Couverture du livre Germinal de Zola

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Couverture pour Germinal

Zola, Germinal
Partie 5 chapitre 5
Explication linéaire



Extrait étudié




  Les femmes avaient paru, près d'un millier de femmes, aux cheveux épars dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelles lasses d'enfanter des meurt-de-faim. Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l'agitaient, ainsi qu'un drapeau de deuil et de vengeance. D'autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons ; tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort, que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre. Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d'un seul bloc, serrée, confondue, au point qu'on ne distinguait ni les culottes déteintes ni les tricots de laine en loques, effacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant la Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite ; et cette hache unique, qui était comme l'étendard de la bande, avait, dans le ciel clair, le profil aigu d'un couperet de guillotine.
[...]
  « Oh ! superbe ! » dirent à demi-voix Lucie et Jeanne, remuées dans leur goût d'artistes par cette belle horreur.
  Elles s'effrayaient pourtant, elles reculèrent près de Mme Hennebeau, qui s'était appuyée sur une auge. L'idée qu'il suffisait d'un regard entre les planches de cette porte disjointe, pour qu'on les massacrât, la glaçait. Négrel se sentait blêmir, lui aussi, très brave d'ordinaire, saisi là d'une épouvante supérieure à sa volonté, une de ces épouvantes qui soufflent de l'inconnu. Dans le foin, Cécile ne bougeait plus. Et les autres, malgré leur désir de détourner les yeux, ne le pouvaient pas, regardaient quand même.



Introduction



Germinal, c'est le 13e roman de la série des Rougon-Macquart, où Zola met en scène l'Histoire Naturelle et sociale d'une famille sous le second empire. Germinal est rédigé en 1885, soit 13 ans avant le fameux article J'accuse, paru en 1898, où Zola prend la défense d'Alfred Dreyfus.

Le 29 septembre 1902, Zola meurt intoxiqué dans son appartement, à cause d'une fuite de gaz. La thèse de l'assassinat n'a jamais été totalement écartée, car Zola s'était fait de nombreux ennemis par son engagement politique.

Lors de son enterrement, une délégation de mineurs suit le convoi funèbre en criant « Germinal, Germinal ». Notre roman s'inscrit en effet dans un contexte politique très tendu. Lorsque Zola écrit Germinal en 1885, le centenaire de la révolution française approche, l'ambiance fin de siècle, les attentats anarchistes et d'importants soulèvements sociaux rappellent aux mémoires les bouleversements du siècle passé.

Dans notre passage, Zola décrit une révolte de mineurs. 3000 hommes, femmes et enfants, déferlent dans la plaine de Montsou. La scène est effrayante, peinte du point de vue des propriétaires de la mine qui se sont réfugiés dans un hangar, et qui regardent la route à travers les fentes des planches de la porte.

Cet événement particulier prend alors une dimension plus générale, symbolique. Sans prôner la révolution et la violence, Zola, en écrivain naturaliste, à la fois observateur et engagé, donne des clés de compréhension du phénomène social.

Problématique


Comment ce tableau frappant d'une révolte de mineurs permet-il à Zola de mobiliser son lecteur et de faire passer un message de portée plus générale ?

Axes de lecture


> Un tableau saisissant sous forme d'hypotypose.
> Une révolte représentée dans toute sa violence.
> Une démarche naturaliste d'observation de la réalité.
> Une écriture engagée qui révèle la portée générale et symbolique de la scène.
> Une immersion du lecteur favorisée par la mise en scène du regard.
> La dénonciation d'une exploitation qui déshumanise les ouvriers.

Premier mouvement :
Un tableau qui a du sens



Les femmes avaient paru, près d'un millier de femmes, aux cheveux épars dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelles lasses d'enfanter des meurt-de-faim. Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l'agitaient, ainsi qu'un drapeau de deuil et de vengeance. D'autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons ; tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort, que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre.

