Couverture du livre XVIIe siècle de Mediaclasse

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Couverture pour XVIIe siècle

Histoire littéraire du XVIIe siècle
Caractéristiques du classicisme



Caractéristiques



Quelles sont les caractéristiques du classicisme ? J'ai décidé de faire un tour d'horizon en cinq parties :
> L'imitation des Anciens
> Le souci du Naturel implique des règles strictes
> La Raison et le souci de la vérité
> La Mesure et l'idéal de l'honnête homme
> Plaire et instruire

Imitation des Anciens



Dans le souci de s'inscrire dans l'éternité, les auteurs classiques du XVIIe siècle s'attachent à inventer une littérature en français, à partir de l'imitation des Anciens. D'abord par une démarche de traduction, et ensuite avec le désir de réinventer, de réinvestir les mythes classiques pour mieux se les approprier.

L'imitation des Anciens se base sur une première idée qui est très bien exprimée par La Bruyère :
Tout est dit, et l’on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent. Sur ce qui concerne les mœurs, le plus beau et le meilleur est enlevé ; l’on ne fait que glaner après les Anciens.
La Bruyère, Les Caractères, I, 1, 1688.

Deuxième idée importante chez les classiques : la beauté est une valeur absolue, immuable. Il faut donc s'atteler à poursuivre cette recherche qui a été menée par les grands poètes de l'antiquité, Homère et Virgile. Par exemple, Racine s'inspire de Sénèque quand il écrit Phèdre, Molière s'inspire des comédies de Plaute, et La Fontaine s'inspire des Fables d'Ésope quand il écrit ses propres Fables.

Mais cette recherche d'une beauté transcendante n'est pas une imitation servile, La Fontaine explique cela très bien dans son Épître à Huet :
Quelques imitateurs, sot bétail, je l'avoue,
Suivent en vrais moutons le pasteur de Mantoue
J'en use d'autre sorte ; et, me laissant guider,
Souvent à marcher seul j'ose me hasarder.
On me verra toujours pratiquer cet usage
Mon imitation n'est point un esclavage
Je ne prends que l'idée, et les tours, et les lois,
Que nos maîtres suivaient eux-mêmes autrefois,

La Fontaine, Épître à Huet, 1687.

C'est visible également dans d'autres formes d'art, comme la peinture et la sculpture. Regardez comment Claude Lorrain représente Apollon, le dieu des arts, entouré des muses… La composition est équilibrée, la seule construction humaine est un temple antique, qui se fond dans une Nature intemporelle. Par sa portée symbolique, ce tableau pourrait être vu comme une véritable métaphore du classicisme.

Pour la sculpture, on peut aller se promener dans les jardins du château de Versailles. Regardez par exemple comment Girardon et Regnaudin représentent eux aussi Apollon accompagné de cinq nymphes, dans la grotte du Bosquet des bains d'Apollon, cette œuvre date de 1664.

Ainsi, les artistes classiques ne créent pas en leur nom propre, ils créent au nom de la beauté. Ils doivent donc faire preuve d'humilité. Le créateur inspiré qui révolutionne l'art dans un accès de génie, c'est typiquement une conception romantique de l'artiste, qui viendra plus tard, au cours du XIXe siècle. Au XVIIe siècle au contraire le travail de l'écrivain classique est plutôt comparé à celui de l'artisan. Voilà ce qu'en dit Nicolas Boileau dans son Art Poétique :
Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :
Polissez-le sans cesse et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.

Nicolas Boileau, Art Poétique, chant I, 1674.

Au XXe siècle, cette qualité est remise à l'honneur par certains écrivains qui veulent faire une synthèse après les excès du romantisme. C'est le cas par exemple d'André Gide :
Il me semble que les qualités que nous nous plaisons à appeler classiques sont surtout des qualités morales, [...] dont la première est la modestie. Le romantisme est toujours accompagné d'orgueil, d'infatuation. La perfection classique implique, non point certes une suppression de l'individu [...] mais [...] sa subordination, et celle du mot dans la phrase, de la phrase dans la page, de la page dans l'œuvre. C'est la mise en évidence d'une hiérarchie.
André Gide, Incidences, Essais critiques, 1924.

