Couverture du livre Les Fausses Confidences de Marivaux

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Couverture pour Les Fausses Confidences

Marivaux, Les Fausses Confidences
Résumé et analyse




ACTE II



Nous sommes toujours chez Mme Argante, mais le dĂ©cor peut changer : nous ne sommes plus sur le seuil, mais au cƓur de l'intrigue, dans un bureau ou une antichambre par exemple.

ScĂšne 1



Dorante parle avec Araminte de son procĂšs avec le comte Dorimont. Il la rassure : pour lui, tout est en bonne voie.
DORANTE. — Madame, vous ne risquez rien [...] l'affaire est excellente [...] rien ne vous oblige à ce mariage.
ARAMINTE. — Mais n'ĂȘtes-vous pas un peu trop prĂ©venu contre le mariage, et par consĂ©quent contre M. le Comte ?
DORANTE. — Madame, j'aime mieux vos intĂ©rĂȘts que [...] ceux de qui que ce soit au monde.

Ce rĂŽle d'intendant, obĂ©issant aux ordres d'Araminte, permet Ă  Dorante d'adopter la posture d'un chevalier servant de roman courtois : dĂ©vouĂ©, oubliant ses propres intĂ©rĂȘts pour mieux servir ceux de sa dame.

Forte des confidences de Dubois, Araminte est charmée par ces paroles. Elle pense surprendre un sens caché qui est en fait parfaitement délibéré. En résumé : elle ne sait pas qu'il sait qu'elle sait
 Et le spectateur, lui, sait tout !

Dans ce sens, nous avons quelques citations de Marivaux qui nous sont parvenues grñce à d'Alembert, dans son Éloge de Marivaux.
Il faut [
] que les acteurs ne paraissent jamais sentir la valeur de ce qu’ils disent, et qu’en mĂȘme temps les spectateurs la sentent et la dĂ©mĂȘlent Ă  travers l’espĂšce de nuage dont l’auteur a dĂ» envelopper leur discours.
Marivaux citĂ© par D'Alembert, Éloge de Marivaux, 1785.

Dans la conversation, Dorante en vient à avouer que Dubois est son ancien valet. C'est vrai, mais cette confidence sert à mieux cacher leur complicité.
DORANTE, feignant un peu d'embarras. — Il est fidùle, mais peu exact. [...] Ne me nuirait-il point dans votre esprit ?
ARAMINTE, nĂ©gligemment. — Celui-ci dit beaucoup de bien de vous, et voilĂ  tout.

Araminte non plus, ne dit pas tout ce qu'elle sait
 En fait dans cette piĂšce, tout le monde porte un masque : Dorante joue l'intendant, Dubois joue le valet dĂ©vouĂ©, Araminte fait semblant de ne pas savoir. Souvent dans ses piĂšces, Marivaux dĂ©veloppe et modernise l'esthĂ©tique baroque du theatrum mundi : le monde est comme un thĂ©Ăątre oĂč chacun joue un rĂŽle.
En vous peignant ces hommes que j’ai trouvĂ©s, je vais vous donner le portrait des hommes faux avec qui vous vivez, je vais vous lever le masque qu’ils portent. Vous savez ce qu’ils paraissent, et non pas ce qu’ils sont. Vous ne connaissez point leur Ăąme, vous allez la voir au visage, et ce visage vaut bien la peine d’ĂȘtre vu ; ne fĂ»t-ce que pour n’ĂȘtre point la dupe de celui qu’on lui substitue, et que vous prenez pour le vĂ©ritable.
Marivaux, « Le Voyageur du Nouveau Monde », in Le Cabinet du Philosophe, 1734.

ScĂšne 2



Arrive alors M. Remy, qui vient de recevoir une nouvelle demande en mariage pour son neveu. Il ne sait pas le nom de la jeune femme mais il lui suffit de savoir que c'est un trĂšs bon parti :
M. REMY. — Une dame de trente-cinq ans, qu'on dit jolie femme, [...] estimable, [...] qui a quinze mille livres de rente pour le moins, [...] et qui offre de l'Ă©pouser sans dĂ©lai.
ARAMINTE, froidement. — C'est Ă  lui Ă  rĂ©pondre.

