Couverture pour Les Fausses Confidences

Marivaux, Les Fausses Confidences
Résumé et analyse



À propos de confidence
 Voltaire, dans une de ses lettres, revient sur son expĂ©rience de dramaturge — car oui, Voltaire a aussi Ă©crit des piĂšces de thĂ©Ăątre, peu connues aujourd’hui, mais trĂšs apprĂ©ciĂ©es Ă  l’époque ; et quand il parle de « mes rivaux » sans doute pense-t-il d’abord Ă  Marivaux...
Je me souviens que mes rivaux et moi, quand j’étais Ă  Paris, nous Ă©tions [...] de pauvres Ă©coliers du siĂšcle de Louis XIV, [...] infatigables auteurs de piĂšces mĂ©diocres, grands compositeurs de riens, pesant gravement des Ɠufs de mouche dans des balances de toile d’araignĂ©e.
Voltaire, Lettre Ă  l’abbĂ© Trublet, 27 avril 1761.

Ce mot de Voltaire est restĂ© comme une critique adressĂ©e Ă  Marivaux. Et pourtant, est-ce que cette image des balances en toiles d’araignĂ©e ne rĂ©vĂšle pas justement les qualitĂ©s de son thĂ©Ăątre, plein de nuances et de finesse ?


Tout au long du XVIIe siĂšcle, MoliĂšre fait de grandes comĂ©dies, s’attaquant Ă  chaque fois Ă  un dĂ©faut humain pour montrer les excĂšs des mƓurs de son Ă©poque. Il ridiculise les outrances de la prĂ©ciositĂ©, les faux dĂ©vots, les avares, et donne ses lettres de noblesse Ă  la comĂ©die.

Marivaux, hĂ©ritier de cette comĂ©die renouvelĂ©e, prend de nouvelles directions. Il explore les mĂ©canismes dĂ©licats des sentiments, fait Ă©merger des motivations variĂ©es, parfois inconscientes, inquiĂ©tantes et mystĂ©rieuses, et nous plonge au cƓur d’une sociĂ©tĂ© en pleine mutation, libĂ©rĂ©e de l’absolutisme de Louis XIV, Ă©mancipĂ©e par la pensĂ©e des philosophes des LumiĂšres


ACTE I



La scĂšne se dĂ©roule chez Mme Argante, dans une riche maison parisienne. Mais on va voir que cette apparente unitĂ© de lieu laisse en fait une grande libertĂ© de mise en scĂšne, et cache une Ă©tonnante maĂźtrise des enjeux de l'espace et du temps. Les rideaux s’ouvrent d’ailleurs sur un accueil plutĂŽt original


ScĂšne 1



Le spectateur arrive prĂ©cisĂ©ment en mĂȘme temps qu'un nouveau venu, accueilli par Arlequin, le valet de la maison, qui insiste comiquement pour le dĂ©sennuyer :
ARLEQUIN. — Mademoiselle Marton [...] ne tardera pas à descendre. [...] Si vous voulez, je vous tiendrai compagnie, de peur que l'ennui ne vous prenne.
DORANTE. — Non, vous dis-je, je serai bien aise d'ĂȘtre un moment seul.

Arlequin sort un peu dĂ©pitĂ©, et laisse entrer un autre valet, Dubois. Symboliquement, Marivaux nous propose de quitter les personnages de la commedia dell’arte pour dĂ©couvrir un autre genre de comĂ©die, il revendique ainsi un comique plus Ă©levĂ©, plus sophistiquĂ©.

À ses dĂ©buts, Marivaux, qui n’était encore que Pierre Carlet, issu d’une famille de notables normands, se fait connaĂźtre avec les ComĂ©diens-Italiens : leur libertĂ© de jeu, leur sens de l'improvisation, leurs lazzis, ont influencĂ© son Ă©criture, et contribuĂ© Ă  son succĂšs.

Mais progressivement, Marivaux se détache des canevas de la Comedia dell'arte, ses personnages et ses intrigues gagnent en complexité. Quand il écrit Les Fausses Confidences, il a 49 ans : c'est une piÚce de la maturité.

