Couverture du livre Les Fausses Confidences de Marivaux

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Couverture pour Les Fausses Confidences

Marivaux, Les Fausses Confidences
Résumé et analyse




ACTE III



Marivaux ne donne pas de nouvelles indications de lieu, mais ce dernier acte sera celui oĂč les intrigues se dĂ©noueront, et oĂč les personnages Ă©changeront leurs derniĂšres confidences : peut-ĂȘtre un salon, un boudoir, ou le jardin, dont on parle Ă  la fin de l'acte prĂ©cĂ©dent


ScĂšne 1



Dorante et Dubois rĂ©digent une mystĂ©rieuse lettre, avec une adresse parisienne fictive — la rue du Figuier
 ChargĂ© du courrier de la maison, Arlequin sera bien embĂȘtĂ© pour la livrer ! Tout ça fait partie de leur stratagĂšme pour conquĂ©rir le cƓur d'Araminte. Mais Dorante est encore sous l'Ă©motion de leur derniĂšre discussion :
DORANTE. — Que j'ai souffert dans ce dernier entretien ! Puisque tu savais qu'elle voulait me faire dĂ©clarer, que ne m'en avertissais-tu par quelques signes ?
DUBOIS. — Votre douleur n'en a paru que plus vraie. Vous repentez-vous de l'effet qu'elle a produit ?

Par son art de la manipulation, Dubois est un véritable metteur en scÚne, qui justifie les improvisations imposées à ses comédiens. Laisser Dorante dans l'ignorance, permettait de provoquer l'effet recherché, c'est à dire, l'émotion d'Araminte.
DORANTE. — Sais-tu bien ce qui arrivera ? [...] Elle me renverra tout d'un coup.
DUBOIS. — Je lui en dĂ©fie. Il est trop tard. L'heure du courage est passĂ©e. Il faut qu'elle nous Ă©pouse.

Cette premiĂšre personne du pluriel interroge les motivations de Dubois : quels sont pour lui les enjeux de cette machination ? Est-ce qu'il tire sa motivation du simple bonheur des amoureux, ou bien est-il l'un de ces personnages manipulateurs Ă  l'image de ceux qu'on rencontrera dans Les Liaisons Dangereuses de Choderlos de Laclos ?...

DORANTE. — Araminte pourtant m'a dit que je lui Ă©tais insupportable.
DUBOIS. — Elle a raison. Vous vous emparez de son bien, de son coeur ; et cette femme ne criera pas ! Allez [...] laissez-vous conduire.

Ce paradoxe est l'un des principaux ressorts comiques de la piĂšce : le plan n'avance jamais aussi bien que lorsque les amoureux se croient en danger. Chez Marivaux, l'amour ne trouve son chemin qu'Ă  travers les obstacles.


ScĂšne 2



Marton accablée retrouve Dubois : en effet, il avait raison de se méfier des vues de Dorante sur Madame ! Désormais, par rancune, elle est décidée à faire renvoyer cet intendant.
DUBOIS. — Ah ! [...] vous parlez de ce regard que je lui vis jeter sur elle. [...] Cette oeillade-lĂ  ne valait rien. Il y avait quelque chose dedans qui n'Ă©tait pas dans l'ordre.

Marton demande alors à Dubois de tout lui dire : il doit bien avoir une information secrÚte, puisqu'il a menacé de faire sortir Dorante d'un mot.
DUBOIS. — Moi ! Garder un secret ! [...] En fait de discrĂ©tion, je mĂ©riterais d'ĂȘtre femme. Je vous demande pardon de la comparaison : [...] c'est pour vous mettre l'esprit en repos.

On voit que ce trait de misogynie est dĂ©jĂ  galvaudĂ© Ă  l'Ă©poque
 En fait, cela lui permet de mieux avancer une nouvelle fausse confidence : Arlequin porte une lettre de Dorante, voilĂ  qui permettra certainement de le piĂ©ger ! Bien sĂ»r, le spectateur devine qu'au contraire, cette prĂ©tendue lettre ne peut que servir les intĂ©rĂȘts de Dorante !