Zola nous peint un véritable tableau, en mouvement, de façon saisissante. C'est une figure de style qui s'appelle l'hypotypose : donner à voir une scène animée et frappante. Le sens de la vue est très présent dans les verbes d'action, qui représentent tout en mouvement : « paraître … montrer … soulever … agiter … sembler. »

Le sens de l'ouïe est aussi très présent avec les hurlements des vieilles femmes, et les redoublement de consonnes « les femelles lasses d'enfanter des meurt-de-faim … le drapeau de deuil … gorges gonflées … brandissant des bâtons … les cordes de leur cous ... » La répétition d'une même consonne, c'est ce qu'on appelle une allitération.

Le tableau s'organise ici en plusieurs volets : d'abord les femmes, ensuite les hommes. Parmi les femmes, nous avons d'abord les mères « tenant leurs petits » puis les « jeunes … brandissant des bâtons » et enfin les « vieilles qui hurlent » N'ayant pas vraiment d'armes, elles utilisent ce qu'elles ont : leurs enfants, des bâtons, leur cris.

À travers ces différentes attitudes, on peut reconnaître des références à l'antiquité : les amazones, ce peuple de femmes guerrières redoutées par les grecs. On peut aussi penser aux furies, ces divinités qui viennent tourmenter ceux qui sont coupables de crimes. Zola utilise ces références antiques pour mieux souligner la force intemporelle de ce tableau.

Les femmes perdent leur pudeur et sont animalisées « les cheveux sont épars, les guenilles montrent la peau nue » Zola insiste sur cette « nudités des femelles ». Est-ce qu'il essaye seulement de choquer son lecteur ? À son époque, on a beaucoup caricaturé Zola, et on lui a reproché de faire de la pornographie. Il ne faut pas s'arrêter là, car cette animalisation a un sens, elle vient servir son propos d'écrivain engagé : les personnages sont déshumanisés par leur condition sociale.

Pour bien comprendre l'intention d'Émile Zola, voici un extrait d'une lettre à Francis Magnard, journaliste du Figaro, où il se défend :
Depuis un mois, on m'accuse ainsi de fantaisie ordurière et de mensonges voulus sur les pauvres gens [...] Pourquoi veut-on que je calomnie les misérables ? Je n'ai eu qu'un désir, les montrer tels que notre société les fait, et soulever une telle pitié [...] que la France cesse enfin de se laisser dévorer par l'ambition d'une poignée de politiciens, pour s'occuper de la santé et de la richesse de ses enfants.

Les femmes sont les premières à déferler, car elles sont directement concernées par la nécessité qui menace leurs enfants. Zola pense bien sûr à la révolution française. Avant même la prise de la Bastille, les femmes avaient marché dès 1788 sur Versailles, pour réclamer du pain.

« Elles soulèvent leurs petits ainsi qu'un drapeau » c'est une métaphore : les enfants sont comparés à un drapeau. Quel est le point d'analogie ? Les deux représentent une cause pour laquelle il faut se battre : l'avenir.

« lasses d'enfanter des meurt-de-faim » avec cette expression, Zola va plus loin que la simple apparence, il explique la dégradation des corps de femme qu'il nous montre. Pourquoi perdent-elles leur humanité ? Parce qu'il leur manque le nécessaire pour vivre et pour faire vivre leurs enfants.

Ainsi, le verbe « enfanter » vient directement s'opposer à l'expression « meurt-de-faim » la vie débouche immédiatement sur la mort.

Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d'un seul bloc, serrée, confondue, au point qu'on ne distinguait ni les culottes déteintes ni les tricots de laine en loques, effacés dans la même uniformité terreuse.
Zola s'est beaucoup documenté sur les différents métiers des mineurs : les galibots creusent la pierre, les haveurs extraient le minerai, les raccomodeurs consolident les tunnels.

Mais ici, les personnages ne forment qu'une masse compacte … un seul bloc. Zola insiste sur leur uniformité. Contrairement aux femmes, on ne distingue plus les visages. Avec le pronom personnel indéfini, Zola invite le lecteur à regarder la scène avec lui. Il le plonge au sein du tableau. Grâce à cette confusion, la scène dérive d'un évènement particulier, une grève de mineurs, à un symbole général : la révolte de ceux qui sont exploités.

Les mineurs sont assimilés à la matière qu'ils travaillent : ils deviennent ensemble un bloc, comme un agrégat de pierre, dans la même uniformité terreuse. C'est une logique métonymique où la partie (le mineur) désigne le tout (la mine).