ScĂšne 2



Arlequin laisse donc la place Ă  un autre domestique, Dubois : on dĂ©couvre que c’est l’ancien valet de Dorante !
DORANTE. — Dubois ; tu m'as servi, je n'ai pu te garder, je n'ai pu mĂȘme te bien rĂ©compenser de ton zĂšle [...]
DUBOIS. — Laissons cela, Monsieur ; tenez, en un mot, je suis content de vous ; [...] vous ĂȘtes [...] un homme que j'aime.

Tout de suite, on voit que les deux personnages ont un passĂ© commun : Dubois est presque paternel Ă  l’égard de son ancien maĂźtre. Il a d’ailleurs conçu tout un stratagĂšme pour l’aider Ă  Ă©pouser la maĂźtresse de maison :
DUBOIS. — Notre affaire est infaillible [...] ; il me semble que je vous vois dĂ©jĂ  en dĂ©shabillĂ© dans l'appartement de Madame.
DORANTE. — Je l'aime avec passion, et c'est ce qui fait que je tremble !

Marivaux nous prĂ©pare donc Ă  une intrigue classique de comĂ©die (comme Les Fourberies de Scapin par exemple) : un valet astucieux va aider son maĂźtre Ă  Ă©pouser celle qu'il aime. DĂšs le dĂ©but, on se doute que la fin sera heureuse, la curiositĂ© du spectateur se portera surtout sur les moyens qui seront mis en Ɠuvre pour arriver Ă  ce dĂ©nouement.

Et en effet, une difficultĂ© se prĂ©sente : Araminte, jeune veuve d’un ancien financier, a 50 000 livres de rentes, alors que Dorante n’a rien. Aux histoires d'amour se mĂȘlent donc des questions d'intĂ©rĂȘt, mais elles ne sont pas insurmontables, et Dubois rassure son ancien maĂźtre :
DUBOIS. — Votre bonne mine est un PĂ©rou ! [...] Vous rĂ©ussirez : [...] je sais mes talents ! [...] On vous aimera, toute raisonnable qu'on est ; on vous Ă©pousera, toute fiĂšre qu'on est, et on vous enrichira, tout ruinĂ© que vous ĂȘtes.

En sa qualité de veuve fortunée, Araminte a acquis une liberté que les autres femmes n'ont pas à l'époque : soutenue en plus par sa force de caractÚre, elle pourra suivre ses inclinations et choisir son mari.

On dĂ©couvre aussi dans ce passage la dimension rĂ©aliste et presque romanesque de cette piĂšce. Marivaux lui-mĂȘme fut un jeune homme ruinĂ© par la fameuse banqueroute de Law (qu'on prononce lass Ă  l'Ă©poque) : un cĂ©lĂšbre financier Ă©cossais qui mit en place le premier systĂšme de papier-monnaie.

L'amour de Dorante semble sincÚre, mais son intéressement en font aussi un aventurier séducteur. Dubois de son cÎté, vient en aide à son maßtre, mais savoure à l'avance ses machinations


La piÚce pose donc sans cesse des questions morales, sans apporter de réponse définitive. On n'est plus dans le simple castigat ridendo mores classique : faire rire pour mieux corriger les hommes, non, la comédie de Marivaux garde une dimension inquiétante.

C'est une scĂšne d'exposition parfaite : elle prĂ©sente tous les enjeux de la piĂšce et pique la curiositĂ© du spectateur. Quels seront les stratagĂšmes utilisĂ©s pour sĂ©duire Araminte ? À chaque pĂ©ripĂ©tie, on va chercher Ă  deviner les plans de Dubois, et se laisser surprendre par leur ingĂ©niositĂ©.

ScĂšne 3



Entre alors M. Remy, l’oncle de Dorante : il est aussi le procureur (c’est Ă  dire Ă  l’époque, le notaire ou l'avocat) de la famille. Cet intĂ©rĂȘt pour la justice et pour le plaidoyer se retrouve souvent chez Marivaux, qui a lui-mĂȘme a fait des Ă©tudes de droit, et devient avocat au Parlement de Paris en 1721.

