Couverture du livre XVIIe siècle de Mediaclasse

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Couverture pour XVIIe siècle

Histoire littéraire du XVIIe siècle
Chefs-d’œuvres classiques




Dans cette vidéo, je vais vous présenter quelques œuvres représentatives du classicisme. Et on va les voir par genre. D'abord le théâtre, avec la tragédie et la comédie, ensuite les œuvres poétiques et celles des moralistes, et enfin, le roman, avec un exemple, La Princesse de Clève.

La tragédie classique



Une tragédie représentative du classicisme, c'est bien Phèdre, de Racine. Alors je vous préviens quand même hein, ce n'est pas la perfection absolue du classicisme, mais ça permet de bien voir comment sont appliquées les règles classiques.

D'abord, Racine imite les Anciens : il s'inspire d'un mythe issu de l'antiquité grecque : Phèdre est la fille de Minos et Pasiphaé, petite fille d'Hélios, le dieu du soleil. Racine se base sur deux tragédies, celle de Sénèque, qui s'intitule aussi Phèdre, et celle d'Euripide, qui s'intitule Hippolyte porte-couronne.
Voici encore une tragédie dont le sujet est pris d’Euripide. Quoique j’aie suivi une route un peu différente de celle de cet auteur pour la conduite de l’action, je n’ai pas laissé d’enrichir ma pièce de tout ce qui m’a paru le plus éclatant dans la sienne.
Racine, Préface de Phèdre, 1677.

En plus de cela, Racine s'efforce de respecter toutes les règles héritées de La Poétique d'Aristote. Toute l'action se déroule dans un palais à Trézène, et l'unité de temps est respectée, avec une intrigue très concentrée autour d'une seule action, l'amour incestueux de Phèdre pour son beau-fils Hippolyte. En effet, cet amour est coupable, parce que Phèdre est marié à Thésée, et Hippolyte est son fils d'un précédent mariage avec une amazone.

Au début de la journée, Hippolyte décide de partir, et Phèdre a déjà l'intention de se suicider. Mais l'annonce de la mort de Thésée donne un nouvel espoir à Phèdre : elle va avouer son amour à Hippolyte. Mais l'arrivée de Thésée, que tout le monde croyait mort, précipite la fuite d'Hippolyte et le suicide de Phèdre, avant la fin de la journée.

L'intrigue est vraisemblable, car chaque personnage agit selon une logique qui lui est propre. L'amour extraordinaire de Phèdre s'explique par la malédiction de Vénus. Une seule exception peut-être, la mort d'Hippolyte, son précepteur Théramène raconte qu'un monstre marin a effrayé l'équipage du jeune homme, qui est mort, traîné par ses chevaux. Tout ce passage, mouvementé, dramatique, est d'une sensibilité baroque. Mais c'est un passage obligé de la mythologie, et l'astuce de Racine consiste à faire passer toute cette histoire par un discours rapporté.

De cette manière, Racine parvient également à respecter la bienséance, car Hippolyte ne meurt pas sur scène. Par contre, Phèdre, quant à elle, meurt lentement tout au long de la dernière scène. On est à la limite d'enfreindre la bienséance, mais heureusement, le sang ne coule pas ! Phèdre meurt empoisonnée.

Une autre excuse qu'on peut trouver à Racine, c'est que cette mort participe à l'unité d'action, c'est pour ainsi dire l'objet même de la pièce, puisqu'elle est annoncée dès le début. C'est le moment qui permet de créer l'effet de terreur et de pitié recherché sur le spectateur.
Je ne suis point étonné que ce caractère ait eu un succès si heureux du temps d’Euripide, et qu’il ait encore si bien réussi dans notre siècle, puisqu’il a toutes les qualités qu’Aristote demande dans le héros de la tragédie, et qui sont propres à exciter la compassion et la terreur. En effet, Phèdre n’est ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocente.
Racine, Préface de Phèdre, 1677.

Dans ce passage de sa préface, Racine fait allusion à un passage très précis de la Poétique où Aristote décrit le héros tragique :
Un homme qui n’a rien de supérieur par son mérite ou ses sentiments de justice, et qui ne doit pas à sa perversité et à ses mauvais penchants le malheur qui le frappe, mais plutôt à une certaine erreur qu’il commet pendant qu’il est en pleine gloire et en pleine prospérité ; tels, par exemple, Œdipe, Thyeste et d’autres personnages célèbres, issus de familles du même rang.
Aristote, Poétique, IVe siècle av.J.-C.