ScĂšne 3



Arlequin s'adresse à Marton : comiquement, il essaye d'ignorer Dubois qui se trouve juste à cÎté.
ARLEQUIN. — Ne sauriez-vous pas oĂč demeure la rue du Figuier, Mademoiselle ? [...] J'aimerais mieux que le diable eĂ»t emportĂ© toutes les rues, que d'en savoir une par le moyen d'un malotru comme lui.

C'est là qu'on voit toute l'ingéniosité de Dubois : il utilise Arlequin et Marton comme des marionnettes, pour que la lettre parvienne jusqu'à Araminte comme par accident


Jean Rousset commente ce pouvoir de certains personnages marivaudiens, qui sont presque un double du dramaturge :
De l'auteur, ils détiennent quelques uns des pouvoirs : l'intelligence des mobiles secrets, la double vue anticipatrice, l'aptitude à promouvoir l'action et à régir la mise en scÚne des stratagÚmes et comédies insérés dans la comédie.
Jean Rousset, Forme et Signification, 1962.

DUBOIS, Ă  Marton, Ă  part. Prenez la lettre. Haut. Non, non, Mademoiselle, ne lui enseignez rien : qu'il galope.
MARTON, seule avec Arlequin. — Ne lui rĂ©ponds rien : donne ta lettre.
ARLEQUIN. — Tenez, Mademoiselle ; vous me rendez un [grand] service [...]. Quand il y aura à trotter pour votre serviable personne, n'ayez point d'autre postillon que moi.

Par cette derniĂšre rĂ©plique, Arlequin rappelle que Marton Ă©tant sur le point de toucher un hĂ©ritage, elle deviendra elle-mĂȘme maĂźtresse de maison, et aura certainement besoin d'un valet.

ScĂšne 4



C'est une scĂšne de transition : en sortant, Marton croise Mme Argante et le Comte, elle leur dit rapidement qu'elle a peut-ĂȘtre trouvĂ© un moyen de faire sortir cet intendant qui les gĂȘne. Arrive alors Monsieur Remy.

ScĂšne 5



Mme Argante déclare tout de suite les hostilités en demandant à M. Remy de retirer son neveu de l'intendance de la maison. M. Remy réplique vivement :
M. REMY. — Ce n'est pas Ă  vous que je l'ai donnĂ©.
MME ARGANTE. — Mais c'est Ă  nous qu'il dĂ©plaĂźt [...].
M. REMY, Ă©levant la voix. — Madame, dĂšs qu'il n'est pas Ă  vous, il me semble qu'il n'est pas essentiel qu'il vous plaise.

Sous-entendu : s'il plaisait Ă  Mme Argante, Dorante serait en conflit d'intĂ©rĂȘt. M. Remy parle en homme de loi, c'est Ă  dire, pratiquement en homme de thĂ©Ăątre. Pendant ce temps, le silence du comte rĂ©vĂšle bien l'affaiblissement de l'aristocratie durant le XVIIIe siĂšcle.

ScĂšne 6



Arrive alors Araminte. M. Remy raconte le sujet de la dispute, Mme Argante fait alors ce qu'elle croit ĂȘtre une rĂ©vĂ©lation : il serait inconvenant pour Araminte de garder un intendant qui l'aime en secret ! Araminte rĂ©pond d'abord habilement avec ironie :
ARAMINTE, riant. — Oh ! Oui, trùs secret, je pense. Ah ! Ah ! [...] Devinez-vous que tous mes gens sont comme lui ?
MME ARGANTE. — Vos gens ne vous font pas peindre, vos gens ne se mettent point à contempler vos portraits.

Elle a d'ailleurs déjà fait venir un autre homme d'affaire, recommandé par le comte, pour remplacer Dorante qui a l'air un peu trop galant à son goût. Le spectateur, qui sait qu'elle ne croit pas si bien dire, s'amuse de voir comment Araminte reprend la situation en main.
ARAMINTE. — En vĂ©ritĂ©, ma mĂšre, [...] ce serait une enfance Ă  moi que de le renvoyer sur un pareil soupçon. [...] Vous lui trouvez l'air galant, [...] il y aurait de la bizarrerie Ă  se fĂącher de ce qu'il est bien fait.

