Couverture pour Germinal

Zola, Germinal
Partie 1 chapitre 1
Explication linéaire



Extrait étudié




  Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres.
  L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D'abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.
  Un chemin creux s'enfonçait. Tout disparut.



Introduction



Germinal, c'est le 13e roman de la série des Rougon-Macquart, où Zola met en scène l'Histoire Naturelle et sociale d'une famille sous le second empire.

Émile Zola avait jeté sur le brouillon plusieurs titres possibles pour ce roman : Coup de Pioche, Le Sang qui Germe, L'Orage qui Monte, Le Feu Souterrain, Sous terre, Les Affamés… Finalement, il a retenu Germinal, ce titre génial, à la fois poétique et très riche de sens.

Ah qu'il est poétique ce calendrier républicain ! Les mois riment en -ôse pour l'hiver, tandis qu'en été les mois sont en -dor, et en -aire pour l'automne. Ce sont les mois en -al qui correspondent au printemps. Germinal, Floréal, Prairial ! Ainsi, le titre est porteur d'espoir, de renouveau, de germination.

Mais il est aussi révolutionnaire, ce calendrier républicain ! Si la mine est complètement absente de ce titre, nous y trouvons bien les idées de révolte et de lutte sociale.

Sachant cela, notre début du roman va décevoir les attentes du lecteur. Pas de révolution, non, un homme seul. Ce n'est pas le printemps, mais une nuit glaciale du mois de mars, c'est le mois de ventôse ! Nous sommes tout de suite plongés dans une atmosphère à la fois inquiétante et intrigante, et c'est le personnage principal, Étienne Lantier, qui nous entraîne jusqu'à la mine, comme le passeur Charon accompagne dans la mythologie antique les âmes des défunts jusqu'aux enfers.

Problématique



Comment Zola utilise-t-il en ce début de roman le point de vue de son personnage principal pour nous faire entrer dans un monde à la fois réaliste et fantastique, révélant ainsi l'originalité de son projet naturaliste ?

Axes de lecture



> Un début de roman qui joue avec les horizons d'attente du lecteur.
> Un décor perçu par un personnage principal plongé dans l'obscurité.
> Une description picturale à la fois réaliste et fantastique.
> Des mouvements et une dimension symbolique qui entraînent déjà le lecteur sous la terre.
> Un projet naturaliste qui vise à comprendre les mécanismes sociaux.
> La teneur idéologique d'un message qui révèle les intentions d'un écrivain engagé.



Premier Mouvement :
Un point de vue limité



Dans la plaine rase, sous la nuit sans étoiles, d'une obscurité et d'une épaisseur d'encre, un homme suivait seul la grande route de Marchiennes à Montsou, dix kilomètres de pavé coupant tout droit, à travers les champs de betteraves. Devant lui, il ne voyait même pas le sol noir, et il n'avait la sensation de l'immense horizon plat que par les souffles du vent de mars, des rafales larges comme sur une mer, glacées d'avoir balayé des lieues de marais et de terres nues. Aucune ombre d'arbre ne tachait le ciel, le pavé se déroulait avec la rectitude d'une jetée, au milieu de l'embrun aveuglant des ténèbres.

« Un homme » l'article est indéfini, pour l'instant, on ne sait presque rien du personnage principal.
Il se trouve dans « la plaine rase » là par contre on a un article défini : le paysage passe à travers le point de vue du personnage principal qui marche.

Le personnage est inscrit dans le paysage avec des indicateurs de lieu : « dans la plaine rase ... sous la nuit ... devant lui ». D'ailleurs, le paysage « se déroule » au rythme de la marche.

Toutes nos perceptions sont limitées à celle de cet homme mystérieux : « il ne voyait pas même le sol noir » du coup, nous non plus_ nous ne le voyons pas.
À côté de la vue, on a aussi des sensations : le vent glacé. C'est ce qu'on appelle une focalisation interne : toutes les marques de subjectivité (sensations, pensées) se rapportent à un même personnage.

Mais c'est étrange, toutes les perceptions sont à la négative regardez : « la nuit sans étoiles … il ne voyait même pas … il n'avait la sensation … aucune ombre d'arbre … il est aveuglé par les ténèbres » contrairement au titre Germinal qui nous laissait attendre un paysage printanier, nous sommes plongés dans une nuit glaciale.

La nature est hostile. Le « vent de mars » fait référence au mois révolutionnaire de ventôse. Nous ne sommes pas encore au mois de Germinal qui correspond au mois d'avril.