Par cette mise en demeure, Araminte rappelle qu'elle a rassurĂ© Dorante en lui garantissant sa place d'intendant, c'est maintenant Ă  lui de la rassurer. En mĂȘme temps, la didascalie rĂ©vĂšle un dĂ©but de jalousie, qui augure bien la suite des Ă©vĂ©nements.

Avec cette nouvelle qui trouble Araminte, M. Remy sert donc sans le savoir le plan de Dubois. On peut mĂȘme se demander si cette demande en mariage anonyme n'a pas Ă©tĂ© envoyĂ©e au bon moment par Dubois lui-mĂȘme.

15 000 livres de rentes, c'est plus que Marton, mais c'est moins qu'Araminte. Impossible donc de savoir si Dorante agit seulement par amour, ou Ă©galement par intĂ©rĂȘt.
DORANTE. — En eĂ»t-elle vingt fois davantage, je ne l'Ă©pouserais pas [...] j'ai le coeur pris.
M. REMY. — Mon neveu ; vous ĂȘtes un imbĂ©cile [...]
ARAMINTE, doucement. — Ne le querellez point. Il paraüt avoir tort ; j'en conviens.

Toute la saveur et la complexitĂ© de cette scĂšne proviennent des diffĂ©rents niveaux de comprĂ©hension des personnages : M. Remy ne voit qu'un refus, lĂ  oĂč Araminte croit surprendre les sentiments de Dorante, qui se contente de jouer son rĂŽle d'amoureux parfait.
ARAMINTE. — Dorante, tñchez de vaincre votre penchant, si vous le pouvez. Je sais bien que cela est difficile...
DORANTE. — Il n'y a pas moyen, Madame, mon amour m'est plus cher que ma vie.

Araminte se retire : cette dĂ©claration d'amour indirecte l'a beaucoup touchĂ©e. Le plan de Dubois fonctionne parfaitement. On retrouve lĂ  l'essence mĂȘme du marivaudage : une discussion amoureuse, oĂč les sentiments se rĂ©vĂšlent de maniĂšre dĂ©tournĂ©e.

ScĂšne 3



M. Remy interpelle alors Marton : n'est-ce pas insensé de se priver de 15000 livres de rentes par amour ? Mais comprenant qu'on parle de Dorante, elle en est charmée.
MARTON. — C'est pour se garder Ă  moi qu'il refuse d'ĂȘtre riche ? [...] oh ! Dorante, [...] je n'aurais pas cru que vous m'aimassiez tant.

Dorante se livre alors à un double discours pour éviter de mentir à Marton, sans pour autant la détromper.
DORANTE. — Mademoiselle, vous ne me devez rien. [...] Je me livre à mes sentiments, et ne regarde que moi là-dedans.
MARTON. — Que de dĂ©licatesse ! Il n'y a encore rien de si tendre que ce que vous me dites.

Tout le comique de la scĂšne vient du contraste entre la rĂ©action de Marton, et celle de M. Remy, qui sont pourtant trompĂ©s par le mĂȘme discours.
M. REMY. — Par ma foi, je ne m'y connais donc guĂšre ; car je le trouve bien plat. À Marton. Je ne vous aurais, ma foi, pas Ă©valuĂ©e ce qu'il vous achĂšte. [À Dorante]. Idiot, garde ta tendresse, et moi ma succession. Il sort.

Le discours si dĂ©licat de Dorante n'est pas du goĂ»t de M. Remy ; comme il ne devine pas le plan de son neveu, il le trouve bien plat, et le prive de son hĂ©ritage
 C'est peut-ĂȘtre lĂ  une allusion Ă  la querelle des Anciens et des Modernes, qui se prolonge en ce dĂ©but de XVIIIe siĂšcle.

Pour les défenseurs des Anciens (Boileau, La BruyÚre, Racine...) l'héritage des antiques est indépassable. Au contraire, pour les Modernes (comme Perrault, MoliÚre, et Marivaux
) la littérature évolue, et si les auteurs d'aujourd'hui héritent des trésors des anciens, ils sont capables de les surpasser en finesse, et de trouver leur propre voie, exactement comme Dorante face à M. Remy.

