Couverture pour XIXe siècle

Le mouvement romantique :
des sentiments nouveaux ?



L'artiste solitaire, tourmenté, méditant devant la Nature : souvent, on présente le mouvement romantique comme une réaction au rationalisme froid des Lumières…

Diderot lui-même nous confiait déjà son sentiment de mélancolie devant une toile d'Hubert Robert :
Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. [...] Un torrent entraîne les nations [...] au fond d'un abîme commun, moi seul je prétends m'arrêter sur le bord et fendre le flot qui s'écoule à mes côtés !
Diderot, Salon de 1767.

Cette vue imaginaire du Louvre, évoquant les ruines bien réelles de la Bastille, illustre bien comment la Raison des Lumières, en abattant l'ordre ancien de la société, a dessiné de nouvelles perspectives, suscitant des émotions et des aspirations encore inconnues…

Au début du XIXe siècle, toute une génération de jeunes gens aspire à la liberté, mais ils sont bloqués dans une société très inégalitaire. En France, les régimes politiques se succèdent, on cherche à rebâtir un sens que les certitudes de l'Ancien Régime n’assurent plus…

Or à ce moment-là, les règles issues du classicisme, héritées du XVIIe siècle, ont très peu évolué ! Les jeunes artistes se donnent alors un nouvel objectif : toucher le public de leur siècle, avec de nouveaux moyens d’expression, mais aussi, des sentiments inédits !

Comment le mouvement romantique s’est-il appliqué à répondre aux aspirations d’une génération en quête de sentiments nouveaux ?

1. Les aspirations d'une nouvelle génération



Au début du XIXe siècle, le théâtre est encore un genre très codifié. Les acteurs font tout pour remettre des émotions dans les anciennes tragédies ! C’est là que vont se faire entendre les nouvelles aspirations…

En 1823, Stendhal oppose Racine et Shakespeare, pour lui, le théâtre de Shakespeare, ignorant les règles classiques, est plus proche des goûts de la nouvelle génération. Stendhal appelle cela le romanticisme :
Le Romanticisme est l’art de présenter aux peuples les œuvres littéraires qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible. Le classicisme, au contraire, leur présente la littérature qui donnait le plus grand plaisir possible à leurs arrière-grands-pères.
Stendhal, Racine et Shakespeare, 1823.

En 1827, Victor Hugo synthétise l'Histoire des arts dans sa préface de Cromwell. Pour lui, la chute de l'Empire romain puis l'essor du christianisme ont révélé la petitesse de l'homme dans la Création, le grotesque aux côtés du sublime, la comédie aux côtés de la tragédie. C’est une idée qu’on retrouvera tout le temps chez Hugo : Quasimodo et Esmeralda dans Notre-Dame de Paris par exemple…

Mais pour le moment, il en tire alors de nouveaux principes pour le théâtre, s’opposant aux règles classiques : l'alexandrin est assoupli pour suivre les détours de la pensée. L'unité d'action supplante les autres unités, au nom de la vraisemblance :
Croiser l’unité de temps à l’unité de lieu comme les barreaux d’une cage, et y faire entrer toutes ces figures que la providence déroule dans la réalité ! C’est faire grimacer l’histoire.
Victor Hugo, Préface de Cromwell, 1827.

Victor Hugo rassemble alors les jeunes écrivains qui aspirent comme lui à la liberté dans l'art. Il forme « Le Cénacle » et applique ses principes dans une pièce extraordinaire, Hernani : un hors la loi est amoureux de la belle Doña Sol, convoitée par un roi, fiancée à un vieillard…

1830, le jour de la première représentation, les romantiques, « échevelés », applaudissent à tout rompre, couvrent les sifflets de ceux qu'ils appellent « les perruques » (qui sont plutôt des nobles et des académiciens) choqués dès le premier vers par l’alexandrin disloqué.
DOÑA JOSEFA. — Serait-ce déjà lui. [...] C’est bien à l’escalier
Dérobé. [...] Vite, ouvrons. [...] Bonjour, beau cavalier.

Victor Hugo, Hernani, 1830.

Théophile Gautier alors vêtu de son célèbre veston rouge, racontera plus tard cette bataille d'Hernani :
Nous avons eu l'honneur d'être enrôlé dans ces jeunes bandes qui combattaient pour l'idéal, la poésie et la liberté de l'art !
Théophile Gautier, Histoire du romantisme, 1870.