ScĂšne 7



Dorante arrive alors, bouleversé : quelqu'un vient de se présenter pour prendre la place d'intendant
 Bien sûr, on comprend que c'est l'homme d'affaire recommandé par le comte, et invité par Mme Argante.
DORANTE. — Je vous demande pardon, Madame, si je vous interromps. J'ai lieu de prĂ©sumer que mes services ne vous sont plus agrĂ©ables, et dans la conjoncture prĂ©sente, il est naturel que je sache mon sort.
MME ARGANTE, ironiquement. — Son sort ! Le sort d'un intendant : que cela est beau !

Au thĂ©Ăątre, le « sort » dĂ©signe normalement le destin fatal et sublime des grands HĂ©ros tragiques
 Avec ce mot d'esprit, la tirade de Mme Argante nous rappelle indirectement que nous sommes dans une comĂ©die.

Araminte a pris sa décision et rassure le jeune homme :
ARAMINTE. — Ce quelqu'un lĂ  est fort mal conseillĂ© [et] je me sens offensĂ©e du procĂ©dĂ© [...] ; que ceux qui l'ont amenĂ© sans me consulter le remmĂšnent, et qu'il n'en soit plus parlĂ©.

ScĂšne 8



Nouveau rebondissement : Marton arrive avec la fameuse lettre de Dorante, qui devait soi-disant ĂȘtre portĂ©e rue du Figuier par Arlequin
 Sans se douter qu'elle sert en fait les intĂ©rĂȘts de Dorante, Marton donne la lettre au comte qui commence Ă  lire.
LE COMTE, lit haut. — [...] Mon cher ami, [...] je crois que je vais sortir de chez la dame que vous savez ; elle ne peut plus ignorer la malheureuse passion que j'ai prise pour elle, et [...] [j'aurai] le chagrin [...] de perdre le plaisir de voir tous les jours celle que j'adore.
MME ARGANTE. — Que j'adore ! Ah ! Que j'adore !

Bien sûr, cette fausse lettre est plutÎt flatteuse pour Dorante : obligé de s'effacer à cause de sa passion malheureuse, il ressemble presque à un Héros tragique.

Face à cela, Madame Argante triomphe bruyamment pour un fait que tout le monde sait déjà. Cette fois, la preuve est irréfutable, mais l'incident du portrait avait déjà préparé les esprits. Toute l'ingéniosité du stratagÚme de Dubois se trouve dans la progressivité des événements.

En regardant la lettre, Araminte reconnaßt l'écriture de Dorante, qui a déjà rédigé une lettre pour elle. Elle se tourne vers lui, il reste silencieux :
ARAMINTE — Quoi ! Cette lettre n'est pas d'une Ă©criture contrefaite ? Vous ne la niez point ? [...] Retirez-vous.
Dorante sort.

Par contre pour M. Remy, c'est une véritable aubaine : Araminte est le meilleur parti qu'il pouvait espérer pour son neveu. Il le défend donc avec tout son talent :
M. REMY. — Eh bien ! Quoi ? C'est de l'amour qu'il a ; ce n'est pas d'aujourd'hui que les belles personnes en donnent [...] Cet amour-lĂ  lui coĂ»te quinze mille livres de rente, sans compter les mers qu'il veut courir [...] Au reste, s'il Ă©tait riche, le personnage en vaudrait bien un autre ; il pourrait bien dire qu'il adore. Contrefaisant Madame Argante. Et cela ne serait point si ridicule.

Dans ce plaidoyer, le personnage de Dorante devient fort romanesque : jeune homme attiré par les voyages, mais retenu par son amour pour Araminte
 Ensuite, M. Remy prend son congé. Araminte renvoie alors Marton sÚchement et reste sur scÚne avec sa mÚre et le comte.
ARAMINTE. — Il y a dans tout ceci des façons si dĂ©sagrĂ©ables, des moyens si offensants, que tout m'en choque.
LE COMTE. — Quoique je n'aie aucune part Ă  ce qui vient de se passer, je ne m'aperçois que trop, Madame, que je ne suis pas exempt de votre mauvaise humeur, et je serais fĂąchĂ© d'y contribuer davantage par ma prĂ©sence.