Ce M. Remy, homme de loi au service de la famille, c’est lui qui recommande son neveu dans la maison. Mais il a en tĂȘte un autre projet : lui faire Ă©pouser Mlle Marton, la suivante d’Araminte

M. REMY. — Elle est jolie [...] et de fort bonne famille ! vous allez ĂȘtre tous deux dans la mĂȘme maison ; je suis d'avis que vous l'Ă©pousiez : qu'en dites-vous ?
DORANTE. — Eh !... Mais je ne pensais pas à elle.

Dorante dit qu’il ne la connaĂźt pas, il ne l’a jamais vue
 Alors Monsieur Remy insiste : Marton n'est pas une simple suivante : fille de l'ancien procureur de la famille, traitĂ©e en amie par Araminte, elle va bientĂŽt hĂ©riter, c’est donc un excellent parti Ă  ses yeux, surtout pour un orphelin comme Dorante.
M. REMY. — Vous ĂȘtes mon hĂ©ritier ; mais je me porte bien, et [...] je puis me marier [...] Il y a tant de minois qui vous [en] donne [l’envie] ! [...] Ainsi, mettez-vous en Ă©tat de vous passer de mon bien, que je vous destine aujourd'hui, et que je vous ĂŽterai demain peut-ĂȘtre.
DORANTE. — Vous avez raison, Monsieur, et c'est aussi à quoi je vais travailler.

Le spectateur perçoit le double sens de cette derniÚre réplique de Dorante : s'il ne dément pas son oncle, c'est parce que Araminte reste un meilleur parti que Marton. Marivaux joue souvent avec la double énonciation : le spectateur en sait plus que les personnages sur scÚne.

ScĂšne 4



Entre alors Mlle Marton. Dorante s’écarte un moment et M. Remy lui demande, Ă  part, ce qu’elle pense de ce jeune homme, son neveu

MARTON. — Eh bien ! Ce neveu-lĂ  est bon Ă  montrer ; il ne dĂ©pare point la famille. [...]
M. REMY. — Je suis charmĂ© qu'il vous revienne : il vous a dĂ©jĂ  vue plus d'une fois chez moi [...] Savez-vous ce qu'il me dit la premiĂšre fois qu'il vous vit ? Quelle est cette jolie fille-lĂ  ?

C'est certainement ici la premiĂšre fausse confidence de la piĂšce, qui est en fait un vrai mensonge destinĂ© Ă  troubler Marton. D’ailleurs, le premier titre de la piĂšce Ă©tait La Fausse Confidence, Marivaux dĂ©cide, aprĂšs seulement la premiĂšre reprĂ©sentation en 1737, de le mettre au pluriel : cette premiĂšre fausse confidence n’est en fait qu’une Ă©bauche pour mettre en valeur celles qui vont suivre !

En plus, « Les fausses confidences », c’est un oxymore : l’alliance de mots contradictoires. Est-ce qu’une confidence peut vraiment ĂȘtre fausse ? 
 On verra qu'Ă  chaque fois, ce qui est prĂ©sentĂ© comme une confidence ne correspond pas Ă  la dĂ©finition : un secret considĂ©rĂ© comme vrai, communiquĂ© en privĂ©, et surtout, sans arriĂšre-pensĂ©e. DĂ©cidĂ©ment, la ''confidence'' de M. Remy ne remplit aucun de ces critĂšres !...

Dorante, de son cÎté, ne nie pas, il est embarrassé, mais il laisse dire : pour lui, le plus important, c'est de garder la bienveillance de la suivante pour la suite des événements.
DORANTE. — Vous importunez Mademoiselle, Monsieur.
MARTON, riant. — Je n'ai pourtant pas l'air si indocile.
M. REMY, joyeux [...] leur prend les mains à tous deux. — Ça, mes enfants, je vous fiance, en attendant mieux.