Dans ses Contemplations, Victor Hugo revient sur l’ambition qui l’animait alors : transposer la Révolution dans le domaine culturel.
Et sur les bataillons d’alexandrins carrés,
Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
Plus de mot sénateur ! plus de mot roturier !

Victor Hugo, Les Contemplations, 1856.

2. Une instabilité politique



Après la Révolution, de 1792 à 1795, le gouvernement de la Convention fonde la Ière République, instaure le culte de la Raison, met en place un nouveau calendrier révolutionnaire, et ouvre une ère de Terreur.

1804, un roturier, parti de rien, devenu général Bonaparte, se fait couronner Empereur et devient Napoléon Ier… Toute la génération romantique sera marquée par son épopée extraordinaire… Mais leurs rêves de gloire s’arrêtent définitivement avec Waterloo en 1815.

Dans Le Rouge et le Noir de Stendhal, Julien Sorel garde en secret un portrait de Napoléon, son modèle d'ambition. Il abandonne ses rêves de gloire militaire (le rouge) pour une carrière religieuse (le noir).

De 1814 à 1830, c'est la Ière Restauration. Est-ce que vous imaginez ? Louis XVIII, le propre frère de Louis XVI, décapité 22 ans plus tôt, monte sur le trône ! Mais certains acquis de la Révolution restent solides : ses pouvoirs sont limités par une « Charte constitutionnelle ».

Chateaubriand, déjà célèbre, ministre d’État, royaliste mais critique, écrit une diatribe qui se termine par : « Vive le roi, quand même ! ». Démis de ses fonctions, il fonde son journal Le Conservateur en 1818. À ce moment, Victor Hugo n’a que 17 ans, mais il veut déjà devenir « Chateaubriand ou rien » : il fonde Le Conservateur littéraire en 1819.

Après Louis XVIII, en 1825, c’est Charles X. Victor Hugo l’interpelle dans son Dernier jour d’un Condamné : parfait exemple de littérature romantique engagée, où chaque argument est lié à une émotion.

Du 27 au 29 juillet 1830, c'est la Révolution des « Trois Glorieuses », Charles X est renversé, le drapeau blanc est remplacé par un drapeau tricolore… La Liberté guidant le peuple de Delacroix est une parfaite allégorie romantique !

Suite aux 3 Glorieuses, Louis-Philippe Ier devient « Roi des Français » et non plus « Roi de France ». Cette monarchie constitutionnelle sera balayée par une autre Révolution, celle de février 1848. C'est à ce moment-là que Lamartine entre en politique et participe à la Constituante qui fonde la 2e République.

Le premier président de la République française élu le 10 décembre 1848 au suffrage universel masculin avec près de 75% des voix sera Louis-Napoléon Bonaparte (neveu de Napoléon Ier). Pour Lamartine, c'est un échec électoral : il se retire de la vie politique.

Mais 4 ans plus tard, en 1852 Louis-Napoléon fait un coup d'État et devient l'Empereur Napoléon III. Victor Hugo de son côté, absolument opposé à ce régime, s'exile à Jersey puis Guernesey où il écrit Les Châtiments :
​​J’accepte l’âpre exil, n’eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher à savoir et sans considérer
Si quelqu’un a plié qu’on aurait cru plus ferme,
Et si plusieurs s’en vont qui devraient demeurer.
Si l’on n’est plus que mille, eh bien, j’en suis ! Si même
Ils ne sont plus que cent, je brave encor Sylla ;
S’il en demeure dix, je serai le dixième ;
Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !

Victor Hugo, Les Châtiments, 1852.

Tous ces événements produisent une foule d’espoirs et de déceptions, Alfred de Musset parle d’un Mal du siècle :
Il restait [aux jeunes gens] [...] l’esprit du siècle, ange du crépuscule, qui n’est ni la nuit ni le jour. [...] La maladie du siècle présent vient de deux causes [...] : Tout ce qui était n’est plus ; tout ce qui sera n’est pas encore.
Alfred de Musset, La Confession d’un Enfant du Siècle, 1836.

Mais ce malaise n'est pas spécifiquement français. Cette grande remise en question politique, philosophique, spirituelle, touche toute l’Europe.