Dubois a donc utilisé la jalousie de Marton, pour faire faire ce faux-pas aux adversaires de Dorante : intercepter la lettre était, comme le dit Araminte, un moyen offensant. Voilà pourquoi le comte s'en désolidarise.

Finalement, Araminte n'a rien a reprocher Ă  Dorante, qui a tenu son rĂŽle d'amoureux silencieux jusqu'au bout.

ScĂšne 9



Mais on reste dans une comĂ©die aprĂšs tout : le spectateur attend une fin heureuse oĂč chacun sera pardonnĂ©. Il est donc notamment essentiel de rĂ©concilier Marton avec sa maĂźtresse pour favoriser le mariage final.

Voilà pourquoi Dubois annonce à Araminte que c'est lui qui a fait intercepter la fameuse lettre, sous le prétexte de l'aider à congédier Dorante.
DUBOIS. — Tout le monde a Ă©tĂ© tĂ©moin de sa folie, et vous n'avez plus rien Ă  craindre de sa douleur [...] il m'a pourtant fait pitiĂ© : je l'ai vu si dĂ©fait, si pĂąle et si triste, que j'ai eu peur qu'il ne se trouve mal.

Avec ce portrait pathétique d'un amant désespéré, Dubois suscite la compassion de la jeune femme :
ARAMINTE. — MĂ©chant valet ! [...] ce n'est pas par attachement pour moi que vous m'avez appris qu'il m'aimait ; ce n'est que par le plaisir de faire du mal. [...] Lui qui a Ă©tĂ© votre maĂźtre, qui vous affectionnait. [...] Vous l'assassinez, vous me trahissez moi-mĂȘme. [...] Ne vous prĂ©sentez plus devant moi.

Encore une fois, paradoxalement, la mauvaise humeur d'Araminte révÚle bien qu'elle n'est pas indifférente à Dorante : Dubois est donc assuré que le mariage final finira par prouver la pureté de ses intentions. Voilà pourquoi il quitte la scÚne trÚs satisfait de son plan :
DUBOIS, s'en va en riant. — Allons, voilà qui est parfait.

Toutefois, ce rire de Dubois, qui vient juste d'ĂȘtre traitĂ© de mĂ©chant homme par Araminte, rĂ©vĂšle une part d'ombre du personnage... Quelles sont vraiment ses motivations ? Est-ce qu'il souhaite avant tout le bonheur des jeunes gens, ou bien trouve-t-il surtout un malin plaisir Ă  les manipuler ? En gagnant de la profondeur, les personnages de Marivaux prennent aussi une dimension inquiĂ©tante.

ScĂšne 10



Arrive alors Marton, désespérée d'avoir déplu à sa maßtresse. Le spectateur est particuliÚrement curieux de voir comment elle se réconciliera avec elle.
MARTON. — Ah ! Madame, pourquoi m'avez-vous exposĂ©e au malheur de vous dĂ©plaire ? J'ai persĂ©cutĂ© par ignorance l'homme du monde le plus aimable, qui vous aime plus qu'on n'a jamais aimĂ©. [...] Il m'a tout dit. [...] c'est Monsieur Remy qui m'a trompĂ©e, et j'excuse Dorante.

Ainsi, derriĂšre cette scĂšne s'en cache une autre : celle oĂč Dorante se fait pardonner par Marton
 En passant ce dialogue sous silence, Marivaux crĂ©e une attente d'autant plus forte autour des justifications de Dorante.

C'est d'ailleurs cette révélation tardive qui permet à Marton de se présenter un peu comme une héroïne tragique, aveuglée par les forces qui ont mené son destin.
MARTON. — Pourquoi avez-vous eu la cruautĂ© de m'abandonner au hasard d'aimer un homme qui n'est pas fait pour moi, qui est digne de vous, et que j'ai jetĂ© dans une douleur dont je suis pĂ©nĂ©trĂ©e ?
ARAMINTE, d'un ton doux. — Tu l'aimais donc, Marton ?
MARTON. — Laissons-lĂ  mes sentiments. Rendez-moi votre amitiĂ© comme je l'avais, et je serai contente.
ARAMINTE. — Ah ! Je te la rends tout entiùre.