Le souci du Naturel implique des règles strictes



Cette profonde croyance en une beauté unique et intemporelle laisse entendre qu'elle se trouverait à l'état pur au sein de la Nature, et que les Anciens se seraient eux-même contentés d'en découvrir les grands principes. Voilà ce qui explique l'importance de l'harmonie, de l'équilibre et du naturel dans les oeuvres classiques. Vous allez voir que ce sont ces principes qui sont à l'origine des grandes règles du théâtre classique.

> La Vraisemblance : l'action doit être crédible aux yeux du spectateur, elle ne doit pas choquer la raison, car la beauté est intimement liée à la vérité. Mais Boileau ajoute une nuance :
Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable :
Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.
Une merveille absurde est pour moi sans appas :
L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas.

Nicolas Boileau, Art Poétique, chant III, 1674.

L'important, ce n'est pas la réalité, ce qu'il appelle le vrai, mais la vraisemblance. Par exemple, l'histoire du Cid, qui épouse Chimène, après avoir assassiné son père, est une histoire véridique, et pourtant, considérée comme invraisemblable. Voilà pourquoi Corneille prend des précautions importantes : le mariage est envisagé mais il n'est pas représenté à la fin de la pièce. Malgré cela, ce point sera considéré comme une faute par l'Académie française. À partir de la querelle du Cid, l'Académie française qui vient tout juste d'être fondée en 1634 par Richelieu, devient garante du respect de ces règles.

> La bienséance est liée à cette première raison : ne pas choquer le spectateur. Mais elle ajoute une 3e valeur : le beau, le vrai, le bon. Ce qui est beau est vrai ne saurait être autrement que vertueux. C'est précisément ce point qui sera remis en cause par un certain Baudelaire dans les Fleurs du Mal par exemple. Mais pour l'instant, au XVIIe siècle, ce sont trois valeurs intimement liées. Il ne faut pas choquer le spectateur avec des scènes de violence ou d'intimité physique.

Dans Phèdre par exemple, la mort d'Hippolyte n'est pas montrée, mais rapportée par un messager. De même pour le suicide d'Oenone. Mais Racine n'obéit pas jusqu'au bout à cette règle de la bienséance, parce que Phèdre meurt sur scène devant les yeux du spectateur. Cependant, elle meurt empoisonnée, ce n'est pas une mort sanglante, et Racine prend soin de préparer le spectateur à cette mort particulièrement lente, puisque Phèdre absorbe le poison très certainement à la fin du quatrième acte.

> La règle des trois unités vise aussi à renforcer l'illusion théâtrale. Le spectateur immobile ne doit pas être transporté dans des lieux variés. La pièce qui dure le temps d'une représentation ne doit pas représenter un temps trop long. Et enfin, l'esprit qui est concentré sur une intrigue ne doit pas être éloigné de l'action principale.

Dans sa poétique, Aristote parle seulement de l'unité d'action et de l'unité de temps. L'unité de lieu va se mettre en place progressivement au XVIIe siècle, surtout pour des raisons matérielle : il n'est pas simple de changer sans cesse de décor au cours d'une même représentation !

Je vous confie maintenant les passages les plus célèbres de la Poétique d'Aristote, attention, on est en présence d'un texte traduit du grec, qui date du IVe siècle avant Jésus Christ ! Voici le passage qui parle de l'unité de temps :
La tragédie s’applique, autant que possible, à rester dans une seule révolution solaire, ou à ne la dépasser que de peu de chose, tandis que l’épopée n’est pas limitée par le temps, ce qui fait une nouvelle différence.
Aristote, Poétique, comparaison de la tragédie et de l'épopée, IVe siècle avant J.-C.

Et voici maintenant la citation qui concerne l'unité d'action, c'est une citation fondamentale, je vous conseille de la connaître par cœur !
La tragédie est l’imitation d’une action grave et complète, ayant une certaine étendue, présentée dans un langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste séparément, se développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d’une narration, et opérant par la pitié et la terreur la purgation des passions de la même nature.
Aristote, Poétique, Comparaison de la tragédie et de l'épopée, IVe siècle avant J.-C.