3. Un mouvement européen



D'abord, les pays européens subissent les événements qui se déroulent en France. La Révolution française provoque un exil de la noblesse dans les différentes cours d'Europe. Les conquêtes de Napoléon bousculent les frontières. Après Waterloo, le congrès de Vienne dessine le nouveau visage de l'Europe en 1815.

Et puis, les échanges économiques ont évolué. La machine à vapeur, qui est inventée par James Watt en 1769, rend possible la 1ère Révolution Industrielle. Pour faire fonctionner ces nouveaux outils, on emploie une main d’œuvre qui déserte les campagnes, et même des enfants :
Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules ?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules ;

Victor Hugo, Les Contemplations, « Melancholia », 1856.

En Angleterre, Dickens décrit aussi la misère qui touche les enfants dans Oliver Twist et David Copperfield… Pour échapper à la famine, Chatterton, jeune poète anglais de 17 ans, se suicide dans une mansarde londonienne. En France, Alfred de Vigny en fait une pièce où le poète-enfant symbolise l'artiste écrasé par une société matérialiste.

Des poètes anglais comme Shelley ou Keats marquent l'imaginaire des romantiques français. Byron, personnage charismatique et extravagant, meurt de la Malaria en allant soutenir les indépendantistes grecs.

La littérature de langue allemande s'oppose très tôt au rationalisme des Lumières. Le Sturm und Drang, précurseur, met en avant la Nature, la liberté, et la puissance parfois destructrice des passions. Il est représenté par Goethe ou encore Schiller :
Quel fou j'étais de vouloir retourner à ma cage ! Mon esprit a soif d'action, j'aspire à la liberté de tout mon souffle ! Brigands ! Ce mot seul suffit à mettre la loi sous mes pieds.
Schiller, Les Brigands, 1782.

Les Souffrances du Jeune Werther de Goethe, ce sont les lettres d'un jeune homme qui aime une femme pourtant déjà fiancée, Charlotte. Lorsqu'elle se marie, il se suicide. Toute une génération s'identifie aux personnages, imite leurs répliques et leurs costumes… On dit même que ce roman fut suivi d'une vague de suicides dans toute l'Europe.

Le cercle d’Iéna, autour des frères Schlegel, incarne ce qu’on appelle le premier romantisme allemand. Ils ont l’ambition de créer un genre poétique capable de tout relier par le génie créateur. Les fragments de Novalis expriment bien cette ambition :
La philosophie sonne comme la poésie, parce que tout cri dans le lointain devient une voyelle. Ainsi, dans l’éloignement [...] tout devient romantique, de là notre nature foncièrement poétique.
Novalis, Fragments, 1833.

Mme de Staël connaît bien l’Allemagne. Condamnée à l’exil par Napoléon, qui la considère comme une opposante politique, elle voyage beaucoup et à son retour, elle fonde un Salon à Coppet, en Suisse, où elle reçoit de nombreux intellectuels.

Dans son essai De l'Allemagne, elle fait prendre conscience aux écrivains français que l'imaginaire nordique et chevaleresque correspond mieux que les mythes antiques à leurs nouvelles aspirations :
[Alors que] la poésie classique doit passer par les souvenirs du paganisme pour arriver jusqu'à nous ; la poésie des Germains [...] ère chrétienne des beaux-arts [...] s'adresse immédiatement à notre cœur, [...] comme un fantôme [...] puissant et [...] terrible.
Germaine de Staël, De l'Allemagne, 1813.

Toutes les activités de Mme de Staël révèlent combien la volonté d’émancipation des femmes contribue au mouvement romantique.

4. Influences de l’émancipation féminine



Jane Austen se moque bien souvent du sentimentalisme de ses héroïnes et penche finalement pour la Raison… Et pourtant chez elle, le sentiment nourrit sans cesse le goût pour l’authenticité et la Liberté. Son œuvre illustre bien comment le romantisme intensifie les thèmes des Lumières !

Charlotte, Emily et Anne Brontë sont trois sœurs qui ont beaucoup écrit ensemble pendant leur enfance. Elles mettent en scène, chacune à sa manière, des personnages féminins emblématiques, qui luttent pour échapper à l'emprise de personnages masculins. Jane Eyre et Rochester, Cathy et Heathcliff dans Les Hauts de Hurlevents, Helen et Arthur Huntingdon dans La Recluse de Wildfell Hall.