Grùce à cette double réconciliation, Marivaux donne une véritable grandeur au personnage de Marton : malgré sa déception, elle comprend l'amour de Dorante pour Araminte, et elle reste profondément attachée à sa maßtresse.

Marivaux Ă©lĂšve la comĂ©die en empruntant un peu du sentiment sublime de la tragĂ©die. D'ailleurs Marivaux Ă©crivit mĂȘme une tragĂ©die, Annibal. N'ayant pas rencontrĂ© beaucoup de succĂšs de ce cĂŽtĂ© lĂ , il se consacre Ă  la comĂ©die, mais il continue d'Ă©crire des articles et des essais, notamment Sur la PensĂ©e Sublime.

ScĂšne 11



Arrive alors Arlequin en pleurs, ce qui crée un contrepoint comique avec l'attitude magnanime de Marton.
ARLEQUIN, pleurant et sanglotant. — Je suis dans une dĂ©tresse qui me coupe entiĂšrement la parole, Ă  cause de la trahison que Mademoiselle Marton m'a faite. Ah ! Quelle ingrate perfidie !

En fait, il vient simplement demander Ă  Araminte de bien vouloir recevoir Dorante : voilĂ  enfin le tĂȘte Ă  tĂȘte des deux amoureux tant attendu par le spectateur !

ScĂšne 12



Dorante utilise son rÎle d'intendant comme prétexte pour rester plus longtemps auprÚs d'elle : il doit traiter une derniÚre affaire, il ne lui faut qu'un jour de plus

ARAMINTE. — Demain, dites-vous ! Comment vous garder jusque-lĂ , aprĂšs ce qui est arrivĂ© ? [...] On sait que vous m'aimez, et l'on croirait que je n'en suis pas fĂąchĂ©e.

Alors, il joue sur sa compassion : dans son malheur, peut-il au moins partir avec le portrait qu'il a fait d'elle ?
ARAMINTE. — Vous donner mon portrait ! songez-vous que ce serait avouer que je vous aime ?
DORANTE. — Que vous m'aimez, Madame ! [...] Qui pourrait se l'imaginer ?
ARAMINTE, d'un ton vif et naïf. — Et voilà pourtant ce qui m'arrive.
DORANTE, se jetant à ses genoux. — Je me meurs !

Cette déclaration si spontanée d'Araminte est le point culminant de la piÚce ! C'est l'aboutissement de ce langage sophistiqué et indirect qu'est le marivaudage : les mots font prendre conscience des sentiments.

Dorante avoue alors tout le stratagÚme mis en place par Dubois, en atténuant sa propre implication
 C'est en effet un aveu risqué, comment va réagir Araminte ?
DORANTE. — Dans tout ce qui s'est passĂ© chez vous, il n'y a rien de vrai que ma passion qui est infinie, et que le portrait que j'ai fait.

Or le portrait... C'est justement une représentation artificielle : comme le théùtre
 Voilà donc ce que Dorante essaye de dire : malgré la fausseté des moyens, l'important, c'est l'authenticité des sentiments.
DORANTE. — Tous les incidents qui sont arrivĂ©s partent de l'industrie d'un domestique qui [...] m'a pour ainsi dire forcĂ© de consentir Ă  son stratagĂšme. [...] VoilĂ , Madame, ce que mon respect, mon amour et mon caractĂšre ne me permettent pas de vous cacher. J'aime encore mieux [...] votre haine que le remords d'avoir trompĂ© ce que j'adore.

Cet aveu risqué s'explique, parce qu'il était essentiel, pour garantir la réussite complÚte du plan, que Dorante garde la posture de l'amoureux irréprochable jusqu'au bout.

On n'attend pas la mĂȘme probitĂ© d'un domestique zĂ©lĂ©, surtout s'il rend possible un dĂ©nouement heureux ! On peut donc penser que c'est Dubois lui-mĂȘme qui a prĂ©vu de tout assumer, sachant que la rĂ©ussite de son plan lui apporterait l'absolution.
ARAMINTE, le regardant quelque temps sans parler. — Si j'apprenais cela d'un autre que de vous, je vous haĂŻrais sans doute ; mais [...] ce trait de sincĂ©ritĂ© me charme. AprĂšs tout [...] il est permis Ă  un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner lorsqu'il a rĂ©ussi.