Dans ce passage, vous voyez qu'Aristote va plus loin que la simple unité d'action : il développe l'idée que la tragédie montre des actions directement sous les yeux des spectateurs, ce n'est pas une narration, c'est une représentation. Et il ajoute que la pitié et la terreur sont nécessaires à la purgation des passions. C'est la notion de catharsis. On voit bien comment ces règles sont dirigées vers un objectif qui est d'élever et d'instruire l'auditoire.

Écoutez maintenant comme Nicolas Boileau retranscrit en alexandrin cette règle des trois unités dans son Art Poétique :
Un rimeur, sans péril, delà les Pyrénées,
Sur la scène en un jour renferme des années :
Là souvent le héros d’un spectacle grossier,
Enfant au premier acte, est barbon au dernier.
Mais nous, que la raison à ses règles engage,
Nous voulons qu’avec art l’action se ménage ;
Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli.

Nicolas Boileau, Art poétique, Chant III, 1674.

Les écrivains classiques se basent également sur le grand poète latin Horace, qui a aussi écrit un Art Poétique. Au-delà de l'unité d'action, c'est la cohérence globale du ton de l'oeuvre qui est préconisée :
Si un peintre attachait un cou de cheval à une tête humaine, et revêtait de plumes variées des membres pris çà et là, de façon qu’un beau torse de femme se terminât en noir poisson, pourriez-vous, amis, ne point rire, admis à un tel spectacle ? [...] Il serait semblable à ce tableau, le livre qui retracerait de vaines images, telles que des songes de malade, où ni les pieds, ni la tête ne se rapporteraient à une figure unique. Sans doute le droit d’oser a toujours été commun aux peintres et aux poëtes ; [...] mais non, cependant, au point d’unir la colère à la tranquillité, d’accoupler les serpents et les oiseaux ; les agneaux et les tigres. [...] Que tout poëme, enfin, soit simple et un.
Horace, Art Poétique, Ier siècle avant J.-C.

Mais certains auteurs comme Molière vont essayer de nuancer ces règles. Il ne s'agit pas tant d'obéir aveuglément à des principes, que de trouver les meilleurs moyens de plaire aux spectateurs.
Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles dont vous [...] nous étourdissez tous les jours. [...] ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l’on prend à ces sortes de poèmes ; et le même bon sens qui a fait autrefois ces observations les fait aisément tous les jours, sans le secours d’Horace et d’Aristote. Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire, et si une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin.
Molière, Critique de l'École des Femmes, 1663.

La Fontaine, qui est pourtant du côté des Anciens, écrit lui-même que le plus important, c'est de faire une oeuvre agréable :
Le secret de plaire ne consiste pas toujours en l’ajustement ; ni même en la régularité : il faut du piquant et de l’agréable, si l’on veut toucher. Combien voyons-nous de ces beautés régulières qui ne touchent point, et dont personne n’est amoureux ?
La Fontaine, Préface des Contes, deuxième partie, 1666.

La Raison



En continuant à marcher dans les jardins du château de Versailles, on voit bien que ce n'est pas une nature chaotique : au nom de l'harmonie et de l'équilibre, l'artiste met de l’ordre dans cette Nature. Ces jardins, mis en coupes réglées, c'est ce qu'on appelle les jardins à la française.

Mais certains endroits cachés sont réservés à une beauté baroque. Le baroque, c'est l'opposé du classicisme : les formes sont chaotiques, on privilégie le mouvement, les effets dramatiques. Par exemple, la fontaine de l'Encelade représente les Titans ensevelis sous des pierres car ils ont désobéi à Jupiter. Cette fontaine est une mise en garde des nobles : s'ils se rebellent contre le roi, Louis XIV fera tout pour les écraser. Mais ces endroits luxuriants sont eux-mêmes inscrits dans un ensemble plus grand et ordonné.

Louis XIV est un roi de l'ordre, et les jardins montrent qu'il maîtrise la Nature et même les saisons. les quatre saisons font partie de la grande commande, qui est faite par Louis XIV lui-même pour les jardins de son château de Versailles, en 1674. Les sculpteurs sont Girardon, Le Hongre, Magnier, Regnaudin...