Pour provoquer la terreur, il faut que Phèdre soit punie d'une erreur, et en effet, elle avoue son amour à Hippolyte, alors qu'elle aurait dû atténuer sa passion. Mais en même temps, elle doit être suffisamment innocente pour susciter la pitié, et en effet, elle croyait que Thésée était mort, et elle n'est pas vraiment responsable de sa passion, puisqu'elle est inspirée par Vénus. Phèdre est une héroïne tragique parfaite, car son destin est fatal, inévitable, elle est écrasée par des forces qui la dépassent.

Enfin, on peut dire que Phèdre obéit bien au précepte d'Horace :
Il obtient tous les suffrages celui qui unit l'utile à l'agréable, et plaît et instruit en même temps.
Horace, Art poétique, III, 342-343.

Avec Phèdre, Racine nous montre un terrible malheur qui s'abat sur un personnage en proie à des passions dévorantes. C'est une morale qui est particulièrement bien en accord avec les valeurs du classicisme : garder la mesure en toute chose.

Une comédie classique



Quand Molière fait représenter L'École des Femmes, les spectateurs sont déroutés, car ils n'avaient jamais vu une comédie de cette forme ! Pour bien se rendre compte de leur étonnement, il faut savoir qu'à l'époque, la comédie, c'était surtout des farces, avec des plaisanteries grossières, du comique de situation, ou encore la commedia dell'arte avec des personnages stéréotypés et beaucoup d'improvisation.

Avec L'École des Femmes, Molière veut donner à la comédie une certaine dignité, il veut faire de la comédie un genre sérieux, et paradoxalement, c'est ça qui va choquer. D'abord, il écrit en alexandrins, et la pièce est structurée en 5 actes. Mais en plus, Molière va donner un véritable rôle social à sa comédie, avec une volonté d'instruire et d'élever le spectateur. C'est surtout le succès de cette pièce atypique qui fait que ses détracteurs vont la critiquer avec des critères que personne n'aurait songé à utiliser pour une farce !

Cette pièce a produit des effets tout nouveaux, tout le monde l'a trouvée méchante et tout le monde y a couru . Les dames l'ont blâmée et l'ont été voir. Elle a réussi sans avoir plu et elle a plu à plusieurs qui ne l'ont pas trouvée bonne. Mais, pour vous en dire mon sentiment, c'est le sujet le plus mal conduit qui fût jamais et je suis prêt de soutenir qu'il n'y a point de scène où l'on ne puisse faire voir une infinité de fautes.
Jean Donneau de Visée, Nouvelles nouvelles, 1663.

Les critiques sont variées : certains trouvent que les sous-entendus sont trop libertins. Notamment certains points de suspension, que je vais vous montrer tout de suite.

Agnès
Oh tant ! il me prenait et les mains et les bras,
Et de me les baiser il n'était jamais las.

Arnolphe
Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelqu'autre chose ?

Agnès
Il m'a pris… Vous serez en colère [...]

Arnolphe
[...] Diantre, que de mystère !
Que vous a-t-il pris ? [...]

Agnès
Le…

Arnolphe
Je souffre en damné !

Agnès
Il m'a pris le ruban que vous m'aviez donné !


Sinon, on reproche à Molière d'avoir mélangé les genres, car le vieil Arnolphe, amoureux malgré lui d'Agnès qui ne l'aime pas et qui a presque l'âge d'être sa fille, fait un peu penser à Phèdre, notamment lorsqu'il menace de se suicider.
Arnolphe
Jusqu’où la passion peut-elle faire aller !
Enfin à mon amour rien ne peut s’égaler :
Quelle preuve veux-tu que je t’en donne, ingrate ?
Me veux-tu voir pleurer ? Veux-tu que je me batte ?
Veux-tu que je m’arrache un côté de cheveux ?
Veux-tu que je me tue ? Oui, dis si tu le veux :
Je suis tout prêt, cruelle, à te prouver ma flamme.


