Couverture pour Pour un oui pour un non

Sarraute, Pour un oui pour un non - 3 citations expliquées
Théâtre et dispute




La dispute, au théâtre, va toujours au-delà des mots, dans les gestes, les intonations, et parfois ça devient presque imperceptible.

C’est exactement ce qui se passe chez Nathalie Sarraute, où l’écart entre deux amis est ce qu’elle appelle un tropisme :
Ce sont des mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l'origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons.
Sarraute, L'Ère du Soupçon, 1956.

Voilà ce qu’on va tenter de comprendre à partir de trois citations tirées de Pour un oui pour un non, parfaites pour une dissertation sur Sarraute, le théâtre, le nouveau roman.

Première citation
Avoir des mots



H.1 : Des mots ? Entre nous ? Ne me dis pas qu'on a eu des mots... ce n'est pas possible... et je m'en serais souvenu.
H.2. : Non, pas des mots comme ça… [...] pas ceux dont on dit qu'on les a "eus"... Des mots qu'on n'a pas "eus", justement… On ne sait pas comment ils vous viennent…


Dans cette première citation, on entend justement l’expression qui désigne une dispute « avoir des mots ». C’est un euphémisme : on atténue une réalité un peu abrupte.

D’ailleurs, tout repose sur l’article indéfini « des mots » pour ne pas dire quel genre de mots. Les mots qui caractérisent une dispute, ce sont des reproches, voire des insultes.

Or, pour l’instant, il n’y a pas de dispute entre les deux personnages. H1 répond à la négative : « Non, pas des mots comme ça ».

Le démonstratif « ça » est d’ailleurs intéressant, parce qu’il renvoie à quelque chose qui, « justement », n’est pas dans leur conversation : ils ont toujours gardé une certaine mesure.

La dénégation de H1 porte bien sur le mot « avoir » : « des mots qu’on n’a pas eus, justement… » il met bien en valeur un grand non-dit.

La situation dépasse les deux personnages, « on ne sait pas comment ils vous viennent » : le présent de vérité générale, les pronoms personnels incluent tous ceux qui l’écoutent.

Parfois, les mots ont une origine obscure, « comment ils vous viennent ». Cette question éveille notre curiosité, et va nous tenir en haleine tout au long de la pièce !

Deuxième citation :
Une affaire d’intonation



H1 : Vraiment, c'est le cas de le dire : pour un oui ou pour un non… parce que j'ai dit : « c'est bien, ça. » Oh pardon, je ne l'ai pas prononcé comme il fallait : « C'est biiiien ça. »

Dans cette deuxième citation, H1 réagit au reproche étrange que lui fait H2 : il a été blessé par ce qui semble plutôt, au premier abord, un encouragement : « c’est bien, ça ».

H1 se montre donc sceptique « c’est le cas de le dire : pour un oui, pour un non ». C’est-à-dire, sur tout et sur rien…

Prononcé ici, juste après le premier reproche, le titre de la pièce prend toute sa force : sur quoi repose vraiment la dispute, quelle est son origine, « pour » quelle raison, « pour » quelle « cause » ?

Mais on tient déjà un indice : H2 a perçu quelque chose dans l'intonation : un accent mis sur « bien » que H1 reformule avec insistance : « C’est biiiiien ça. »

Or il faut bien reconnaître que « bien » est un compliment plutôt tiède, et le pronom « ça » n’est pas très élogieux !

H1 se livre à une véritable explication de texte où il se reprend et se corrige  : « Oh pardon, je ne l’ai pas prononcé comme il fallait ». C’est ce qu’on appelle une épanorthose.

Par la suite, H1 finira par mettre un mot sur ce que H2 a perçu : « un ton condescendant » qui les mènera progressivement à la rupture définitive.

Troisième citation :
La rupture définitive



H.2 : Voilà. Je crois qu'on y est. Tu l'as touché. Voilà le point. C'est ici qu'est la source. Les guillemets, c'est pour moi. Dès que je regarde par la fenêtre, dès que je me permets de dire « la vie est là », me voilà aussitôt enfermé à la section des « poètes »... de ceux qu'on place entre guillemets...

Dans la troisième citation, H2 pense enfin « toucher le point » de désaccord. Il fait même un emprunt à l’anglais « voilà le point », qu’il reprend avec une métaphore : « c’est ici qu’est la source ».

Cette image est symbolique, comme des explorateurs qui ont exploré le monde des mots. C’est typique du nouveau roman où l’aventure est avant tout celle des mots…

Mais quel est ce point si important ? « Les guillemets, c’est pour moi ». Avec ces guillemets, un simple mot « poètes » devient un jugement injurieux. Ce que H2 entend, c’est une étiquette qui « l’enferme dans une section ».

H2 se sent enfermé « dès que je regarde par la fenêtre, dès que je me permets de dire “la vie est là” »… Ces deux compléments circonstanciels sont comme des limites posées à sa liberté d’agir.

Avec cette réplique, on entre véritablement dans la dispute, parce que le mépris s’incarne maintenant dans cette étiquette que H2 traduira plus tard en un mot : « les “ratés”… C’est ce mot qui scellera leur rupture définitive.


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