Zola, Germinal
Partie 7 chapitre 6
Explication linéaire
Extrait étudié
Mais Étienne, quittant le chemin de Vandame, débouchait sur le pavé. À droite, il apercevait Montsou qui dévalait et se perdait. En face, il avait les décombres du Voreux, le trou maudit que trois pompes épuisaient sans relâche. Puis, c’étaient les autres fosses à l’horizon, la Victoire, Saint-Thomas, Feutry-Cantel ; tandis que, vers le nord, les tours élevées des hauts fourneaux et les batteries des fours à coke fumaient dans l’air transparent du matin. S’il voulait ne pas manquer le train de huit heures, il devait se hâter, car il avait encore six kilomètres à faire.
Et, sous ses pieds, les coups profonds, les coups obstinés des rivelaines continuaient. Les camarades étaient tous là, il les entendait le suivre à chaque enjambée. N'était-ce pas la Maheude, sous cette pièce de betteraves, l'échine cassée, dont le souffle montait si rauque, accompagné par le ronflement du ventilateur ? À gauche, à droite, plus loin, il croyait en reconnaître d'autres, sous les blés, les haies vives, les jeunes arbres. Maintenant, en plein ciel, le soleil d'avril rayonnait dans sa gloire, échauffant la terre qui enfantait. Du flanc nourricier jaillissait la vie, les bourgeons crevaient en feuilles vertes, les champs tressaillaient de la poussée des herbes. De toutes parts, des graines se gonflaient, s'allongeaient, gerçaient la plaine, travaillées d'un besoin de chaleur et de lumière. Un débordement de sève coulait avec des voix chuchotantes, le bruit des germes s'épandait en un grand baiser. Encore, encore, de plus en plus distincte-ment, comme s'ils se fussent rapprochés du sol, les camarades tapaient.
Aux rayons enflammés de l'astre, par cette matinée de jeunesse, c'était de cette rumeur que la campagne était grosse. Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait faire bientôt éclater la terre.
Introduction
Germinal, c'est le 13e roman de la série des Rougon-Macquart, où Zola met en scène l'Histoire Naturelle et sociale d'une famille sous le second empire.
En cette fin de roman, Étienne quitte définitivement la mine. Décidé à faire de la politique, il compte se rendre à Paris, rejoindre le socialiste Pluchart pour mettre en place des actions militantes.
Zola avait prévu de terminer son roman avec un paysage comparable à celui du début, un temps pluvieux, créant alors une impression de cycle et d'éternel recommencement. Dans ses cahiers préparatoire, Zola écrit : « Je montre Étienne s'en allant un soir par la pluie, comme il est arrivé un matin, par la gelée ».
Mais en cours de rédaction, Zola va changer d'avis, désormais, il veut « finir par germinal » par « le silence gros d'un avenir terrible ». Germinal, le mois républicain correspondant au printemps, au renouveau de la nature. La signification globale du roman en est bouleversée. La reprise d'un même motif au début et à la fin d'une intrigue, c'est ce qu'on appelle une épanadiplose narrative.
Le départ d'Étienne dans une nature en pleine renaissance indique que malgré l'échec de la grève, l'espoir n'est pas mort. De manière symbolique, Zola nous montre que cet espoir est inépuisable, il fait partie des forces profondes de la nature, il appartient au lent mouvement de l'Histoire. Émile Zola, en écrivain à la fois observateur et engagé, nous transmet ses convictions progressistes.
Problématique
Comment Zola met-il en scène le départ d'Étienne, de manière à révéler toute la puissance symbolique du roman ?
Axes de lecture
> Un cheminement du regard qui suit le point de vue du Héros.
> Un regard rétrospectif sur la mine où se mêle naturalisme et fantastique.
> Une fin de roman qui bascule de ventôse à germinal.
> Une description symbolique de la Nature qui montre la persistance de l'espoir.
> Une métaphore filée où les mineurs sont comparés à des graines prêtes à germer.
> La révolte des travailleurs prend une dimension générale et historique.
