Marivaux, LâĂle des Esclaves
ScĂšne 3 (le portrait dâEuphrosine)
Explication linéaire
Extrait étudié
Cléanthis
Madame se lÚve ; a-t-elle bien dormi, le sommeil l'a-t-il rendu belle, se sent-elle du vif, du sémillant dans les yeux ? vite sur les armes ; la journée sera glorieuse. Qu'on m'habille ! Madame verra du monde aujourd'hui ; elle ira aux spectacles, aux promenades, aux assemblées ; son visage peut se manifester, peut soutenir le grand jour, il fera plaisir à voir, il n'y a qu'à le promener hardiment, il est en état, il n'y a rien à craindre.
Trivelin, Ă Euphrosine.
Elle développe assez bien cela.
Cléanthis
Madame, au contraire, a-t-elle mal reposĂ© ? Ah qu'on m'apporte un miroir ; comme me voilĂ faite ! que je suis mal bĂątie ! Cependant on se mire, on Ă©prouve son visage de toutes les façons, rien ne rĂ©ussit ; des yeux battus, un teint fatiguĂ© ; voilĂ qui est fini, il faut envelopper ce visage-lĂ , nous n'aurons que du nĂ©gligĂ©, Madame ne verra personne aujourd'hui, pas mĂȘme le jour, si elle peut ; du moins fera-t-il sombre dans la chambre. Cependant il vient compagnie, on entre : que va-t-on penser du visage de Madame ? on croira qu'elle enlaidit : donnera-t-elle ce plaisir-lĂ Ă ses bonnes amies ? Non, il y a remĂšde Ă tout : vous allez voir. Comment vous portez-vous, Madame ? TrĂšs mal, Madame ; j'ai perdu le sommeil ; il y a huit jours que je n'ai fermĂ© l'Ćil ; je n'ose pas me montrer, je fais peur. Et cela veut dire : Messieurs, figurez-vous que ce n'est point moi, au moins ; ne me regardez pas, remettez Ă me voir ; ne me jugez pas aujourd'hui ; attendez que j'aie dormi. J'entendais tout cela, moi, car nous autres esclaves, nous sommes douĂ©s contre nos maĂźtres d'une pĂ©nĂ©tration !⊠Oh ! ce sont de pauvres gens pour nous.
Introduction
Vous connaissez la cĂ©lĂšbre phrase de Jean de Santeul pour dĂ©finir le rĂŽle de la grande comĂ©die : Castigat ridendo mores, c'est-Ă -dire, corriger les mĆurs par le rireâŠ
Câest exactement ce que Marivaux met en pratique dans lâĂźle des Esclaves. Maintenant que ses personnages Iphicrate et Arlequin, Euphrosine et ClĂ©anthis ont inversĂ© leurs rĂŽles, le maĂźtre de lâĂźle Trivelin demande aux esclaves dâimiter leurs maĂźtres :
« Venons maintenant Ă lâexamen de son caractĂšre : il est nĂ©cessaire que vous mâen donniez un portrait, qui se doit faire devant la personne quâon peint, afin quâelle se connaisse, quâelle rougisse de ses ridicules, si elle en a, et quâelle se corrige. »
ClĂ©anthis va donc maintenant jouer le rĂŽle dâEuphrosine. Câest une vĂ©ritable mise en abyme du thĂ©Ăątre dans le thĂ©Ăątre : la suivante sâen donne Ă coeur joie et fait ressortir la coquetterie et la frivolitĂ© de sa maĂźtresse.
Mais câest aussi lâoccasion pour Marivaux de montrer combien les classes dominantes sont elles-mĂȘmes soumises Ă la dictature des apparences pour maintenir leur statut. Le masque tombe, et le spectateur peut dĂ©couvrir en Euphrosine une femme dĂ©semparĂ©e par la peur dâĂȘtre jugĂ©e et mal considĂ©rĂ©e par son entourage.
Problématique
Comment Marivaux utilise-t-il les procédés du théùtre dans le théùtre pour révéler de façon dramatique le regard des valets sur leurs maßtres soumis au monde des apparences ?
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