En littérature, cet ordre se retrouve typiquement dans la métrique. Les écrivains utilisent l'alexandrin, c'est-à-dire, des vers de douze pieds, qu'on appelle le mètre classique, même pour exprimer les émotions les plus déchirantes et les plus désordonnées. La rime est aussi un principe d'organisation de la pensée. Écoutez comment Nicolas Boileau en parle dans son Art Poétique :
Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant, ou sublime,
Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime :
L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ;
La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir.
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue ;
Au joug de la raison sans peine elle fléchit.
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit.
Mais lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle ;
Et pour la rattraper le sens court après elle.
Aimez, donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.

Nicolas Boileau, Art Poétique, chant I, 1674.

Cette importance de l'ordre et de la raison prend sa source dans une évolution de la pensée qui est propre à cette époque. Vous connaissez certainement le procès de Galilée, dont la théorie de l'héliocentrisme est condamnée par l'Église. À l'époque, chacun pensait que la terre était immobile au centre de l'univers, et soudainement, cet astronome remettait en cause ce système millénaire, pour expliquer que la terre tournait autour du soleil.

Il est difficile de se rendre compte à quel point cette idée provoque un bouleversement de la pensée : l'homme n'est plus le centre de l'univers, il n'est plus la mesure de toute chose, et donc, d'une certaine manière, il n'est plus la créature privilégiée de Dieu, pour qui toute la création a été faite… L'homme est obligé de tourner ses regards sur le monde pour le comprendre en mobilisant, non plus sa foi, mais la Raison.

C'est un débat qui mobilise les penseurs et les scientifiques : il faut absolument trouver une méthode scientifique qui permettrait de distinguer la superstition, la véritable foi, et la raison. La religion en elle-même n'est pas remise en cause, mais les préceptes et les dogmes traditionnels sont attaqués, les protestants et les jansénistes dénoncent une part de superstition dans le catholicisme.

Blaise Pascal, élevé chez les jansénistes à Port-Royal, écrit de nombreuses pensées où il essaye de concilier la Raison et la Foi :
Il n’y a rien de si conforme à la raison que le désaveu de la raison dans les choses qui sont de foi : et rien de si contraire à la raison que le désaveu de la raison dans les choses qui ne sont pas de foi. Ce sont deux excès également dangereux, d’exclure la raison, de n’admettre que la raison. La foi dit bien ce que les sens ne disent pas, mais jamais le contraire. Elle est au-dessus, et non pas contre.
Blaise Pascal, Pensées, « V. Soumission et usage de la Raison », 1669.

René Descartes, dans son Discours de la Méthode, se base sur la Raison et le bon sens pour essayer de déterminer ce qui peut être affirmé avec certitude :
La puissance de bien juger, et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses.
René Descartes, Discours de la Méthode, 1637.

Malgré la condamnation finale de Galilée, ce grand débat entre les théologiens et les scientifiques a eu le mérite de développer le raisonnement logique, et la méthode expérimentale.

La Mesure



La Raison s'oppose à la superstition, mais elle s'oppose aussi aux passions. Et du coup, elle devient synonyme de tempérance et de mesure. Écoutez par exemple ce que le poète Malherbe écrit au début du XVIIe siècle :
C'est assez, mes désirs, qu'un aveugle penser,
Trop peu discrètement vous ait fait adresser
Au plus haut objet de la terre ;
Quittez cette poursuite, et vous ressouvenez
Qu'on ne voit jamais le tonnerre
Pardonner au dessein que vous entreprenez.

Quelque flatteur espoir qui vous tienne enchantés,
Ne connaissez-vous pas qu'en ce que vous tentez
Toute raison vous désavoue ?
Et que vous m'allez faire un second Ixion,
Cloué là-bas sur une roue,
Pour avoir trop permis à son affection ?

Malherbe, Poésies, « C'est assez, mes désirs », 1616.

Le tonnerre, c'est-à-dire Dieu lui-même, ne tolère pas la démesure, c'est une faute. On trouve bien cette idée dans la Bible, dans l'épisode de la tour de Babel. Vous connaissez certainement ce passage : les hommes veulent construire une tour tellement haute qu'elle pourra atteindre le ciel. Pour les punir, Dieu les divise en leur donnant des langues différentes. Les hommes se dispersent, et la construction est abandonnée.

Or, justement, ce que font les auteurs classiques, c'est unifier les dialectes de la France autour d'une langue commune rénovée. Mais s'ils le font, c'est dans une perspective mesurée, ils doivent rester humbles, travailler avec modestie, se garder du péché d'orgueil.