« L'immense horizon plat » : c'est une ligne de fuite horizontale, qui représente bien le plat pays du nord de la France. Dans notre passage, l'homme est opposé à la nature de façon très picturale, c'est le seul élément vertical dans un décor désespérément horizontal.

« Aucune ombre d'arbre ne tâchait le ciel » l'ombre des arbres ne se projette pas au sol et ne se découpe pas sur le ciel : toute verticalité est annulée. Seule la silhouette de l'homme est représentée, comme une ombre sur un fond noir. C'est symbolique : l'humanité est noyée dans l'ombre.

Plusieurs métaphores vont dans ce sens : « l'obscurité d'une épaisseur d'encre » la nuit est comme l'encre, liquide et opaque.

« des rafales larges comme sur une mer, les embruns, la jetée » c'est un vocabulaire marin utilisé pour décrire la route. La nuit est comme la mer : liquide, opaque, on risque de s'y noyer.

Deuxième mouvement :
Un naturalisme engagé



L'homme était parti de Marchiennes vers deux heures. Il marchait d'un pas allongé, grelottant sous le coton aminci de sa veste et de son pantalon de velours. Un petit paquet, noué dans un mouchoir à carreaux, le gênait beaucoup ; et il le serrait contre ses flancs, tantôt d'un coude, tantôt de l'autre, pour glisser au fond de ses poches les deux mains à la fois, des mains gourdes que les lanières du vent d'est faisaient saigner. Une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour.

Le récit se concentre maintenant sur le personnage principal. « l'homme » avec l'article défini qui débute le paragraphe. Visuellement, nous avons comme un zoom avant sur le personnage. L'écriture de Zola est parfaite pour le cinéma ! D'ailleurs n'hésitez pas à aller voir le film de Claude Berri avec Renaud, Depardieu et MiouMiou : la mise en scène est excellente !

Ce passage est donc une mise en mouvement du tableau qui a été peint dans le premier paragraphe, avec le personnage en marche, le pas allongé, le froid qui le fait grelotter … le jeu presque théâtral du paquet qui le gêne pour glisser les mains dans ses poches.

Le nom de la ville de départ, Marchiennes, vient comme redoubler le verbe marcher. C'est aussi un indice réaliste, car c'est une ville qui existe. Dans ses cahiers préparatoires, Zola écrit des détails sur Marchiennes, 18km de Douai, 3066 habitants.

La nature est hostile, notamment à travers la sensation de froid. Le mot « main » est répété deux fois, comme pour représenter textuellement les deux mains gourdes.
Une métaphore vient comparer le vent d'est aux lanières : c'est un fouet qui frappe et blesse jusqu'au sang.

Le froid permet à Zola d'introduire un message idéologique, car son projet naturaliste est aussi un projet d'écrivain engagé : « une seule idée occupait sa tête vide d'ouvrier sans travail et sans gîte, l'espoir que le froid serait moins vif après le lever du jour. » Zola dénonce l'aliénation dont sont victimes les ouvriers, le personnage principal représente une classe sociale de travailleurs privés du nécessaire pour vivre.

Ainsi, le vide dans sa tête représente l'humanité qui lui est enlevée par la pauvreté. « Le coton amincit de la veste » est un détail réaliste qui vient illustrer cette misère.

Je me suis aussi pas mal interrogé sur le paquet qu'il transporte. Jusqu'à la fin du roman, le paquet reste enveloppé dans un mouchoir a carreaux, et nous ne saurons jamais ce qu'il contient. Je crois que ce paquet a une dimension symbolique : tout ce qu'il possède est là. Il est comme encombré par cette nécessité de survivre.

C'est sans doute aussi le poids de son passé. Le mouchoir peut évoquer le tissu d'un drapeau, la cause politique défendue par le personnage tout au long du roman.

Mais surtout, ce linge représente Gervaise, sa mère, qui est blanchisseuse. On retrouve d'ailleurs un paquet au début de l'Assommoir, qui représente la relation de ses parents Gervaise avec Auguste Lantier.

Ainsi, le jeune Étienne Lantier transporte avec lui le poids de son hérédité, sa sensibilité à l'alcool, sa misère sociale. La dimension particulière du projet Naturaliste de Zola tisse un lien entre tous ses romans.

Comme Étienne Lantier ne peut plus subvenir à ses propres besoins, il ne pourra pas venir en aide à sa mère qui meurt seule dans une cage d'escalier, sûrement au moment même où il fait ses débuts dans la mine de Montsou.