On comprend : en attendant de les marier... Mais il y a peut-ĂȘtre ici un double sens que Marton n’entend pas : M. Remy espĂšre sans doute encore un meilleur parti pour son neveu. Comme Dubois, il joue les entremetteurs, mais moins habilement. Souvent, les procĂ©dĂ©s de la piĂšce sont ainsi dĂ©doublĂ©s pour ĂȘtre mieux mis en valeur.

ScĂšne 5



Une fois seule, Marton rĂ©alise que ses sentiments ont changé  À travers tout son thĂ©Ăątre, Marivaux analyse le sentiment amoureux, et la premiĂšre Ă©tape, c'est La Surprise de l'Amour (qui est d'ailleurs le titre de l'une de ses premiĂšres piĂšces Ă  succĂšs). VoilĂ  pourquoi le verbe « Admirer » prend ici le sens vieilli de « s'Ă©tonner » :
MARTON. — J'admire ce penchant dont on se prend tout d'un coup l'un pour l'autre.

Pour illustrer ce processus amoureux, Marivaux s'inspire de toute une tradition littéraire : le roman précieux, qui alimente les conversations de salon au XVIIe siÚcle. Qu'est-ce qu'un amant parfait ? Comment faire naßtre et entretenir le sentiment amoureux


ScĂšne 6



Arrive alors Araminte, dont on parle depuis le dĂ©but, mais qu’on n’a pas encore vue. Elle-mĂȘme a tout juste aperçu Dorante sortir vers la terrasse :
ARAMINTE. — Marton, il a si bonne mine pour un intendant, que je me fais quelque scrupule de le prendre ; n'en dira-t-on rien ?
MARTON. — Et que voulez-vous qu'on dise ? Est-on obligĂ© de n'avoir que des intendants mal faits ?
ARAMINTE. — Tu as raison. Dis-lui qu'il revienne.

Le scrupule d'Araminte entre en écho avec la surprise de Marton : c'est une premiÚre étape vers le sentiment amoureux. Dubois avait raison, : le physique de Dorante joue en sa faveur, mais il lui faudra aussi montrer d'autres qualités.

ScĂšne 7



Dorante est reçu par Araminte, qui lui assure que la place d’intendant lui est acquise : il n’a pas de bien, mais il est d’une excellente famille. Son pĂšre Ă©tait avocat, et son mĂ©rite est reconnu. Araminte met ainsi les qualitĂ©s morales devant les conditions matĂ©rielles.
ARAMINTE. — Je suis toujours fĂąchĂ©e de voir d'honnĂȘtes gens sans fortune, tandis qu'une infinitĂ© de gens de rien et sans mĂ©rite en ont une Ă©clatante. C'est une chose qui me blesse, surtout dans les personnes de son Ăąge ; car vous n'avez que trente ans tout au plus ?
DORANTE. — Pas tout à fait encore, Madame.
ARAMINTE. — Ce qu'il y a de consolant pour vous, c'est que vous avez le temps de devenir heureux.
DORANTE. — Je commence Ă  l'ĂȘtre aujourd'hui, Madame.

Cet adjectif « heureux » est comme un clin d'Ɠil au spectateur, qui rĂ©vĂšle bien les aspirations du personnage. En tout cas, grĂące Ă  son rĂŽle d'intendant, Dorante va pouvoir tenir tout un double discours amoureux, fait pour toucher Araminte. Chez Marivaux, les personnages sont souvent eux-mĂȘmes des acteurs qui jouent la comĂ©die.

ScĂšne 8



Araminte fait venir Arlequin et lui demande de servir son intendant. Cette nouvelle complexité des rapport sociaux donne lieu à une scÚne comique riche en jeux de mots :
ARAMINTE. — Arlequin, vous ĂȘtes Ă  prĂ©sent Ă  Monsieur ; vous le servirez ; je vous donne Ă  lui.
ARLEQUIN. — Comment, Madame, vous me donnez à lui ! Est-ce que je ne serai plus à moi ? Ma personne ne m'appartiendra donc plus ?