Molière répond aux critiques en écrivant une pièce en 1 acte, qu'il intitule La Critique de l'École des Femmes. Pour lui, les trois unités, vraisemblance et bienséance ne sont pas le plus important : il met devant cela, le plaisir que prennent les spectateurs. Mais en même temps, il va affirmer que son École des Femmes respecte bien toutes les règles classiques :
Je dis bien que le grand art est de plaire, et que cette comédie ayant plu à ceux pour qui elle est faite, je trouve que c’est assez pour elle, et qu’elle doit peu se soucier du reste. Mais, avec cela, je soutiens qu’elle ne pèche contre aucune des règles dont vous parlez. Je les ai lues, Dieu merci, autant qu’un autre ; et je ferais voir aisément que peut-être n’avons-nous point de pièce au théâtre plus régulière que celle-là.
Molière, La Critique de l'École des Femmes, 1663.

En effet, si on examine la pièce, le lieu est toujours le même : « dans une place de ville ». Parfois, le metteur en scène peut décider de placer certaines scènes en intérieur, mais ce n'est pas obligatoire. Souvent d'ailleurs, il suffit de modifier l'éclairage, puisque la pièce commence le soir, se prolonge la nuit, et se termine le matin. Tout se passe en moins de 24h, avec la nuit où Horace, le jeune amant d'Agnès, vient la voir à sa fenêtre et tombe de son échelle.

Enfin, l'unité d'action est assurée par la présence d'Arnolphe dans pratiquement toutes les scènes. Toute la pièce vise à démontrer l'échec de sa stratégie qui consiste à épouser une femme sans intelligence pour être sûr qu'elle ne le trompera jamais.

Dans L'École des Femmes, Molière s'applique à montrer une leçon de morale en action : le vieil Arnolphe est trop obsédé par la peur d'être cocu. Le sage Chrysalde représente l'honnête homme dans cette pièce, c'est lui qui fera la morale, à la fin de l'Acte IV :
Être avare, brutal, fourbe, méchant et lâche,
N’est rien, à votre avis, auprès de cette tâche ;
Et, de quelque façon qu’on puisse avoir vécu,
On est homme d’honneur quand on n’est point cocu.
[...]
Mettez-vous dans l’esprit qu’on peut du cocuage
Se faire en galant homme une plus douce image,
Que des coups du hasard aucun n’étant garant,
Cet accident de soi doit être indifférent,
Et qu’enfin tout le mal, quoi que le monde glose,
N’est que dans la façon de recevoir la chose ;
Car, pour se bien conduire en ces difficultés,
Il y faut, comme en tout, fuir les extrémités,


Finalement, Nicolas Boileau lui-même met fin au débat, en défendant la pièce de Molière dans ses Stances de l'École des Femmes :

En vain mille jaloux esprits
Molière, osent avec mépris
Censurer ton plus bel ouvrage ;
Sa charmante naïveté
S'en va, pour jamais, d'âge en âge
Enjouer la postérité.
[...]
Laisse gronder tes envieux,
Ils ont beau crier en tous lieux
Que c’est à tort qu’on te révère,
Que tu n’es rien moins que plaisant.
Si tu savais un peu moins plaire,
Tu ne leur déplairais pas tant.


Nicolas Boileau, Stances sur l'École des Femmes, 1663.

Les Moralistes



Les moralistes ne sont donc pas si éloignés du théâtre de Molière, car ils ont le même objectif : montrer des situations et des caractères dont ils vont se moquer, pour faire ressortir une règle de vie, une sagesse. Par exemple, dans le Corbeau et le Renard, La Fontaine illustre bien deux caractères atemporels, qui existent en tout temps : le flatteur, incarné par le renard et le flatté, incarné par le corbeau.

Chez Molière, Tartuffe est le personnage hypocrite par excellence, c'est même devenu un nom commun : on peut dire aujourd'hui de quelqu'un que c'est un Tartuffe. C'est une figure de style qu'on appelle l'antonomase : un nom propre est devenu un nom commun. Par exemple, un Dom Juan, un Hercule, etc.

La Fontaine fait aussi une œuvre de moraliste, en montrant les défauts des hommes peints sous les traits des animaux. Par exemple, on retrouve même le nom de tartuffe pour désigner le chat et le renard :
Le chat et le renard, comme beaux petits saints,
S'en allaient en pèlerinage.
C'étaient deux vrais tartufs, deux archipatelins
Deux francs patte-pelus qui, des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S'indemnisaient à qui mieux mieux.

La Fontaine, Les Fables, « Le Chat et le Renard », 1668-1694.