Premier mouvement :
Un cheminement vers la fin
Mais Étienne, quittant le chemin de Vandame, débouchait sur le pavé. À droite, il apercevait Montsou qui dévalait et se perdait. En face, il avait les décombres du Voreux, le trou maudit que trois pompes épuisaient sans relâche. Puis, c’étaient les autres fosses à l’horizon, la Victoire, Saint-Thomas, Feutry-Cantel ; tandis que, vers le nord, les tours élevées des hauts fourneaux et les batteries des fours à coke fumaient dans l’air transparent du matin. S’il voulait ne pas manquer le train de huit heures, il devait se hâter, car il avait encore six kilomètres à faire.
En cette fin de roman, le lecteur accompagne le cheminement d'Étienne qui quitte la mine. Notre regard est promené en même temps que celui du personnage principal, regardez : on débouche sur le pavé, puis on regarde à droite, en face, puis les autres fosses. Nous avons même accès aux pensées d'Étienne « il devait se hâter ». C'est ce qu'on appelle une focalisation interne : toutes les marques de subjectivité (regard, pensées, etc.) se rapportent à un même personnage.
L'énumération des différentes fosses, c'est un peu le bilan de cette histoire : Vandame qui a changé de propriétaire, Montsou qui s'agrandit sans cesse de nouvelles galeries, le Voreux qui s'est effondré à cause du sabotage de Souvarine, etc.
La description est donc d'abord une description réaliste, qui obéit notamment à l'esthétique naturaliste de Zola, très documenté, avec un chiffrage précis, un vocabulaire technique : par exemple, on a les trois pompes, les hauts fourneaux, les fours à coke.
Mais on retrouve en même temps les divers aspects fantastiques de la mine qui ont été mis en place tout au long du roman. Le Voreux nous laisse entendre le mot vorace : c'est un monstre qui engloutit des hommes, une bête mythologique comparable au minotaure. Les pompes esquissent des formes tentaculaires. La fumée dans l'air transparent du matin, évoque une respiration chaude qui se condense.
Les verbes utilisés sont révélateurs : Montsou dévale et se perd, comme une créature en mouvement. Le Voreux est épuisé sans relâche par les pompes : la personnification passe par les verbes d'action. La personnification consiste à attribuer des propriétés humaines ou animales à une chose inanimée.
La périphrase « Le Voreux, trou maudit » vient nous rappeler toutes les métaphores infernales utilisées dès le début du roman. La mine est comme une région du royaume de Pluton. Pluton est le dieux des morts chez les romains, son nom signifie littéralement « Le Riche » car il accueille sans cesse de nouveaux venus, sans jamais les laisser partir.
Ainsi, Étienne quitte cet enfer, comme certains héros de l'antiquité : Orphée le poète, Thésée et Ulysse les héros astucieux, Hercule le combattant. Et en effet Étienne a été tour à tour celui qui a fasciné les mineurs par ses discours syndicalistes, celui qui a mis en place la caisse de prévoyance, et celui qui s'est battu lors de la grande grève. En cette fin de roman, le personnage principal de Germinal prend vraiment la stature d'un Héros. Dans la mythologie, la descente aux enfers est un motif récurrent, appelé la catabase.
Deuxième mouvement :
Un regard rétrospectif
Et, sous ses pieds, les coups profonds, les coups obstinés des rivelaines continuaient. Les camarades étaient tous là, il les entendait le suivre à chaque enjambée. N'était-ce pas la Maheude, sous cette pièce de betteraves, l'échine cassée, dont le souffle montait si rauque, accompagné par le ronflement du ventilateur ? À gauche, à droite, plus loin, il croyait en reconnaître d'autres, sous les blés, les haies vives, les jeunes arbres.
Étienne vient de faire ses adieux à ses anciens camarades. La Maheude était farouchement opposée à la reprise du travail, mais comme son mari est mort, elle est obligée de retourner dans la mine. Lorsque Étienne pense à elle, il la revoit très diminuée physiquement « l'échine cassée … le souffle rauque » ce sont les maladies habituelles des mineurs.
L'échec de la grève a installé la résignation. Tous les travailleurs sont redescendus, et la compagnie en a profité pour imposer des baisses de salaires déguisées sous de nouveaux modes de calcul du boisage et de la berline.
Pourtant, à travers le regard d'Étienne, nous voyons que l'espoir est toujours présent. Vous allez voir que la métaphore de l'espoir est particulièrement originale.
En effet, habituellement, l'espoir est un oiseau, une colombe, un rameau d'olivier… Non, ici l'espoir est un coup de pioche, souterrain et surtout obstiné. Cet acharnement des travailleurs, c'est l'inverse de la résignation. La double répétition du mot coup vient illustrer cette persévérance. Ces coups sont comme scandés à travers tout le passage.