En France, Marceline Desbordes-Valmore, utilise très volontairement le regard féminin sur l'amour pour affirmer sa différence poétique :
Ta voix, c'est vrai ! Se lève encor chérie
Sur mon chemin ;
Mais ne dis plus : « À toujours ! » je t'en prie ;
Dis : « À demain ! »

Marceline Desbordes-Valmore, Poèmes, « Un billet de femme », 1839.

Chez George Sand (nom de plume d’Aurore Dupin), l'émotion a un véritable rôle moral. Son Salon de Nohant, véritable point de convergence entre les arts, reçoit Flaubert, Balzac, Chopin, Delacroix…

Dans son premier roman, Indiana, une jeune femme créole isolée sur l’île Bourbon avec un mari brutal, trompée par un séducteur, renonce à la société, ce qui va provoquer un certain scandale à l'époque…

Cette présence des femmes de plus en plus importante dans les arts et les débats publics révèle bien une évolution profonde de la société à cette époque : la culture n’est plus réservée à une élite restreinte et masculine.

5. Une démocratisation de la culture



Juste après la Révolution française, en 1792, Condorcet propose à la Convention un projet d’instruction obligatoire et gratuite égale pour les garçons et les filles, et laïque… mais cela restera à l'état de projet.

Entre 1802 et 1806, Napoléon fonde des Université et Lycées impériaux qui lui permettent de former des élites parmi les classes roturières…

Sous la monarchie de juillet, la loi Guizot en 1833 généralise les écoles pour garçons sur le territoire. Les écoles pour filles seront développées avec la loi Falloux en 1849. Plus tard, avec la loi Jules Ferry en 1882, on visera désormais l'alphabétisation de chaque nouvelle génération !

En même temps se développe une presse populaire et bon marché : les journaux atteignent des records de publication. Les romans feuilletons font naître de nouveaux genres littéraires marqués par le romantisme : le roman d'aventure et d'anticipation avec Jules Verne, le roman historique avec Alexandre Dumas, le roman social avec Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, ou encore Les Misérables de Hugo.

Cela donne une nouvelle importance aux auteurs qui deviennent écrivains de métier, s'entourent de collaborateurs, participent à la vie publique… Mais en même temps, ils doivent captiver un public de plus en plus large, dépendent du monde des affaires pour leurs publications. Ils subissent la censure, des procès.

Cet enjeu de la liberté des auteurs favorise le mythe de l’écrivain génial et incompris, revendiquant le droit d’exprimer des idées étonnantes ou étranges, de suivre son inspiration. La Liberté, alliée à la Raison au XVIIIe siècle, s’est mise au service de la subjectivité !

Franz Liszt écrit un très bel article sur La situation des artistes dans la société en 1835 :
Apprendre [...] à la société insoucieuse et matérialiste [...] ce que sont ces hommes prédestinés , foudroyés et enchaînés qui ont ravi la flamme sacrée [...] ce serait une belle et noble tâche à accomplir !
Franz Liszt, De la situation des artistes et de leur condition dans la société, 1835.

6. L'expression de sentiments personnels



En 1820, Lamartine rencontre un succès inattendu avec ses Méditations Poétiques, qu’il écrit suite à la mort Julie Charles, qu'il surnomme Elvire. Cette poésie si personnelle émeut toute une génération…
Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,
Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé.

Lamartine, Méditations poétiques, 1820.

Le poète adresse ses émotions à une Nature qui est le reflet même de son âme, sans se préoccuper ni de modèles, ni de lecteurs.
Je n’imitais plus personne, je m’exprimais pour moi-même, ce n’était pas un art, c’était un soulagement de mon propre cœur, qui se berçait de ses propres sanglots.
Lamartine, préface des Méditations Poétiques, 1820.

Dans le romantisme, la douleur et l'absence déclenchent la parole poétique, le lyrisme (l'expression musicale de sentiments personnels) devient volontiers élégie (qui chante la douleur du deuil). On parle même d'un « lyrisme lamartinien » suite à ces Méditations poétiques.

Chateaubriand, lui, parle d’un vague des passions, qui amplifie la notion de mélancolie, sans en faire un « mal du siècle » comme Musset.
L’imagination est riche, abondante et merveilleuse ; l’existence pauvre, sèche et désenchantée. On habite avec un cœur plein un monde vide, et sans avoir usé de rien on est désabusé de tout.
Chateaubriand, Le Génie du Christianisme, « Du vague des Passions », 1802.