« Archipatelins » est un mot inventé par La Fontaine : ces deux animaux sont bien pires que le maître Pathelin. Il fait référence à un personnage d'une farce médiévale : le maître Pathelin est un avocat rusé qui parvient à tromper son drapier, afin de se faire un costume sans payer.

Le mot « patte-velus » est aussi une invention de La Fontaine, c'est une image : chez le chat notamment, les griffes sont cachées par la fourrure qui donne l'impression de la douceur.

Parmi les moralistes, vous avez également La Bruyère qui rédige une galerie de portraits très drôles : Les Caractères. Chaque personnage représente un excès. Chez La Bruyère, le faux dévot est parfaitement représenté par un personnage qui s'appelle Onuphre.
S'il entre dans une église, il observe d'abord de qui il peut être vu ; et selon la découverte qu'il vient de faire, il se met à genoux et prie, ou il ne songe ni à se mettre à genoux ni à prier. Arrive-t-il vers lui un homme de bien et d'autorité qui le verra et qui peut l'entendre, non seulement il prie, mais il médite, il pousse des élans et des soupirs ; si l'homme de bien se retire, celui-ci, qui le voit partir, s'apaise et ne souffle pas. [...] Il évite une église déserte et solitaire, où il pourrait entendre deux messes de suite, le sermon, vêpres et complies, tout cela entre Dieu et lui, et sans que personne lui en sût gré : il aime la paroisse, il fréquente les temples où se fait un grand concours ; on n'y manque point son coup, on y est vu.
La Bruyère, Les Caractères, 1687.

La Poésie classique



Les Fables de La Fontaine font bien partie des œuvres poétiques du XVIIe siècle, rédigées en vers et rimées. Les Fables de La Fontaine sont typiquement classiques, d'abord parce que c'est une œuvre d'imitation, La Fontaine s'inspire des Fables d'Ésope. Mais c'est aussi une oeuvre qui met en valeur la tempérance et l'humilité :
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire ?
Cependant il advint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

La Fontaine, Les Fables, « Le Lion et le Rat », 1678.

Les alexandrins sont parfaitement équilibrés, coupés à l'hémistiche : ce sont des alexandrins classiques. Les octosyllabes permettent de mettre en valeur des formules simples, claires et précises. Ce n'est pas étonnant que les morales de La Fontaine soient devenues de véritables proverbes : elles sont atemporelles, au présent de vérité générale, et rédigée dans ce style clair que Boileau recommande dans son Art Poétique :
Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.

Nicolas Boileau, Art Poétique, 1674.

Pour Boileau, le grand modèle indépassable de la poésie, c'est Malherbe. Il est moins connu aujourd'hui, mais pour cette raison, il est impossible de ne pas le citer parmi les grands poètes de la période classique. Avant d'écouter du Malherbe, voici d'abord ce que Boileau en dit dès les premiers vers de son Art Poétique :

Enfin Malherbe vint, et, le premier en France,
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux règles du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée.
N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée.

Nicolas Boileau, Art Poétique, 1674.

On peut relever notamment l'importance que Boileau donne au rythme, au choix des mots, aux contraintes de la métrique, et à l'harmonie : il ne faut rien de rude à l'oreille. Hé bien on peut mettre en parallèle ces choix qui sont fait en poésie, et les jardins à la française : la nature est ordonnée, apaisée, rendue harmonieuse à l'oeil. C'est justement le thème d'un poème de Malherbe.

Beaux et grands bâtiments d'éternelle structure,
Superbes de matière, et d'ouvrages divers,
Où le plus digne roi qui soit en l'univers
Aux miracles de l'art fait céder la nature.

Beau parc, et beaux jardins, qui dans votre clôture,
Avez toujours des fleurs, et des ombrages verts,
Non sans quelque démon qui défend aux hivers
D'en effacer jamais l'agréable peinture.

Lieux qui donnez aux coeurs tant d'aimables désirs,
Bois, fontaines, canaux, si parmi vos plaisirs
Mon humeur est chagrine, et mon visage triste :

Ce n'est point qu'en effet vous n'ayez des appas,
Mais quoi que vous ayez, vous n'avez point Caliste :
Et moi je ne vois rien quand je ne la vois pas.


François de Malherbe, Sonnet à la vicomtesse d’Auchy, 1608.