En même temps, les verbes d'action utilisés sont très violents « débouler … rouler … » Tout cela construit une métaphore où la foule des hommes est comparée à une avalanche, une force de la nature. Le point d'analogie entre les deux, c'est la violence qui emporte tout sur son passage.

Deuxième mouvement :
L’importance du point de vue



Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant la Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite ; et cette hache unique, qui était comme l'étendard de la bande, avait, dans le ciel clair, le profil aigu d'un couperet de guillotine.

On retrouve la confusion, le mélange de tous les révoltés dans une masse informe, avec quelques points qui ressortent : on voit seulement « les yeux » et « les trous des bouches noires ». Dans son évolution picturale le tableau de Zola devient presque abstrait. Le regard du lecteur se mêle ainsi au regard effrayé des bourgeois qui observent la scène, depuis un hangar abandonné.

L'effet d'immersion est renforcé par l'ambiance sonore qui est particulièrement riche avec les allitérations en "m" qui viennent appuyer les mots qui se rapportent au sens de l'ouïe : la Marseillaise, les mugissements, le claquement...

Ce paragraphe contient toutes les marques du registre épique, regardez.
Le champ lexical de la guerre est très présent : bruler, hérissement des barres de fer, hache, étendard, couperet…
Les chiffres des troupes sont donnés en gros : mille femme puis deux mille hommes, en plus, leur nombre augmente fortement, il est même doublé.
Les phrases sont longues, et même de plus en plus longues.
Les pluriels sont nombreux : les yeux, les trous, les strophes, des sabots, etc.
On trouve enfin des figures d'amplification : la métaphore des yeux qui brûlent donne à voir le désir de destruction des révoltés. Ce regard s'élève au-dessus des têtes puis au-dessus du hérissement des barres de fer jusqu'à la hache qui est portée très haut.

« Cette hache unique » vient concentrer tous les effets, qui sont, pour ainsi dire montés en épingle dans cette image. D'abord c'est un effet cinématographique saisissant, avec un zoom qui part d'une vaste foule pour se concentrer sur un profil unique qui se découpe sur le ciel.

Ensuite, l'image de l'étendard vient renforcer et redoubler la métaphore des enfants portés comme un drapeau par les femmes. La vie évoquée au début du paragraphe s'est transformée en promesse de mort. La hache n'est pas ensanglantée, mais par un effet de glissement, on devine que c'est bien de couleur rouge que doit être cet étendard. Zola donne de cette manière toute sa dimension à la fois dramatique et picturale au passage.
« Oh ! superbe ! » dirent à demi-voix Lucie et Jeanne, remuées dans leur goût d'artistes par cette belle horreur.
Notre regard est maintenant pris en charge par ces deux personnages, qui deviennent les yeux du lecteur dans cette scène effrayante.

Pour mieux situer les personnages. Lucie et Jeanne sont les deux filles de Deneulin, le propriétaire de la petite mine de Jean Bart. Elles sont toutes les deux artistes : l'une veut peindre et l'autre veut chanter. Ce n'est pas anodin si nous sommes d'abord amenés à voir cette scène avec un regard d'artiste. Ce tableau prend une dimension de manifeste esthétique.

En effet, Zola utilise ici une expression très originale pour annoncer ce qu'il nous donne à voir : « Cette belle horreur » c'est un oxymore, le rapprochement de deux termes opposés. Comment un tableau peut-il être à la fois horrible et beau ? C'est précisément une question qui se pose de façon très vive en cette fin de XIXe siècle. Pour le courant réaliste et naturaliste auquel appartient Zola, il y a de la beauté dans la réalité.

Mais ce n'est pas tout : ici Zola se moque gentiment de ces deux petites bourgeoises qui se veulent artistes et qui s'exclament à haute voix malgré le danger ! La beauté n'est pas une fin en soi. Zola utilise des procédés stylistique pour susciter un sentiment d'indignation. La beauté est au service d'un projet d'écrivain engagé.