Avec la multiplication des indicateurs spatiaux, on a l'impression d'entendre ces coups qui proviennent de partout « sous ses pieds … sous cette pièce de betterave … à gauche, à droite, plus loin … sous les blés ».
En plus, le mouvement est ascendant, regardez, les plantes énumérées sont de plus en plus hautes : la pièce de betteraves puis les blés, ensuite, les haies vives, et enfin, les jeunes arbres. C'est une gradation : une progression croissante dans une énumération.
La métaphore qui est construite ici est le point d'aboutissement de tout le roman : les travailleurs souterrains sont des graines prêtes à germer. Les idées de liberté, d'égalité, de fraternité, finiront par éclore. Malgré leur condition d'ouvriers exploités, ils portent l'espoir d'un monde meilleur.
Troisième mouvement :
Vers le présent et l’avenir
Maintenant, en plein ciel, le soleil d'avril rayonnait dans sa gloire, échauffant la terre qui enfantait. Du flanc nourricier jaillissait la vie, les bourgeons crevaient en feuilles vertes, les champs tressaillaient de la poussée des herbes. De toutes parts, des graines se gonflaient, s'allongeaient, gerçaient la plaine, travaillées d'un besoin de chaleur et de lumière. Un débordement de sève coulait avec des voix chuchotantes, le bruit des germes s'épandait en un grand baiser. Encore, encore, de plus en plus distinctement, comme s'ils se fussent rapprochés du sol, les camarades tapaient.
« Maintenant » c'est un moment de basculement. Alors que tout le roman se passe dans l'ombre de la mine, ce dernier paragraphe, lumineux, vient s'opposer à cette atmosphère obscure.
La terre est comparée à une mère, elle enfante, c'est un flanc nourricier. La vie qui jaillit, les bourgeons qui crèvent, les herbes qui poussent, les graines qui se gonflent, la sève qui coule, les germes qui s'épandent, le grand baiser, tout cela représente une grande énergie naturelle, et symbolise une confiance dans l'avenir.
Tous les verbes sont des verbes d'action, qui évoquent le mouvement. Ce sont même des mouvements montrés en accéléré : « les bourgeons crèvent en feuilles vertes ». À peine le bourgeon est-il évoqué qu'il s'est déjà transformé en feuille verte !
Regardez aussi comment les éléments naturels sont personnifiés.
Le soleil, nom masculin, est le sujet du verbe échauffer.
La terre nom féminin, en est le complément d'objet. Ce sont comme deux divinités qui s'accouplent. On peut penser à la mythologie grecque : Gaïa la déesse mère est fécondée par Ouranos, le ciel.
=> La figure de style employée ici, c'est l'allégorie : la personnification d'un principe abstrait.
Ce passage est donc très sensuel, avec des perceptions variées, toujours très positives.
> Le sens de la vue d'abord avec le soleil, le verbe rayonner, et la lumière...
> Le sens du toucher est très présent aussi, avec une sensation de chaleur, et le participe présent échauffant…
Mais c'est surtout l'ambiance sonore qui permet de construire la grande métaphore, avec les « voix chuchotantes … le bruit des germes … les camarades qui tapent ».
> Le jaillissement est accompagné d'assonances en i : « du flanc nourricier jaillissait la vie » une assonance, c'est le retour d'un son voyelle.
> La germination est accompagnée d'une allitération en r « le bruit des germes s'épandait en un grand baiser, encore, encore » l'allitération, c'est le retour d'un son consonne.
> Les coups de pioche sont illustrés par des allitération en K « Encore, encore, distinctement, comme s'ils se fussent rapprochés, les camarades tapaient. »
En mettant ainsi en parallèle le bruit de la germination avec celui des coups de pioche, Zola file la métaphore des travailleurs qui sont comme des graines.
Les coups sont de plus en plus distincts « comme s'ils se fussent rapprochés du sol » : les mineurs vont dans le même sens que les plantes qui poussent, ils participent à un grand mouvement ascendant. Ce mouvement vertical vers le haut est en miroir du mouvement vertical vers le bas qui ouvre le roman.