RĂ©solument moderne, Marivaux prĂ©fĂšre ĂȘtre plat qu'ĂȘtre un imitateur, c'est probablement pour cette raison qu'il sera apprĂ©ciĂ© par les romantiques !
J’aime mieux ĂȘtre humblement assis sur ce dernier banc dans la petite troupe des auteurs originaux qu’orgueilleusement placĂ© en premiĂšre ligne dans le nombreux bĂ©tail des singes littĂ©raires.
Marivaux citĂ© par D'Alembert, in Éloge de Marivaux, 1785.

ScĂšne 4



Dorante s'Ă©clipse au moment oĂč arrive le Comte Dorimont : justement, il vient demander Ă  Marton si ce nouvel intendant pourrait l'aider Ă  Ă©pouser Araminte.
LE COMTE. — Araminte ne me hait pas, je pense, mais elle est lente Ă  se dĂ©terminer. [...] S'il ne faut que de l'argent pour le mettre dans nos intĂ©rĂȘts, je ne l'Ă©pargnerai pas.
MARTON. — Oh ! Non, ce n'est point un homme Ă  mener par lĂ  ; c'est le garçon de France le plus dĂ©sintĂ©ressĂ©. [...] Laissez-moi faire.

Le Comte semble peu amoureux, surtout soucieux de faire un mariage profitable. Surpris par le dĂ©sintĂ©rĂȘt de Dorante, il ne voit pas encore que c'est en fait son rival.

ScĂšne 5



La scĂšne est interrompue par Arlequin, qui annonce un visiteur. Mais il ne sait pas qui c'est, et d'ailleurs, il ne sait pas qui il vient voir. Tout ce mystĂšre nous laisse deviner qu'il s'agit lĂ  d'un nouveau stratagĂšme de Dubois.

ScĂšne 6



C'est un garçon menuisier, d'abord envoyé chez M. Remy, et qu'on a redirigé vers cette maison.
LE GARÇON. — Un certain Monsieur à qui j'ai à rendre un portrait avec une boüte qu'il nous a fait faire.

Le garçon sait juste que c'est le portrait d'une dame. Le comte pense que c'est un portrait d'Araminte, il va donc la chercher pour en avoir le cƓur net.

ScĂšne 7



Marton de son cÎté, toute émue, est convaincue que c'est un portrait d'elle que Dorante a fait faire.
MARTON. — Eh bien, c'est de moi dont il s'agit. Monsieur Dorante n'est pas ici, [...] vous n'avez qu'Ă  me remettre la boĂźte ; vous le pouvez en toute sĂ»retĂ©.

ScĂšne 8



Dorante, qui a été prévenu par Arlequin, arrive sur scÚne. Marton lui parle alors de la boßte au portrait, il fait semblant de ne pas comprendre :
MARTON. — Point de mystùre ; [...] je ne m'en fñche pas. Je vous la rendrai quand je l'aurai vue.

Mais dÚs qu'elle est partie, on a la confirmation que tout ça fait partie du plan de Dubois :
DORANTE, en s'en allant, et riant. — Tout a rĂ©ussi, elle prend le change Ă  merveille.


ScĂšne 9



Le comte est de retour, avec Araminte et Madame Argante : tout le monde est intrigué par cette histoire de portrait. Marton soutient que c'est un portrait d'elle, ce qui surprend Araminte :
ARAMINTE. — Et [...] qui a fait cette dĂ©pense-lĂ  pour vous ?
MARTON. — Un trùs aimable homme qui m'aime [...] et qui me recherche ; et puisqu'il faut [...] le nommer, c'est Dorante.

Cette nouvelle Ă©tape du stratagĂšme vient encore troubler les sentiments d'Araminte.
ARAMINTE, brusquement. — Eh ! Vous nous trompez [...] Donnez donc.

Mais quand ils ouvrent la boßte, c'est bien un portrait d'Araminte. Marton est consternée :
MARTON. — Madame ! Me voilĂ  bien loin de mon compte ! [...] Je crois voir toute l'Ă©tendue de ma mĂ©prise, et je me tais.

Marton est bien un personnage laissé pour compte par le stratagÚme de Dubois : cela interroge vivement la moralité du procédé.

Alors, Madame Argante fait la supposition que c'est le comte qui a commandé le portrait, mais l'hypothÚse est tout de suite écartée :
LE COMTE, froidement. — Non, [...] ce n'est point moi, [...] [d'ailleurs] je ne connais pas ce Monsieur Remy : comment aurait-on dit chez lui qu'on aurait de mes nouvelles ici ?
ARAMINTE. — Bon ! [...] Quoi qu'il en soit, je le garde, personne ne l'aura.