On retrouve la même idée de démesure chez les Anciens, dans la notion grecque d'hybris : par exemple, Tantale qui a voulu tromper les dieux, est envoyé aux Enfers.

On retrouve donc cette idée dans les œuvres classiques. Tous les personnages excessifs sont punis d'une manière ou d'une autre. Par exemple, Phèdre, incapable de dompter sa passion pour son beau-fils Hippolyte, sera amenée progressivement au suicide.
Arrête, Phèdre, arrête, et cours plutôt cacher
Un secret que l’amour commence à t’arracher ;
Et vous, cruels tyrans, impétueuse flamme,
Gloire, dépit, raison, qui déchirez mon âme,
Secret fardeau pesant qui me fait soupirer,
Hélas ! Pour un moment, laissez-moi respirer.

Racine, Phèdre, 1677.

On retrouve le même schéma chez Molière. Le faux dévot Tartuffe met en péril une famille entière à cause de son hypocrisie et de son appât du gain : il sera envoyé en prison. Le Misanthrope, au contraire, déteste l'hypocrisie, mais du coup, il est incapable d'adoucir ses paroles et d'accepter la vie en société, il finira en ermite, exilé loin des autres. Le personnage de Dom Juan, le plus démesuré des personnages de Molière, sera foudroyé par Dieu lui-même.

On le voit à travers tous ces exemples : l'idéal classique pose sans cesse la question de la vie en société. Vous savez que la cour de Louis XIV est un contexte social très particulier, où chaque geste est regardé, pesé et jugé. Il en ressort des valeurs communes, et une réflexion très active sur l'idéal de l'honnête homme, celui dont les qualités en font une personne de parfaite compagnie.

L’honnête homme tient le milieu entre l’habile homme et l’homme de bien, quoique dans une distance inégale de ces deux extrêmes.
La Bruyère, Les Caractères, 1688.

Dans ses Caractères, La Bruyère fait une satire subtile de personnalités qu'on peut rencontrer à la cour. C'est une galerie de caricatures, où tous les excès sont tournés en ridicule. Mais en creux, c'est justement la mesure qui est mise en valeur :
J’entends Théodecte de l’antichambre ; il grossit sa voix à mesure qu’il s’approche. Le voilà entré : il rit, il crie, il éclate ; on bouche ses oreilles, c’est un tonnerre ; il n’est pas moins redoutable par les choses qu’il dit, que par le ton dont il parle : il ne s’apaise, il ne revient de ce grand fracas que pour bredouiller des vanités et des sottises. Il a si peu d’égard au temps, aux personnes, aux bienséances, que chacun a son fait sans qu’il ait eu intention de le lui donner ; il n’est pas encore assis qu’il a, à son insu, désobligé toute l’assemblée.
La Bruyère, Les Caractères, 1688.

L'honnête homme n'est pas seulement un homme honnête, c'est une personne qui a parfaitement intégré toutes les règles de savoir vivre et de civilité. Ouvert et curieux, il a du goût mais il ne s'étale pas de manière ostentatoire. Sociable, il est agréable et poli, il sait mêler le divertissement et la profondeur.

Plaire et instruire



En nous montrant les qualités de l'honnête homme, les auteurs classiques font une œuvre utile. Mais on a vu que le plus souvent ils nous montrent même plutôt des défauts : l'honnête homme n'apparaît qu'en creux. Molière explique bien cela dans la Préface de Tartuffe :
Les plus beaux traits d’une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire ; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. C’est une grande atteinte aux vices, que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre aisément des répréhensions ; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant ; mais on ne veut point être ridicule.
Molière, Préface de Tartuffe, 1664.

C’est un poète du 17e siècle pas très connu, Jean de Santeul, qui a inventé l’expression « castigat ridendo mores » : corriger les moeurs par le rire... Cette petite maxime en latin va connaître un tel succès qu'elle deviendra la devise de la comédie classique, et on la trouve même inscrite au fronton du théâtre d'Angoulême.

Pour les auteurs du XVIIe siècle, le summum de l'art consiste à allier le bien, le beau et le bon. Le rire est le moyen de la Comédie, mais d'autres genres utilisent des moyens différents. La tragédie a recours à la catharsis d'Aristote : la représentation des passions sur scène permet d'élever les âmes des spectateurs. On a vu l'exemple de Phèdre.