Chateaubriand décrit des sentiments perçus comme nouveaux : goût du mystère, élévation de l'âme vers l'infini, petitesse de l'être humain face à l'immensité du monde… Il avance alors que les mythes antiques, ne permettent pas d'exprimer ces sentiments : il faut selon lui puiser dans ce qu'il appelle, le génie du christianisme.

Les poètes romantiques reprendront ces images évoquées par Chateaubriand : l’architecture gothique imite une Nature grandiose qui élève notre âme…

Mais en s’éloignant ainsi des modèles classiques, ils vont surtout découvrir tout un imaginaire, non plus grec et latin, mais médiéval et nordique, qui va libérer leur inspiration.

7. Une liberté d'inspiration



Les écrivains romantiques vont sans cesse repousser les limites de cette liberté. Le romantisme frénétique par exemple, valorise l'inspiration et les sentiments extrêmes avant tout. Petrus Borel représente bien ce courant avec ses Contes Immoraux, ses récits de Loup-garous…

On a vu que le théâtre était à l’origine des revendications de liberté des romantiques. Après Victor Hugo, Alfred de Musset développe ce drame romantique, notamment avec Lorenzaccio. Et il va jusqu’à se libérer des contraintes de la mise en scène avec son Spectacle dans un fauteuil :
Mon livre, ami lecteur, t’offre une chance égale. [...]
Qu’il te déplaise ou non, ferme-le sans rancune ;
Un spectacle ennuyeux est chose assez commune,
Et tu verras le mien sans quitter ton fauteuil.

Alfred de Musset, Prologue de La Coupe et les Lèvres, 1863.

En poésie, les formes se diversifient. Dans Les Nuits, Musset dialogue avec sa muse : il ne s'agit plus comme aux siècles précédents, de surpasser des modèles mais d’exprimer une émotion unique :
S’il fallait maintenant parler de ma souffrance ?
Je ne sais trop quel nom elle devrait porter,
Si c’est amour, folie, orgueil, expérience,
Ni si personne au monde en pourrait profiter.

Alfred de Musset, Les Nuits, 1836.

Allant jusqu'au bout de cette liberté poétique, Aloysius Bertrand invente le poème en prose avec Gaspard de la Nuit. Et dès la préface, il compare son style au secret d’un tour de magie :
Si on demande à l’auteur pourquoi il ne parangonne point [...] quelque belle théorie littéraire, il [dira] que Polichinelle cache à la foule curieuse le fil conducteur de son bras.
Aloysius Bertrand, Préface de Gaspard de la Nuit, 1842.

Gaspard de la Nuit rencontre un alchimiste, des anges, des fées, une ondine, mêlant mysticisme, féérie et mythologie. Ce mélange d'univers disparates est bien une audace romantique…

Les Chimères sont justement des créatures composées de plusieurs animaux. Dans son recueil des Chimères, Gérard de Nerval associe le chant de la Sirène, le soupir de la Sainte et le cri de la Fée :
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

Gérard de Nerval, Les Chimères, « El Desdichado », 1854.

On retrouve souvent cette figure d'Orphée chez les romantiques, non pas comme modèle, mais comme libérateur d'inspiration… Ce poète mythique, descendu aux Enfers pour délivrer Eurydice, se retourne trop tôt et n'a que le temps de voir sa bien aimée disparaître…

Bientôt, ce deuil n’a plus d’objet précis : il devient un mal-être qui pousse les romantiques rechercher un ailleurs nostalgique et fantasmé :
Une voix du ciel semblait me dire : « Homme, [...] attends que le vent de la mort se lève, alors tu déploieras ton vol vers ces régions inconnues que ton cœur demande. » — Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d'une autre vie !
Chateaubriand, René, 1805.

8. La quête d'un ailleurs



La Grèce n’est plus le pays des modèles antiques, mais le pays où Byron se rend pour défendre la liberté, la porte vers un Orient magique qui représente une altérité fascinante.

Les campagnes d’Égypte de Napoléon ont marqué les esprits… Dans Les Orientales, Victor Hugo donne de l’Orient une image fantasmée, épique, et mystique… Tandis que les peintres orientalistes ramènent avec eux des toiles sublimes…
Je croyais rêver. J’avais tant de fois désiré voir l’Orient que je le regardai de tous mes yeux et croyant à peine ce que je voyais.
Delacroix, Journal de Voyage, 24 juillet 1832.