Ce portrait renouvelle le motif de la confidence, qui est au cƓur de chacun des stratagĂšmes de Dubois : cette fois-ci les sentiments de Dorante sont indirectement rĂ©vĂ©lĂ©s de façon publique, comme par accident. Le fait qu'Araminte garde le portrait Ă  la fin de la scĂšne prouve bien que, malgrĂ© sa colĂšre, elle est touchĂ©e par le geste.

ScĂšne 10



Arrive alors Arlequin, en colÚre contre Dubois. Les événements s'enchaßnent vite, pour mieux perdre le spectateur, mais c'est bien sûr une nouvelle étape dans le plan conçu par Dubois.
DUBOIS. — Si je disais un mot, ton maütre sortirait bien vite.
ARLEQUIN. — Je ne souffrirai point qu'un ostrogoth menace mon maütre.

À la fois metteur en scĂšne et acteur, Dubois utilise la spontanĂ©itĂ© d'Arlequin pour crĂ©er un nouveau coup de thĂ©Ăątre qui a l'air d'un accident. Avec ce « mot », il laisse entendre qu'il dĂ©tient un secret concernant Dorante.

Comme personne ne comprend le sujet de la dispute, Dubois finit par expliquer :
DUBOIS. — En arrangeant l'appartement de Monsieur Dorante, j'ai vu [...] un tableau oĂč Madame est peinte, [...] j'ai Ă©tĂ© pour le dĂ©tacher ; ce butor est venu pour m'en empĂȘcher.
ARLEQUIN. — Sans doute, de quoi t'avises-tu d'ĂŽter ce tableau [...] que mon maĂźtre considĂ©rait il n'y avait qu'un moment avec toute la satisfaction possible ?

Le motif du portrait revient comme en écho de la scÚne précédente, et semble bien confirmer indirectement les sentiments de Dorante pour Araminte.
ARAMINTE. — Il Ă©tait bien nĂ©cessaire de faire ce bruit-lĂ  pour un vieux tableau qu'on a mis lĂ  par hasard. Laissez-nous.


ScĂšne 11



Voilà donc le but de la ruse de Dubois : l'événement oblige Araminte à défendre son intendant, elle n'a pas le temps de s'interroger sur l'évolution de ses propres sentiments.

Pour commencer, le comte qui vient de se découvrir un rival, se fend d'un bon mot :
LE COMTE, d'un ton railleur. — Ce qui est de sĂ»r, c'est que cet homme d'affaires-lĂ  est de bon goĂ»t.
MME ARGANTE. — Vous avez entendu la menace que Dubois a faite. [...] Interrogez-le ; sachons ce que c'est. Je suis persuadĂ©e que ce petit monsieur-lĂ  ne vous convient point.

Comme l'écrit Marivaux dans L'Indigent Philosophe : « nous sommes des esprits de contradiction. » Avec cette opposition, Mme Argante favorise certainement, paradoxalement, les sentiments de sa fille pour Dorante.
ARAMINTE, d'un air souriant. — [...] Chacun a ses lumiĂšres. Je consens, au reste, d'Ă©couter Dubois [...] S'il me donne des motifs raisonnables de renvoyer cet intendant assez hardi pour regarder un tableau, il ne restera pas longtemps chez moi ; sans quoi, on aura la bontĂ© de trouver bon que je le garde, en attendant qu'il me dĂ©plaise Ă  moi.

Le terme de « LumiĂšres » n'est certainement pas innocent ici : il Ă©tait dĂ©jĂ  trĂšs utilisĂ© Ă  l'Ă©poque, par les dĂ©fenseurs d'un mouvement philosophique qui met en avant la libertĂ© de pensĂ©e
 Araminte agit donc ici en femme indĂ©pendante, qui ne fie qu'aux arguments de raison.

Voyant que sa tentative de corruption risque d'ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ©e, le comte prĂ©fĂšre annoncer qu'il renonce au procĂšs :
LE COMTE. — Madame, j'avoue que j'ai craint [...] qu'il ne vous inspirĂąt l'envie de plaider, et j'ai souhaitĂ© par pure tendresse qu'il vous en dĂ©tournĂąt. [...] Je dĂ©clare que je renonce Ă  tout procĂšs avec vous ; et [...] j'aime mieux perdre tout que de rien disputer.