Dans ce poème, on retrouve la forme du sonnet, deux quatrains, deux tercets, qui se termine en pointe. Les rimes masculines sont alternées avec les rimes féminines (les rimes qui se terminent avec un -e muet sont dites féminines). Les valeurs du classicisme sont bien présentes ici : la beauté est intemporelle, la nature est domptée par l'art, la beauté est harmonieuse et agréable. C'est au contraire le désordre des passions, comme la passion amoureuse par exemple, qui rend rend aveugle, trouble l'âme et rend triste.

Oeuvres narratives



L'exemple le plus parlant de roman classique au XVIIe siècle, c'est sans conteste La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette. Pourquoi est-ce qu'on peut parler de roman classique ? D'abord parce que c'est un roman très court. Il faut savoir qu'à l'époque c'était la mode des romans fleuves : L'Astrée d'Honoré d'Urfé fait plus de 5000 pages, Le Grand Cyrus de Mlle de Scudéry, plus de 13 000 pages ! Alors que La Princesse de Clèves reste autour de 200 pages. C'est donc une petite histoire qui est, comme un sonnet ou une tragédie, entièrement tournée vers une pointe : le choix de Madame de Clèves de terminer sa vie dans un couvent.

La règle des trois unités n'a pas vraiment de sens dans le roman, car le temps de lecture n'est pas comme au théâtre un temps circonscrit par la représentation sur scène. Et pourtant, l'histoire de la princesse de Clève est fulgurante, elle se déroule sur moins d'un an. Pour vous en rendre compte, laissez-moi vous en faire un petit résumé.

Mademoiselle de Chartres se marie avec le prince de Clèves, mais elle tombe malheureusement amoureuse du duc de Nemours dont elle va repousser les avances. Elle préfère quitter la cour pour éviter de le voir, et elle va donc se retirer dans sa maison de Coulommiers. Mais lorsqu'elle avoue à son mari qu'elle en aime un autre, celui-ci meurt de chagrin. Devenue veuve, la princesse de Clèves ne peut pas accepter d'épouser celui qu'elle aime, elle préfère se retirer dans un couvent.

On voit que les lieux sont limités, et ils ont un sens bien précis dans l'intrigue : la cour d'Henri II, lieu mondain où les désirs se font pressants. À l'opposé, la maison de Coulommiers, lieu de retraite et de calme, à l'écart de la vie tumultueuse de la cour. L'intrigue est entièrement centrée sur la relation de la princesse de Clèves avec le Duc de Nemours, avec lequel elle n'échange presque pas. Toute leur relation est résumée dans la tirade finale de la jeune femme :
Je sais bien qu'il n'y a rien de plus difficile que ce que j'entreprends, [...] je me défie de mes forces au milieu de mes raisons. Ce que je crois devoir à la mémoire de monsieur de Clèves serait faible, s'il n'était soutenu par l'intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d'être soutenues de celles de mon devoir. Mais quoique je me défie de moi-même, je crois que je ne vaincrai jamais mes scrupules, et je n'espère pas aussi de surmonter l'inclination que j'ai pour vous. Elle me rendra malheureuse, et je me priverai de votre vue, quelque violence qu'il m'en coûte. Je vous conjure, par tout le pouvoir que j'ai sur vous, de ne chercher aucune occasion de me voir. Je suis dans un état qui me fait des crimes de tout ce qui pourrait être permis dans un autre temps, et la seule bienséance interdit tout commerce entre nous.
Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1678.

Regardez cette phrase : « je n'espère pas aussi de surmonter l'inclination », c'est une double négation qui signifie : « je crains de succomber à cette inclination ». Ces précautions pour dire des choses très fortes, c'est exactement représentatif de l'esprit du classicisme. André Gide dira que :
Le classicisme tend tout entier vers la litote. C'est l'art d'exprimer le plus en disant le moins. C'est un art de pudeur et de modestie. Chacun de nos classiques est plus ému qu'il ne le laisse paraître d'abord.
André Gide, Incidences, Essais critiques, 1924.

Par la décision de s'éloigner définitivement du Duc de Nemours, la princesse de Clève met en pratique l’idéal classique de mesure et de raison : elle préfère résister à une passion trop forte, qui a déjà provoqué la mort de son mari, et dont elle sait par avance le caractère éphémère.

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⇨ XVIIe siècle ⏳ Les Chefs-d'œuvre du classicisme (PDF)