L’ailleurs géographique devient très vite aussi un voyage dans le temps. Dans Le Roman de la Momie, Théophile Gautier raconte la découverte du sarcophage de Tahoser : jeune femme égyptienne inspirant à son découvreur un amour défiant 3500 ans de distance…

A romance en Anglais, c'est un récit profane, un récit amoureux ou épique, parce qu’il est raconté en langue romane, c’est-à-dire, la langue vulgaire qui s’oppose au latin des textes sacrés.

Ivanhoé de Walter Scott par exemple, est sous-titré « a romance ». Wilfrid, compagnon d’armes de Richard Cœur de Lion se fait appeler Chevalier Déshérité (El Desdichado en Espagnol)...

En France, Alfred de Vigny raconte comment le marquis de Cinq-Mars échoue dans son complot contre Richelieu. L’auteur y voit une étape révélatrice d’une certaine déchéance de la noblesse…

Le roman historique est surtout illustré en France par Alexandre Dumas, avec des personnages charismatiques comme Le Comte de Monte-Cristo ou d'Artagnan qui est d'ailleurs l'étrange absent du titre qui ne mentionne que Trois Mousquetaires !

Mais l’ailleurs ultime, celui d'Orphée traversant l'Achéron, celui auquel Lamartine et le jeune Werther aspirent, c'est bien la mort elle-même :
Mais peut-être au-delà des bornes de sa sphère,
Lieux où le vrai soleil éclaire d’autres cieux,
Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,
Ce que j’ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !

Lamartine, Méditations poétiques, 1820.

Dans ses Contemplations, Victor Hugo pleure la mort de sa fille Léopoldine, noyée dans la Seine avec son mari en 1843. On trouve dans ce recueil l’espoir d’une vie après la mort, la tentative de communiquer avec l’au-delà, et même une exaltation de la métempsycose (une théorie de la réincarnation de l’âme).

Plus sobrement « Demain dès l’aube » évoque un voyage qui n’a qu’un tombeau pour destination.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.

Victor Hugo, Les Contemplations « Demain dès l’Aube », 1856.

9. Du fantastique à la folie



Da ns le romantisme noir, ce sont le surnaturel, l'ésotérisme et la magie qui redonneront au monde tout son mystère.

En Angleterre, le roman gothique est précurseur ! Ann Radcliffe, dès la fin du XVIIIe siècle, développe déjà des ambiances angoissantes: manoirs abandonnés, abbayes en ruine et châteaux hantés…

Mary Shelley renouvelle le genre avec Frankenstein ou le Prométhée moderne, où un jeune scientifique donne la vie à une créature de chaires mortes, qui décidera de se venger de son créateur…

Edgar Allan Poe, américain, écrit des contes fantastiques, que Baudelaire traduit sous le nom d'Histoires extraordinaires : Le Corbeau, La Chute de la Maison Usher

En allemand, les contes d'Hoffmann marquent les esprits. L'Homme au sable notamment, inspire à Freud la notion d'inquiétante étrangeté.

En France, le genre fantastique se caractérise par l’intrusion d’un élément surnaturel dans un cadre réel. Par exemple, dans La Cafetière de Théophile Gautier, Théodore, un jeune homme logé dans une chambre ancienne, danse toute la nuit avec une jeune femme sortie d’un tableau, et ne retrouve à l’aube que les morceaux d'une cafetière…

Parfois, l’élément surnaturel est presque impossible à déceler. Dans la Vénus d'Ille de Mérimée, l'hypothèse que la statuette soit animée par la vengeance n'est jamais confirmée…

Enfin, certains auteurs brouillent de plus en plus les frontières entre le réel et l'imaginaire. Dans Aurélia de Gérard de Nerval, rien ne distingue le rêve et la vie : après la disparition de sa bien-aimée, le narrateur est convaincu que sa fin est proche… Le récit reste inachevé, Gérard de Nerval est retrouvé pendu rue de la Vieille Lanterne à Paris.

Ce qui est frappant, c’est que tous les mouvements qui suivent vont s’opposer aux romantiques : les Parnassiens leur reprochent une trop grande liberté formelle, les Symbolistes préfèrent la pureté de l’idée à l’emphase des émotions, les Réalistes dénoncent leurs illusions, réservant souvent une mort cruelle aux personnages les plus idéalistes !

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