ScĂšne 9



Arlequin s'étonne de servir Dorante tout en étant payé par Araminte. Marton s'en amuse, et Dorante le rassure :
DORANTE. — Arlequin a raison, tiens, voilĂ  d'avance ce que je te donne. [...] Va boire Ă  ma santĂ©.
ARLEQUIN. — Ah ! Voilà une action de maütre.

Ces deux scĂšnes nous donnent une information importante : Marton et Dorante sont dans une position sociale intermĂ©diaire. Dorante, par son action, se comporte dĂ©jĂ  en maĂźtre de maison. Le thĂ©Ăątre de Marivaux reprĂ©sente bien une Ă©volution de la sociĂ©tĂ© du XVIIIe siĂšcle, oĂč la noblesse perd de son pouvoir au profit d'une classe sociale intermĂ©diaire de notables.

ScĂšne 10



Arrive alors Mme Argante, la mĂšre d’Araminte, fĂąchĂ©e que sa fille ait retenu un intendant avant mĂȘme d'avoir reçu celui qui Ă©tait recommandĂ© par le comte Dorimont.
MME ARGANTE. — Connaissez-vous Monsieur le comte Dorimont ? C'est un homme d'un beau nom ; ma fille et lui allaient avoir un procĂšs [...] considĂ©rable, [...] et on a songĂ© Ă  les marier, pour empĂȘcher qu'ils ne plaident. [...] Il me tarde de voir ce mariage conclu ; et, je l'avoue, je serai charmĂ©e moi-mĂȘme d'ĂȘtre la mĂšre de Madame la comtesse Dorimont.

Mme Argante est donc trĂšs favorable Ă  ce mariage, qui lui apporte un titre de noblesse
 Marivaux s'amuse Ă  faire un clin d'Ɠil au Bourgeois Gentilhomme de MoliĂšre, lui aussi prĂȘt Ă  tout pour devenir noble
 Elle demande donc Ă  Dorante de mentir sur le procĂšs. Dorante s'insurge :
DORANTE. — Mais, Madame, il n'y aurait point de probitĂ© Ă  la tromper.
MME ARGANTE. — De probitĂ© ! [...] C'est moi qui suis sa mĂšre, et qui vous ordonne de la tromper Ă  son avantage, entendez-vous ? C'est moi, moi.

Madame Argante est comme piégée dans son propre raisonnement, elle incarne bien à cette forme de comique dont parle Bergson dans son essai philosophique :
Le personnage comique pĂšche par obstination d'esprit ou de caractĂšre, par distraction, par automatisme. Il y a au fond du comique une raideur d'un certain genre qui fait qu'on va droit son chemin, qu'on n'Ă©coute pas, qu'on ne veut rien entendre.
Bergson, Le Rire, 1900.

Mais en mĂȘme temps on peut se demander si le projet de Dubois et Dorante n’est pas similaire finalement : tromper Araminte en vue d’un dĂ©nouement heureux.

ScĂšne 11



Dorante reste seul avec Marton : pour elle, le comte Dorimont est un excellent parti, qui a mĂȘme promis de lui donner mille Ă©cus pour qu'elle l'aide Ă  Ă©pouser Araminte.
DORANTE. — Mais vous aimez votre maĂźtresse : et si elle n'Ă©tait pas heureuse avec cet homme-lĂ , ne vous reprocheriez-vous pas d'y avoir contribuĂ© pour une si misĂ©rable somme ?
MARTON. — Ma foi, [...] le comte est un honnĂȘte homme, et je n'y entends point de finesse. [...] MĂ©ditez sur cette somme, vous la goĂ»terez aussi bien que moi. Elle sort.

ScĂšne 12



Araminte vient justement prendre conseil auprÚs de son nouvel intendant à propos de ce mariage que sa mÚre veut organiser avec le comte Dorimont. Dorante dit alors toute la vérité :
DORANTE. — Si, dans votre procĂšs, vous avez le bon droit de votre cĂŽtĂ©, on souhaite que je vous dise le contraire, afin de vous engager plus vite Ă  ce mariage.
ARAMINTE. — Que ma mĂšre est frivole ! Votre fidĂ©litĂ© ne me surprend point [...] Faites toujours de mĂȘme.
DORANTE. — Je n'ai point d'autre ambition.