Quatrième mouvement :
Une métaphore filée
Aux rayons enflammés de l'astre, par cette matinée de jeunesse, c'était de cette rumeur que la campagne était grosse. Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse, qui germait lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination allait faire bientôt éclater la terre.
Cette fin de roman est teintée d'un registre épique, qui est plus particulièrement visible dans la dernière phrases.
On y trouve le champ lexical de la guerre avec l'armée vengeresse.
Les phrases sont longues, et même de plus en plus longues.
Les pluriels sont nombreux, créant une impression de multitude : les hommes,les sillons, les récoltes.
On trouve enfin des figures d'amplification, notamment dans les verbes grandir, germer, pousser.
Cette dimension épique permet à Zola de concentrer tous les effets de sa métaphore filée :
« cette matinée … cette rumeur » la répétition des pronoms démonstratifs permet à Zola de mettre sous nos yeux tout le paysage visuel et sonore construit au début du paragraphe.
On retrouve ainsi toutes les métaphores du passage dans une seule image : la rumeur, nourrie par le soleil comme les plantes, est prête à être enfantée par la campagne qui est « grosse ».
Le sujet du verbe « pousser » est « des hommes ».
Le sujet du verbe « germer » est « une armée noire ». Ainsi, toutes les images des plantes qui s'épanouissent et que nous avons vues, avec les bourgeons, les feuilles etc. sont maintenant remplacées par les mineurs, comme s'ils sortaient eux-mêmes de terre.
C'est à ce moment-là que Zola explicite toute la dimension générale et symbolique de son image...
« Les camarades tapaient » jusque là, nous sommes bien dans une focalisation interne à Étienne, qui pense à ses anciens collègues, et qui les entend sous ses pieds.
Mais maintenant ce sont « des hommes » : ils prennent une dimension générale et représentent l'humanité.
Ainsi le point de vue de Zola vient progressivement se substituer à celui de son personnage. C'est d'abord un regard rétrospectif qui se projette dans le passé.
L'armée noire nous rappelle les épisodes de révolte.
La vengeance repose bien sur la mémoire des souffrances endurées.
Mais c'est aussi un regard qui se projette dans l'avenir, avec une dimension prophétique : « la germination allait bientôt faire éclater la terre » Ce mot « bientôt » donne toute sa force à l'affirmation prophétique. Zola parle même du « siècle futur ». Vous vous souvenez, on est en 1885 ; le siècle futur, le 20e siècle, débute dans une quinzaine d'année seulement.
Ainsi, la petite histoire des mineurs de Montsou rejoint en fait un mouvement historique bien plus long et bien plus profond : « L'armée noire germe lentement dans les sillons » cette lenteur, c'est la lenteur de l'Histoire avec un grand H.
Le roman de Zola apparaît alors comme un apologue : un discours narratif dont on tire une morale, comme une fable. C'est le cas ici, la révolte des mineurs s'inscrit dans un mouvement historique et devient comme une grande allégorie de la lutte des classes, et du long mûrissement des idées progressistes.
Conclusion
Le regard du lecteur est promené en même temps que celui du personnage principal. La description est d'abord réaliste avec les détails très documentés propres au naturalisme. Mais la focalisation interne nous invite à faire avec Étienne Lantier le bilan de cette année passée dans la mine de Montsou. On retrouve notamment évoquée l'imagerie fantastique propre à ce lieu. Étienne ressort des enfers, ce qui en fait presque un héros mythologique.
Malgré les échecs de la grève et de la révolte, on voit bien que l'espoir est toujours présent dans le regard d'Étienne. La Nature est décrite à travers des mouvements ascendants. Cette fin de roman s'oppose au début. La mine obscure des premières pages laisse place à une Nature ensoleillée. Le triste mois de Ventôse laisse place au lumineux mois de Germinal. Les sensations sont chaleureuses et positives, la germination des plantes symbolise l'espoir et la confiance dans l'avenir.
Cette métaphore va encore plus loin avec les coups de pioche qui sont assimilés au bruit de la germination. Les ouvriers sous la terre sont ainsi comparés aux graines prêtes à germer. Leur révolte n'a pas été vaine, elle porte l'espoir d'un avenir meilleur. L'histoire des mineurs du Voreux prend alors une dimension plus générale, allégorique, elle représente le lent mouvement des forces historiques, et la lente émergence d'un monde plus humain, que l'écrivain engagé appelle de ses vœux.
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