ScĂšne 12



Araminte retrouve Dubois et le réprimande :
ARAMINTE. — Dubois, [...] Je t'avais recommandĂ© de te taire sur le chapitre de Dorante ; [...] Ma mĂšre et Monsieur le Comte s'attendent que tu vas m'en apprendre des choses Ă©tonnantes ; quel rapport leur ferai-je Ă  prĂ©sent ?
DUBOIS. — Eh bien ! [...] Ce portrait que Marton a cru ĂȘtre le sien [...] il y travaillait encore [...] lorsque je le quittai.

Dubois a attendu le juste moment pour rĂ©vĂ©ler ce dĂ©tail touchant : Dorante peintre du portrait de sa bien aimĂ©e, cela en fait bien un personnage romanesque. L'Ă©pisode du portrait est d'ailleurs un motif littĂ©raire cĂ©lĂšbre qui fait penser Ă  d'autres Ɠuvres influencĂ©es par la prĂ©ciositĂ©, comme La Princesse de ClĂšves par exemple.

Soucieuse de garder son intendant, Araminte commande donc de ne rĂ©vĂ©ler si besoin, que ce dernier reproche : c'est Dorante l'auteur du portrait que tout le monde a vu. Dubois se retire. Mais bien sĂ»r, on se doute dĂ©jĂ  qu'il n'en fera qu'Ă  sa tĂȘte.

ScĂšne 13



Araminte fait alors venir Dorante : elle a prévu toute une mise en scÚne pour l'obliger à avouer son amour.
DORANTE. — Je viens, Madame, vous demander votre protection. [...] Tout le monde ici [...] conspire pour me faire sortir.

Araminte lui propose alors une solution pour le garder tout en apaisant les esprits : il suffirait de faire croire qu'il a finalement favorisé le mariage du comte avec elle.
ARAMINTE. — Car toute rĂ©flexion faite, je suis dĂ©terminĂ©e Ă  Ă©pouser le Comte. [Il] croira que vous y avez contribuĂ© et [...] vous resterez ici. À part. Il change de couleur.

L'aparté est à la fois cruel et amusant, presque impossible à jouer
 On comprend surtout par là que cet événement n'était pas prévu dans le plan de Dubois ! C'est trÚs habile, car Marivaux nous donne une véritable illusion d'improvisation d'un personnage qui jouait jusqu'ici un rÎle millimétré.

C'est d'ailleurs un véritable enjeu d'écriture pour Marivaux qui se dit souvent trÚs soucieux d'écrire avec le plus de naturel possible :
Ce n'est pas moi que j'ai voulu copier, c'est la nature, c'est le ton de la conversation en gĂ©nĂ©ral que j'ai tĂąchĂ© de prendre : [...] mon dessein Ă©tait qu'il plĂ»t comme naturel, et c'est peut-ĂȘtre parce qu'il l'est effectivement qu'on le croit singulier.
Marivaux, Les Serments indiscrets, « Avertissement », 1732.

Dans le but d'obtenir des aveux, Araminte utilise les mĂȘmes armes que Dubois et Dorante : elle joue un rĂŽle et confie une fausse dĂ©cision : elle va mĂȘme jusqu'Ă  lui dicter une fausse lettre qui confirme son mariage avec le comte

ARAMINTE. — Écrivez. « HĂątez-vous de venir, Monsieur ; votre mariage est sĂ»r... » Avez-vous Ă©crit ?
DORANTE. — Mais, Madame, vous n'aviez aucune inclination pour lui [...].
ARAMINTE. — Achevez, vous dis-je... [...] À part. Il souffre, mais il ne dit mot ; est-ce qu'il ne parlera pas ?

Ce qui est frappant, c'est que l'improvisation profite paradoxalement à Dorante, qui se réfugie dans le seul rÎle qu'il connaisse : celui de l'amoureux secret et obéissant. Mais son supplice est interrompu par l'arrivée de Marton.