Bien sĂ»r ici, l'ambition professionnelle cache en fait l'ambition amoureuse. Comme souvent chez Marivaux, pour qui sait deviner le double sens des mots, le masque est en mĂȘme temps un rĂ©vĂ©lateur des sentiments.

De son cĂŽtĂ©, la droiture morale d'Araminte, qui qualifie de frivoles les intĂ©rĂȘts recherchĂ©s par sa mĂšre, indique dĂ©jĂ  qu'elle penchera pour Dorante.

ScĂšne 13



Entre alors Dubois, qui fait semblant d’ĂȘtre surpris par la prĂ©sence de Dorante.
DUBOIS. — Madame, [...] il m'est recommandĂ© de ne vous parler qu'en particulier.

ScĂšne 14



DĂšs que Dorante est sorti, Dubois s’indigne : il ne faut surtout pas garder cet intendant, cet homme est complĂštement fou. Araminte s’étonne.
ARAMINTE. — Dorante ! Il m'a paru de trùs bon sens. Quelle preuve as-tu de sa folie ?
DUBOIS. — Il y a six mois qu’il extravague d'amour, qu’il en a la cervelle brĂ»lĂ©e [...] je dois bien le savoir, car [...] je le servais ; et c'est ce qui m'a obligĂ© de le quitter.

Cette fausse confidence est bien plus sophistiquĂ©e que celle de M. Remy, : l'amour de Dorante est vrai, mais Dubois cache ses intentions — Ă©veiller l'intĂ©rĂȘt d'Araminte pour le jeune homme. Et en effet, les didascalies rĂ©vĂšlent dĂ©jĂ  une lĂ©gĂšre jalousie naissante :
ARAMINTE, un peu boudant. — Oh bien ! [...] je ne le garderai pas : on a bien affaire d'un esprit renversĂ© ; et peut-ĂȘtre [...] pour quelque objet qui n'en vaut pas la peine


Dubois la dĂ©trompe, au contraire, il n’y a rien Ă  redire sur l’objet de son amour
 Un peu comme un double du dramaturge lui-mĂȘme, il choisi le bon moment pour faire sa rĂ©vĂ©lation :
DUBOIS. — J'ai l'honneur de la voir tous les jours ; c'est vous, Madame. [...] Il vous adore ; [...] il donnerait sa vie pour avoir le plaisir de vous contempler un instant.

En ménageant ce coup de théùtre, Dubois parvient à susciter cette fameuse « surprise de l'amour » chez Araminte.
L'action marivaudienne début par une surprise : quelque chose survient au personnage, et celui-ci n'a jamais rien connu, ni senti de pareil. C'est un événement absolu, sans précédent.
Bernard Dort, Théùtre Public, 1967.

On dit souvent que Marivaux a inventĂ© l'expression « tomber amoureux » et ses dĂ©tracteurs l'ont mĂȘme accusĂ© d'avoir formĂ© un nĂ©ologisme peu Ă©lĂ©gant sur « tomber en apoplexie ». En fait, Marivaux s'est contentĂ© de mettre Ă  la mode une expression qui se trouvait dĂ©jĂ  chez d'autres dramaturges, comme Regnard par exemple. En tout cas, cette expression reprĂ©sente bien une idĂ©e chĂšre Ă  Marivaux : l'amour arrive par surprise.

Pour susciter son effet, Dubois raconte donc comment Dorante est tombĂ© amoureux d’elle, en la voyant sortir de l’opĂ©ra, il y a six mois de cela
 Avec ce rĂ©cit plein d’éloquence, il dĂ©crit un amour trĂšs romanesque.
DUBOIS. — J'espĂ©rais que cela se passerait, car je l'aimais : c'est le meilleur maĂźtre ! Point du tout, [...] ce bon sens, cet esprit jovial, cette humeur charmante, vous aviez tout expĂ©diĂ©. [...] Il y aura de la bontĂ© Ă  le renvoyer. Plus il voit Madame, plus il s'achĂšve.
ARAMINTE, vivement. — Oh ! Tant pis pour lui. Je suis dans des circonstances oĂč je ne saurais me passer d'un intendant ; et puis, il n'y a pas tant de risque que tu le crois : au contraire, s'il y avait quelque chose qui pĂ»t ramener cet homme, c'est l'habitude de me voir.