Corneille, dans son Discours de l'utilité et des parties du poème dramatique, émet des critiques à l'égard de cette purgation des passions selon Aristote. Pour Aristote, il faut bien que le Héros soit victime de ses passions, pour en donner le spectacle qui provoquera la terreur et la pitié. C'est là que Corneille n'est pas tout à fait d'accord, pour lui au contraire, plus le héros est vertueux, mieux ça marche :
L’exclusion des personnes tout à fait vertueuses qui tombent dans le malheur bannit les martyrs de notre théâtre. Polyeucte y a réussi contre cette maxime, et Héraclius et Nicomède y ont plu, bien qu’ils n’impriment que de la pitié, et ne nous donnent rien à craindre, ni aucune passion à purger, puisque nous les y voyons opprimés et près de périr, sans aucune faute de leur part dont nous puissions nous corriger sur leur exemple.
Corneille, Discours de l'Utilité et des parties du poème dramatique, 1660.

On le voit, Corneille met plutôt en valeur un procédé d'identification. Le spectateur se reconnaît dans le Héros, il aime voir des personnages vertueux, pour mieux les imiter ensuite. En tout cas, dans tous ces procédés, les dramaturges s'efforcent d'allier l'utile et l'agréable : ils suivent un précepte qui provient de la Poétique d'Horace :
Il obtient tous les suffrages celui qui unit l'utile à l'agréable, et plaît et instruit en même temps.
Horace, Art poétique, III, 342-343.

On retient parfois uniquement les deux mots latins : placere et docere, plaire et instruire.

Si on s'éloigne un peu du théâtre, Les Fables de La Fontaine vont dans le même sens : il y a toujours cette volonté de plaire et d'instruire en même temps, mais cette fois, on n'est plus dans la représentation, c'est la narration qui va captiver l'auditoire et faire passer le message.
Les fables ne sont pas ce qu’elles semblent être :
Le plus simple animal nous y tient lieu de maître.
Une morale nue apporte de l’ennui ;
Le conte fait passer le précepte avec lui.

La Fontaine, Les Fables, « le Pâtre et le Lion »

Ce sont ce qu’on appelle des apologues : des récits qui servent à démontrer un argumentaire, une leçon morale. D'ailleurs, c'est ce que fait Charles Perrault lui-même à la fin de ses contes : il leur donne une morale. Écoutez par exemple comment se termine Peau d' ne qu'il écrit en 1694 :
Il n’est pas malaisé de voir
Que le but de ce Conte est qu’un Enfant apprenne
Qu’il vaut mieux s’exposer à la plus rude peine
Que de manquer à son devoir ;
Que la Vertu peut être infortunée
Mais qu’elle est toujours couronnée ;

Charles Perrault, Les Contes, Peau d' ne, 1694.

Lorsque Perrault écrit ce conte, il a certainement en tête la fable de La Fontaine qui s'appelle Le pouvoir des Fables, et où il montre justement comment les histoires pour les enfants peuvent porter un message moral plus profond :
Dans Athène autrefois peuple vain et léger,
Un Orateur voyant sa patrie en danger,
Courut à la Tribune ; et d'un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutait pas : [...]
Le vent emporta tout ; personne ne s'émut. [...]
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
Cérès , commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l'Anguille et l'Hirondelle :
Un fleuve les arrête ; et l'Anguille en nageant,
Comme l'Hirondelle en volant,
Le traversa bientôt. L'assemblée à l'instant
Cria tout d'une voix : Et Cérès, que fit-elle ?
Ce qu'elle fit ? un prompt courroux
L'anima d'abord contre vous.
Quoi, de contes d'enfants son peuple s'embarrasse !
Et du péril qui le menace
Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet !
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ?
À ce reproche l'assemblée,
Par l'apologue réveillée,
Se donne entière à l'Orateur :
Un trait de fable en eut l'honneur.
Nous sommes tous d'Athène en ce point ; et moi-même,
Au moment que je fais cette moralité,
Si Peau d'âne m'était conté,
J'y prendrais un plaisir extrême,
Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant.

La Fontaine, Les Fables, « Le pouvoir des Fables »

[...]



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