Troisième mouvement :
Immersion dans le roman



Depuis une heure, il avançait ainsi, lorsque sur la gauche à deux kilomètres de Montsou, il aperçut des feux rouges, trois brasiers brûlant au plein air, et comme suspendus. D'abord, il hésita, pris de crainte ; puis, il ne put résister au besoin douloureux de se chauffer un instant les mains.
Un chemin creux s'enfonçait. Tout disparut.


La narration est maintenant dramatisée. L'imparfait « il avançait … le chemin s'enfonçait » est utilisé pour les descriptions ou les actions de second plan, prises dans leur durée. On passe maintenant au passé simple « il aperçut … il hésita … il ne put résister … Tout disparut » pour des actions soudaines ou ponctuelles dans le passé. Ce contraste participe à la dramatisation du récit.

Les phrases sont de plus en plus courtes. Notamment les deux dernières : « Un chemin creux s'enfonçait. Tout disparut. »
Exactement comme si le personnage était entré sous terre. Le paysage lui-même est englouti par l'obscurité.

Ainsi, notre entrée dans le roman se fait par ce petit chemin, qui correspond symboliquement à l'entrée de la mine... Le chemin s'enfonce : le mouvement vertical s'oppose à la plaine rase et à l'immense horizon plat du début.

Le nom des villes est particulièrement évocateur : Marchiennes le lieu du départ, la marche, le mouvement horizontal. Montsou est inventé par Zola : cela signifie « sous le mont », et il indique le mouvement vertical qui sera représenté plus loin par l'ascenseur vorace de la mine. L'analyse des noms propres en littérature, on appelle ça l'onomastique.

Le mouvement descendant est constant dans tout le début du roman. Souvenez-vous, le personnage commence « sous la nuit ... sous le coton aminci de sa veste » et très bientôt il sera véritablement sous terre.

Le réalisme de Zola se mêle alors à une dimension fantastique. Le lecteur est immergé dans une atmosphère inquiétante, presque surnaturelle.

Les feux rouges et les brasiers évoquent l'entrée des enfers. Comme suspendus, est-ce que ce sont des lumières qui volent ? Des lumières qui sont accrochées à un plafond ? Le ciel nocturne est devenu comme une voûte extrêmement basse. Avec ce détail, nous sommes déjà dans la mine.

Ainsi, le décor représenté par Zola est une grande métaphore filée : la mine est pour les ouvriers comme un enfer : un lieu de souffrance où l'on est enfermé, d'où l'on ne peut pas s'enfuir. Pluton, le dieu dont le nom signifie « le riche » en est le propriétaire.

En ce début de roman, le lecteur est plongé dans une atmosphère inquiétante, où le réalisme est expliqué par le fantastique, où les images de l'enfer mythologique semblent avoir pris forme à travers celles de la révolution industrielle.

Le projet de Zola apparaît bien lorsqu'on compare ce début de roman avec les dernières pages, où le même personnage, Étienne Lantier, quitte Marchiennes par ce même chemin, dans la chaleur d'un mois d'avril naissant. Notre roman retrace donc ce parcours, de ventôse à germinal, de la plus sombre misère sociale, à un rayon d'espoir.

Conclusion



Le titre Germinal nous laisse attendre un espoir de renouveau, mais ce début de roman est plongé dans l'obscurité d'une plaine glaciale. La Nature hostile s'oppose à la présence d'un homme seul, comme englouti dans l'obscurité.

Le paysage nous est ainsi décrit à travers le point de vue de ce personnage principal. L'horizontalité de la plaine s'oppose au mouvement vertical du personnage qui accompagne le lecteur sous la terre. Symboliquement, l'entrée dans le roman correspond bien à l'entrée dans la mine.

La dimension fantastique du paysage complète le réalisme de Zola et explicite le message idéologique. Étienne Lantier symbolise cette classe ouvrière victime de conditions de travail qui les vident de leur humanité. Dans le naturalisme, l'expérience menée sur les personnages conduit à la compréhension des mécanismes sociaux.

Ainsi le réalisme, le fantastique, la réflexion sociale, la dimension picturale de ce début de roman, tout cela converge vers un projet naturaliste.

Dans Le Roman Expérimental, qui est considéré comme un manifeste du Naturalisme, Zola écrit :
En somme, toute l'opération consiste à prendre les faits dans la nature, puis à étudier le mécanisme des faits [...] Au bout, il y a la connaissance de l'homme, la connaissance scientifique, dans son action individuelle et sociale.

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