort Ă  parier qu'il ne voudrait pour rien au monde se retrouver en esclavage, Ă  moins d'ĂŞtre contraint ou trompĂ© par de fausses promesses.

La Boétie donne alors l'exemple de Syracuse qui accorda les pleins pouvoirs à Denys l'Ancien pour lutter contre Carthage.
Ce fourbe adroit, rentrant victorieux dans la ville, comme s’il eût vaincu ses concitoyens plutôt que leurs ennemis, se fit d’abord de capitaine roi et ensuite de roi tyran.

La BoĂ©tie trouve cela incroyable, mais malheureusement vrai : Ă  partir du moment oĂą un peuple tombe en servitude, il lui est très difficile de retrouver la libertĂ©, parce que naissant dans la servitude, les gĂ©nĂ©rations suivantes trouvent cet Ă©tat normal. Et ainsi, plus une coutume est ancienne, plus elle acquiert une force qui surpasse celle de la nature.

Il donne alors l'exemple de Lycurgue, policier de Sparte, qui éduqua deux chiens, l'un à courir les lièvres, et l'autre à boire de la soupe au point de dédaigner le lièvre.

C'est donc une première cause qui explique que les peuples restent dans la servitude : s'ils n'ont jamais connu la libertĂ©, ils ne peuvent en connaĂ®tre le prix :
L’on doit avoir pitié de ceux qui, en naissant, se trouvent déjà sous le joug : qu’on doit les excuser ou leur pardonner, si, n’ayant pas encore vu l’ombre même de la liberté, et n’en ayant jamais entendu parler, ils ne ressentent pas le malheur d’être esclave.

La BoĂ©tie utilise alors une très belle image : ceux qui naĂ®traient au cĹ“ur d'une de ces nuits polaires qui peuvent durer de longs mois, ne rĂ©clameraient probablement mĂŞme pas la lumière du jour qu'ils ne connaissent pas.

5) Affaiblir par l'ignorance



Cela nous mène Ă  la cinquième partie du discours, qu'on pourrait intituler « Affaiblir par l'ignorance Â», parce que La BoĂ©tie montre que face Ă  la force de la coutume, les peuples sont en plus affaiblis par l'ignorance. Les tyrans conservent leur pouvoir parce qu'ils empĂŞchent leurs peuples de s'instruire et de partager leurs idĂ©es.

La Boétie voit un espoir dans le fait qu'il existe toujours des personnes qui cherchent à voir plus loin que les autres, qui voyagent (comme Ulysse) où qui étudient les événements passés pour mieux juger ceux du temps présent. Ceux-là développent leur esprit, par l'étude et par le savoir...
Ceux-là, quand la liberté serait entièrement perdue et bannie de ce monde, l’imagineraient et la sentiraient dans leur esprit, la savoureraient encore, et la servitude ne pourrait jamais les séduire, pour si bien qu’on l’accoutrât.

Cela explique bien pourquoi les tyrans empĂŞchent leurs sujets de lire des livres, de devenir savants, et surtout, de se rencontrer et de partager cette sagesse entre eux :
Pour si grand que soit le nombre des fidèles à la liberté, leur zèle et l’affection qu’ils lui portent restent sans effet, parce qu’ils ne se fréquentent point. Les tyrans leur enlèvent toute liberté de faire, de parler et quasi de penser, et ils demeurent totalement isolés dans leur façon de penser.

Et par consĂ©quent, en isolant les Ă©rudits et en maintenant le peuple dans l'ignorance, les tyrans leur font perdre leur volontĂ© et leur courage en mĂŞme temps que la libertĂ© :
Parmi les hommes libres, au contraire, ils savent qu’ils recueilleront une égale part au bonheur de la victoire ; mais les gens asservis, entièrement dépourvus de courage et de vivacité, sont incapables de toute grande action.

D'ailleurs, les tyrans utilisent bien souvent des mercenaires, car ils ne tiennent pas à mettre des armes dans les mains de leurs sujets. La Boétie nuance cette idée en disant que certains rois veulent effectivement protéger leurs sujets. Il cite notamment Scipion l'Africain.

6) Les subterfuges des tyrans



La Boétie accuse alors les tyrans d'utiliser des subterfuges pour impressionner, abêtir et affaiblir leurs sujets. Cela peut constituer une sixième partie.

Il cite l'exemple de Cyrus le grand, fondateur de l'empire Perse, qui parvint Ă  maintenir la paix en Lydie, en installant, non pas des garnisons de soldats, mais des bordels, des tavernes et des jeux publics, avec obligation de s'y rendre. Les peuples amusĂ©s sont assotis par ces vains plaisirs :
Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes étranges, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté, les instruments de la tyrannie.

La Boétie en conclut que les largesses des tyrans sont en fait des pièges, et le plus souvent, ils n'accordent pour récompense que ce qu'ils ont auparavant ôté.
Tel ramassait aujourd’hui le sesterce, se gorgeait au festin public, en bénissant et Tibère et Néron de leur libéralité qui, le lendemain, était contraint d’abandonner ses biens à l’avarice, ses enfants à la luxure, son sang même à la cruauté de ces magnifiques empereurs,

Autre ruse des tyrans : entretenir le mystère, mettre de leur cĂ´tĂ© la religion pour donner l'impression qu'ils sont plus que des hommes. La BoĂ©tie donne alors de nombreux exemples : les rois d'Assyrie, qui apparaissaient très peu en public. Les premiers rois d'Egypte, qui paraissaient, mais coiffĂ©s de chats ou de flammes.