ScĂšne 14



Alors qu'Araminte essayait d'obtenir une dĂ©claration de Dorante, Marton arrive Ă  ce mĂȘme moment pour demander Ă  sa maĂźtresse la main du jeune homme.
MARTON. — Vous avez offert en diffĂ©rentes occasions de me marier, Madame. [...] Aujourd'hui Monsieur me recherche ; [...] du moins me l'a-t-il laissĂ© croire. [...] Aussi c'est de vous [...] qu'il faut qu'il m'obtienne. Monsieur, [...] si elle m'accorde Ă  vous, vous n'aurez point de peine Ă  m'obtenir de moi-mĂȘme.

ScĂšne 15



Avec une certaine adresse pour l'improvisation, Araminte se saisit de l'occasion et encourage Dorante Ă  Ă©pouser Marton. Sans aller jusqu'au bout de ses aveux, il confie alors qu'il en aime une autre.
DORANTE. — HĂ©las ! Madame, je ne songe point Ă  elle. [...] C'est une erreur oĂč Monsieur Remy l'a jetĂ©e sans me consulter ; et je n'ai point osĂ© dire le contraire, dans la crainte de m'en faire une ennemie auprĂšs de vous. [...] Elle vous aurait peut-ĂȘtre empĂȘchĂ©e de me recevoir.

Araminte fait alors l'Ă©tonnĂ©e : pourquoi voulait-il tant ĂȘtre reçu ici, si ce n'est pas Marton qu'il aime ? Elle pousse Dorante dans ses derniers retranchements :
ARAMINTE. — Il y a quelque chose d'incomprĂ©hensible en tout ceci ! Voyez-vous souvent la personne que vous aimez ?
DORANTE. — HĂ©las ! Madame, elle ne sait pas seulement que je l'adore. [...] Son Ă©tat est bien au-dessus du mien. Mon respect me condamne au silence.

Araminte est touchée par ce discours qui est presque celui d'un héros de roman. Souvent chez Marivaux, un aveu détourné alimente mieux le sentiment amoureux, qu'une déclaration directe. On est en plein marivaudage


Araminte poursuit alors ses questions : comment fait-il pour la voir, puisqu'il est ici ? Dorante est obligĂ© d'avouer qu'il a lui-mĂȘme rĂ©alisĂ© un portrait de la femme qu'il aime. Araminte sort alors la boĂźte qu'elle avait gardĂ©e.
DORANTE. — Ah ! Madame, songez que j'aurais perdu mille fois la vie, avant d'avouer ce que le hasard vous dĂ©couvre. Comment pourrai-je expier ?...Il se jette Ă  ses genoux.

Dorante a enfin laissĂ© tomber son masque d'intendant pour rĂ©vĂ©ler son amour. Mais ils sont interrompus par Marton qui a peut-ĂȘtre mĂȘme Ă©tĂ© envoyĂ©e prĂ©cisĂ©ment Ă  ce moment lĂ  par Dubois. Elle voit Dorante Ă  genoux devant Araminte et pousse un cri. Dorante se relĂšve.
ARAMINTE. — Elle vous a vu, vous dis-je [...] allez vous-en : vous m'ĂȘtes insupportable. Rendez-moi ma lettre.

ScĂšne 16 et 17



Dubois qui allait entrer, croise d'abord Araminte trop bouleversée pour lui parler, puis Dorante, à qui il donne rendez-vous dans le jardin. Il reste alors seul sur scÚne.
DUBOIS. — Voici l'affaire dans sa crise.

* * *

Ce deuxiÚme acte est l'acte des péripéties et des obstacles : la tentative de corruption du comte, les demandes en mariage
 Dans toutes ces circonstances, Dorante garde l'attitude d'un amant secret, fiable.

Dans le mĂȘme temps, le plan de Dubois multiplie les dĂ©clarations indirectes : le portrait livrĂ©, la dispute avec Arlequin
 À chaque fois, l'amour de Dorante transparaĂźt sans ĂȘtre explicitement formulĂ©.

Piquée dans ses sentiments et dans sa curiosité, Araminte va tout faire pour obtenir un aveux, jusqu'à l'épisode de la lettre adressée au comte. La constance de Dorante est donc testée jusqu'au bout, et ce n'est que devant une preuve irréfutable qu'il sort de son silence.

[...]



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⇹ Marivaux, Les Fausses Confidences - Diapositives de l'Acte II

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