DerriĂšre ces Ă©tranges arguments, on devine que le plan de Dubois a fonctionnĂ© : Araminte, troublĂ©e, commence Ă  se donner des prĂ©textes, et Ă  jouer elle-mĂȘme un rĂŽle pour cacher ses sentiments.

ScĂšne 15



ARAMINTE, un moment seule. — La vĂ©ritĂ© est que voici une confidence dont je me serais bien passĂ©e moi-mĂȘme.

Arrive alors Dorante. Araminte tente de percer Ă  jour les sentiments du jeune homme, en parlant de son procĂšs avec le comte Dorimont. Ses scrupules viennent aussi des convenances sociales :
ARAMINTE. — J'avais envie de vous charger d'examiner l'affaire [...] mais [...] j'ai promis à Monsieur le Comte de prendre un intendant de sa main ; [...] du moins faut-il que je parle à celui qu'il m'amùnera.
DORANTE. — J'aurai la douleur d'ĂȘtre renvoyĂ©. [...] Ne me laissez point dans l'incertitude oĂč je suis, Madame.
ARAMINTE, par faiblesse. — Je ne dis pas cela ; il n'y a rien de rĂ©solu lĂ -dessus.

Dorante, mis en dans une situation imprĂ©vue, a du mal Ă  cacher son Ă©motion, mais cela touche Araminte : les didascalies montrent bien son Ă©motion. Elle le rassure pour sa place d’intendant, et lui confie son procĂšs.

ScĂšne 16



Dorante encore inquiet, retrouve alors Dubois, qui lui confirme que leur plan fonctionne Ă  merveille.
DORANTE. — De quelle façon a-t-elle reçu ce que tu lui as dit ?
DUBOIS, comme en fuyant. — Elle opine tout doucement Ă  vous garder par compassion : elle espĂšre vous guĂ©rir par l'habitude de la voir.
DORANTE, charmĂ©. — SincĂšrement ?
DUBOIS. — Elle n'en rĂ©chappera point !

Mais ils sont interrompus par l’arrivĂ©e de Marton.

ScĂšne 17



En croisant Marton, Dubois joue le naïf : Dorante aurait-il des sentiments pour Madame ?
 Cela amuse Marton, qui pense en savoir plus que lui :
MARTON, riant en s'en allant. — Ah ! Ah ! L'original avec ses observations !

Bien sûr, c'est encore une révélation calculée de Dubois : il lui dit la vérité, mais partiellement, et pour mieux la laisser dans son erreur. Il prépare donc déjà la fin, car on devine déjà que les masques tomberont et que Marton devra reconnaßtre son aveuglement


* * *
Ce premier acte met bien en place tout le schĂ©ma narratif de la piĂšce : Dorante veut sĂ©duire Araminte, soutenu dans cette quĂȘte par un valet ingĂ©nieux et sĂ»r de lui. Son rĂŽle d'intendant est un atout, et Araminte est bien disposĂ©e Ă  son Ă©gard.

Mais il rencontre tout de mĂȘme quelques obstacles : malgrĂ© son mĂ©rite, il n'a pas de nom, et pas d'argent, et va se trouver confrontĂ© Ă  un rival, qui a pour lui le nom, l'issue d'un procĂšs, et le soutien de Mme Argante, la mĂšre d'Araminte.

Une originalitĂ© de cette piĂšce, c'est d'introduire M. Remy et Mlle Marton comme des adjuvants malgrĂ© eux, qui ont leurs propres intĂ©rĂȘts, mais dont le soutien est loin d'ĂȘtre acquis !...

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