La Boétie, avec précaution et ironie, dit que les rois de France se sont toujours montrés bons pendant la paix et vaillants à la guerre, ce qui confirme bien qu'ils sont choisis par Dieu...

Alors qu'il est sur le point de remettre en question l'ordre de droit divin, La Boétie se reprend et se dit bien loin de vouloir critiquer les oriflammes et les contes qui inspirent nos poètes français, car il estime notamment le travail de Ronsard qui donne à la langue française ses lettres de noblesse...
Je lui ferais, dis-je, grand tort, de lui ravir ces beaux contes du roi Clovis, dans lesquels avec tant de charmes et d’aisance s’exercera, ce me semble, la verve de notre Ronsard en sa Franciade.

En fait par ces mots, La BoĂ©tie met en garde indirectement les poètes français : la littĂ©rature est Ă©mancipatrice quand elle transmet un savoir, mais peut aussi servir les tyrans. Il leur laisse donc le soin de rester fidèles Ă  leur art.
Et certes, je serais bien téméraire de démentir nos livres et dessécher ainsi le terrain de nos poètes !

Ce moment du Discours est crucial, car La BoĂ©tie donne aux Ă©crivains et intellectuels de son temps une grande responsabilitĂ© : c'est Ă  eux qu'il convient de cultiver la libertĂ© face aux tyrans… Et La BoĂ©tie va leur donner toutes les raisons de ne pas participer Ă  ce système pyramidal de domination.

7) Un système pyramidal



La Boétie arrive alors à un point qui lui semble être le ressort et le secret de la domination. Le Tyrans s'entourent de complices.

On pourrait croire qu'ils se contentent d'être protégés par des gardes et des archers mercenaires. Mais en réalité, ce sont d'abord cinq ou six complices dévoués, qui partagent avec le tyran le fruit de leurs pillages.

Ces cinq ou six ont eux-mĂŞme six cent personnes sous eux qui en tiennent six mille, et cela constitue un immense filet :
Grande est la suite qui vient après ceux-là, et qui voudra en dévider ce fil verra que non pas six mille, mais cent mille, des millions tiennent au tyran par cette corde.

Bien sûr, on peut trouver que ceux qui sont proches du tyran sont les plus méchants et cupides, mais peut-être aussi au fond les plus à plaindre... Et c'est là l'argument le plus fort de La Boétie.

En effet, ces complices sont en rĂ©alitĂ© les moins libres du royaume, puisque leur avarice les rĂ©duit Ă  mendier les faveurs du tyran, obligĂ©s non seulement de faire ce qu'il dit, mais aussi de deviner ses pensĂ©es et de lui complaire en tout !
Quelle condition est plus misérable que celle de vivre ainsi, n’ayant rien à soi et tenant d’un autre son aise, sa liberté, son corps et sa vie ?

Enfin, l'amitiĂ© n'existe pas dans l'exercice du pouvoir : bien souvent, les favoris haĂŻssent leur roi qui peut les abattre aussi vite qu'il les a Ă©levĂ©s.

La BoĂ©tie donne alors plusieurs exemples : les empereurs Claude, Domitien, Commode et Antonin furent assassinĂ©s par des proches.
Il ne peut y avoir d’amitié là où est la cruauté, là où est la déloyauté, là où est l’injustice. Entre méchants, lorsqu’ils s’assemblent, c’est un complot et non une compagnie. Ils ne s’entraiment pas mais s’entrecraignent. Ils ne sont pas amis, mais ils sont complices.

Il est impossible de faire confiance à un tyran, qui a tout pouvoir sur ceux qui l'entourent. La Boétie compare alors ces complices au papillon qui se brûle en s'approchant trop près des flammes qui le fascinent...

Et encore, ceux qui parviennent à échapper aux mains de leur maître sont sans cesse aux aguets, portent un masque souriant tout en se méfient de tout le monde...

Et que leur apporte ce grand tourment ? Une rĂ©putation terrible, puisqu'ils sont tenus pour responsable de tous les maux, par le peuple qui les maudit, non seulement pendant leur vie, mais mĂŞme après leur mort :
Voilà la gloire, voilà l’honneur qu’ils reçoivent [...] leur réputation déchirée dans mille livres, et leurs os même sont, pour ainsi dire, traînés dans la boue par la postérité, les punissant encore après leur mort de leur méchante vie.

La BoĂ©tie termine alors son discours en nous exhortant Ă  apprendre Ă  bien faire. Et il s'en remet avec confiance au jugement de Dieu, estimant avoir fait son propre devoir :
Pour moi, je pense bien et ne crois point me tromper en pensant que, puisque rien n’est plus contraire à Dieu, tout libéral et débonnaire, que la tyrannie, il réserve là-bas, à part, pour les tyrans et leurs complices, quelque peine particulière.


Hans Jordaens III, La traversée de la Mer Rouge (détail), vers 1640.

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