Mais chez Zola rien n'est manichéen, c'est à dire que rien n'est tout noir ou tout blanc. Jeanne et Lucie sont deux jeunes filles : nées du côté des exploitants, elles restent cependant innocentes. Ainsi la méthode expérimentale du Naturaliste invite le lecteur à comprendre les mécanismes qui sont à l'oeuvre dans les mouvements sociaux.

Troisième mouvement :
Une violence révélatrice



Elles s'effrayaient pourtant, elles reculèrent près de Mme Hennebeau, qui s'était appuyée sur une auge. L'idée qu'il suffisait d'un regard entre les planches de cette porte disjointe, pour qu'on les massacrât, la glaçait. Négrel se sentait blêmir, lui aussi, très brave d'ordinaire, saisi là d'une épouvante supérieure à sa volonté, une de ces épouvantes qui soufflent de l'inconnu. Dans le foin, Cécile ne bougeait plus. Et les autres, malgré leur désir de détourner les yeux, ne le pouvaient pas, regardaient quand même.

Zola dépeint un à un tous ces personnages de la haute société. « Mme Hennebeau … Négrel … Cécile … les autres ». On progresse dans l'ordre : d'abord ceux qui sont les plus proches de la porte jusqu'à ceux qui se trouvent au fond du hangar. D'abord, Lucie et Jeanne, qui regardaient à travers les fentes des planches, reculent.

Puis Mme Hennebeau, un peu plus loin, défaille. Elle est obligée de s'appuyer sur une auge, le récipient dans lequel mangent les animaux. La déchéance de cette dame riche crée un effet de contraste très fort. C'est une situation symbolique. En effet, tous ces personnages désoeuvrés, habitués au confort de leur maison luxueuse se retrouvent soudainement, pour ainsi dire, sur la paille.

Cette scène de frayeur dans le hangar s'oppose en tout point aux scènes de repas où Madame Hennebeau sert des mets raffinés à ses convives.

D'ailleurs Mme Hennebeau n'est pas une personne sympathique. Épouse du propriétaire de la mine de Montsou, c'est une femme perverse qui trompe son mari avec son propre neveu, Négrel.

Ainsi, ces deux personnages forment un couple symbolique. En face des relations brutales et transparentes des ouvriers, ils représentent les relations perverses et dissimulées de la haute société.

« Négrel » est « très brave d'ordinaire » En effet, il a l'habitude de traiter avec les ouvriers. Par exemple, on le voit au début du roman descendre dans la mine pour vérifier la solidité des boisages. Mais il représente aussi l'oppression, car c'est par lui que se font connaître les décisions de la direction, les baisses de salaire, etc.

Ainsi, à travers la frayeur de Mme Hennebeau et Négrel, Émile Zola nous invite à prendre parti. La violence visible et bruyante de la révolte ouvrière n'est que le résultat d'une violence sociale qui s'exerce habituellement de façon invisible, souterraine et en silence.

« Malgré leur désir de détourner les yeux, ils regardaient quand même » C'est la définition même de la fascination. Les personnages qui sont piégés dans le hangar sont le vecteur du regard du lecteur. Ils sont eux-mêmes au plus proche de la scène. Nous les observons comme un théâtre dans le théâtre, et nous nous identifions à eux. Tout cela permet à Zola d'intensifier au maximum l'effet d'immersion.

Conclusion



Zola nous peint dans ce passage un tableau en mouvement, de manière saisissante, c'est ce qu'on appelle une hypotypose. Il plonge le lecteur au milieu du tableau, en mettant en scène le regard des bourgeois qui sont réfugiés dans le hangar. Cela lui permet de créer un effet d'immersion très fort.

La vision dépeinte par Zola a une force symbolique, atemporelle, elle représente la violence des peuples opprimés. S'il y met une dimension esthétique, on est très loin des préoccupations de l'art pour l'art. Zola utilise des procédés stylistiques pour mieux frapper son lecteur et provoquer son indignation. Il fait ainsi passer un message politique : sous la violence visible et brutale de la révolution se cache la violence discrète de l'exploitation qui déshumanise les ouvriers.

Cet événement particulier de la grève des mineurs, observé avec l'attention de l'écrivain naturaliste, nous donne accès à une compréhension plus générale des mouvements sociaux et des mécanismes de la violence.


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