ScĂšne 13



Arrivent alors Madame Argante et le comte ; Madame Argante surtout est étonnée de voir Dorante toujours là. Mais c'est vers le comte qu'Araminte se tourne :
ARAMINTE. — Monsieur le Comte, il Ă©tait question de mariage entre vous et moi, et il n'y faut plus penser : vous mĂ©ritez qu'on vous aime ; mon coeur n'est point en Ă©tat de vous rendre justice, et je ne suis pas d'un rang qui vous convienne.

Le comte se montre particuliÚrement beau joueur, plus perspicace que Mme Argante, il avait vu venir ce dénouement :
LE COMTE. — Je vous entends, Madame, et [...] je songeais Ă  me retirer ; j'ai devinĂ© tout ; [...] j'ai dit que je ne plaiderais point, et je tiendrai parole.

Tout le monde se réjouit de ce dénouement, sauf Argante, qui s'en va, fùchée.
MME ARGANTE. — Ah ! La belle chute ! Ah ! Ce maudit intendant ! Qu'il soit votre mari tant qu'il vous plaira ; mais il ne sera jamais mon gendre.
ARAMINTE. — Laissons passer sa colùre, et finissons.
Ils sortent.

Contrairement aux comédies de MoliÚre, ici l'obstacle à l'amour n'était pas tant l'opposition parentale, que l'acceptation de sentiments sincÚres. Marivaux a déplacé les enjeux de la comédie de l'extérieur, vers l'intérieur de la subjectivité des personnages.
J'ai guettĂ© dans le cƓur humain toutes les niches diffĂ©rentes oĂč peut se cacher l'amour lorsqu'il craint de se montrer, et chacune de mes comĂ©dies a pour objet de le faire sortir d'une de ses niches.
Marivaux citĂ© par D'Alembert, Éloge de Marivaux, 1785.

En décrivant des personnages en évolution, tiraillés par des questionnements moraux, Marivaux ouvre la voie au drame sérieux qui sera bientÎt théorisé par Diderot (dans ses Entretiens sur le Fils Naturel). Et en faisant de l'amour une force qui ignore l'ordre établi, il prépare déjà le drame romantique qui naßtra au siÚcle suivant.

Enfin, Les deux valets terminent la piÚce sur deux bons mots : Dubois se montre paternel à l'égard de son petit couple de protégés ; Arlequin fait une allusion aux enfants qui ne tarderont pas à naßtre

DUBOIS. — Ouf ! Ma gloire m'accable ; je mĂ©riterais bien d'appeler cette femme-lĂ  ma bru.
ARLEQUIN. — Pardi, nous nous soucions bien de ton tableau Ă  prĂ©sent ; l'original nous en fournira bien d'autres copies.

Deux styles d'humour bien diffĂ©rents ! Marivaux fait ainsi un clin d'Ɠil Ă  son public : c'est Ă  vous maintenant de dire si cette piĂšce vous a plĂ»...
Lorsque dans une affaire de goût, un homme d'esprit en trouve plusieurs autres qui ne sont pas de son sentiment, cela doit l'inquiéter, ce me semble, ou il a moins d'esprit qu'il ne pense.
Marivaux, Triomphe de l'Amour, Avertissement, 1732.

* * *

Tout ce troisiÚme acte se déroule autour du stratagÚme de la fausse lettre. Marton, déçue dans son amour, et manipulée par Dubois, rend publique cette confession de Dorante, ce qui oblige Araminte à se décider. Peut-elle encore garder cet intendant ?

Araminte est vexée par la révélation de la lettre, dont Dubois prend l'entiÚre responsabilité. Pendant ce temps, Dorante est resté humble et réservé. La réconciliation avec Marton et l'intensité des émotions vont précipiter la déclaration d'Araminte.

Le comte se retire avec Ă©lĂ©gance, seule Mme Argante reste fĂąchĂ©e Ă  la fin, mais peut-ĂȘtre sera-t-elle obligĂ©e de reconnaĂźtre les mĂ©rites de son gendre Ă  l'avenir.

[...]



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⇹ Marivaux, Les Fausses Confidences - Diapositives de l'Acte III

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