Corneille, Le Menteur.
Acte V scène 3 - Explication linéaire
Extrait étudié
GÉRONTE.
ĂŠtes-vous gentilhomme ?
DORANTE.
Ah ! Rencontre fâcheuse !
Étant sorti de vous, la chose est peu douteuse.
GÉRONTE.
Croyez-vous qu'il suffit d'ĂŞtre sorti de moi ?
DORANTE.
Avec toute la France aisément je le crois.
GÉRONTE.
Et ne savez-vous point avec toute la France
D'où ce titre d'honneur a tiré sa naissance,
Et que la vertu seule a mis en ce haut rang
Ceux qui l'ont jusqu'Ă moi fait passer dans leur sang ?
DORANTE.
J'ignorerais un point que n'ignore personne,
Que la vertu l'acquiert, comme le sang le donne ?
GÉRONTE.
Où le sang a manqué, si la vertu l'acquiert,
Où le sang l'a donné, le vice aussi le perd.
Ce qui naît d'un moyen périt par son contraire ;
Tout ce que l'un a fait, l'autre peut le défaire ;
Et dans la lâcheté du vice où je te vois,
Tu n'es plus gentilhomme, étant sorti de moi.
DORANTE.
Moi ?
GÉRONTE.
Laisse-moi parler, toi de qui l'imposture
Souille honteusement ce don de la nature :
Qui se dit gentilhomme, et ment comme tu fais,
Il ment quand il le dit, et ne le fut jamais.
Est-il vice plus bas, est-il tâche plus noire,
Plus indigne d'un homme élevé pour la gloire ?
Est-il quelque faiblesse, est-il quelque action
Dont un coeur vraiment noble ait plus d'aversion,
Puisqu'un seul démenti lui porte une infamie
Qu'il ne peut effacer s'il n'expose sa vie,
Et si dedans le sang il ne lave l'affront
Qu'un si honteux outrage imprime sur son front ?
DORANTE.
Qui vous dit que je mens ?
GÉRONTE.
Qui me le dit, infâme ?
Dis-moi, si tu le peux, dis le nom de ta femme.
Le conte qu'hier au soir tu m'en fis publier…
CLITON.
Dites que le sommeil vous l'a fait oublier.
GÉRONTE.
Ajoute, ajoute encore avec effronterie
Le nom de ton beau-père et de sa seigneurie ;
Invente à m'éblouir quelques nouveaux détours.
CLITON, Ă Dorante.
Appelez la mémoire ou l'esprit au secours.
GÉRONTE.
De quel front cependant faut-il que je confesse
Que ton effronterie a surpris ma vieillesse,
Qu'un homme de mon âge a cru légèrement
Ce qu'un homme du tien débite impudemment ?
Tu me fais donc servir de fable et de risée,
Passer pour esprit faible, et pour cervelle usée !
Mais dis-moi, te portais-je Ă la gorge un poignard ?
Voyais-tu violence ou courroux de ma part ?
Si quelque aversion t'éloignait de Clarice,
Quel besoin avais-tu d'un si lâche artifice ?
Et pouvais-tu douter que mon consentement
Ne dût tout accorder à ton contentement,
Puisque mon indulgence, au dernier point venue,
Consentait Ă tes yeux l'hymen d'une inconnue ?
Ce grand excès d'amour que je t'ai témoigné
N'a point touché ton coeur, ou ne l'a point gagné :
Ingrat, tu m'as payé d'une impudente feinte,
Et tu n'as eu pour moi respect, amour, ni crainte.
Va, je te désavoue.
Introduction
Accroche
• En 1637, Corneille remporte un triomphe avec Le Cid, une tragi-comédie qui met en scène un jeune héros déchiré entre amour et honneur : un parfait dilemme cornélien !
• En 1644, quand Corneille présente Le Menteur, Dorante paraît bien différent du valeureux Rodrigue : ses exploits ne sont que des mensonges.
• Mais la confrontation père-fils Acte V scène 3 fait ressurgir la question de l’honneur, face au mensonge.
Situation
• Dans la scène précédente (V, 2), Géronte vient d’apprendre par Philiste que son fils lui a menti.
• Après un monologue où il se dit humilié, il s’adresse à son fils.
• Entre tragédie et comédie, cette scène pose à Dorante des limites qu’il ne pourra franchir.
Problématique
Comment cette scène, sous l’apparence d’un traditionnel conflit entre père et fils, propose-t-elle une réflexion plus profonde sur la valeur de la parole ?
Mouvements de l'explication linéaire
La répartition des répliques fait ressortir trois mouvements, où Géronte exprime son indignation puis sa déception, face à Dorante embarrassé pour répondre.
1) Une confrontation qui révèle une vive opposition : face à Dorante encore du côté de la comédie, Géronte adopte un ton grave plus proche de la tragédie.
2) Dorante doit écouter les reproches de Géronte qui développe l’importance d’une conduite honorable, lui laissant très peu de marge de manœuvre pour se défendre.
3) Enfin, Géronte exprime sa déception douloureuse de père, d’une manière si poignante que le spectateur se demande comment Dorante saura se justifier…
Premier mouvement :
Une vive confrontation entre les personnages
GÉRONTE.
ĂŠtes-vous gentilhomme ?
DORANTE.
Ah ! Rencontre fâcheuse !
Étant sorti de vous, la chose est peu douteuse.
GÉRONTE.
Croyez-vous qu'il suffit d'ĂŞtre sorti de moi ?
DORANTE.
Avec toute la France aisément je le crois.
GÉRONTE.
Et ne savez-vous point avec toute la France
D'où ce titre d'honneur a tiré sa naissance,
Et que la vertu seule a mis en ce haut rang
Ceux qui l'ont jusqu'Ă moi fait passer dans leur sang ?
DORANTE.
J'ignorerais un point que n'ignore personne,
Que la vertu l'acquiert, comme le sang le donne ?
GÉRONTE.
Où le sang a manqué, si la vertu l'acquiert,
Où le sang l'a donné, le vice aussi le perd.
Ce qui naît d'un moyen périt par son contraire ;
Tout ce que l'un a fait, l'autre peut le défaire ;
Et dans la lâcheté du vice où je te vois,
Tu n'es plus gentilhomme, étant sorti de moi.
DORANTE.
Moi ?
Le reproche du père sur un ton grave
• Géronte interpelle son fils sur un ton grave : « Êtes-vous gentilhomme ? » l’interrogation est totale (Dorante doit répondre par oui ou par non).
• Cette question est intéressante car le sens est double : factuellement, « être gentilhomme » signifie avoir un titre de noblesse, mais il est associé à des valeurs.
• Voilà pourquoi Géronte le reprend ensuite par une périphrase : « ce titre d’honneur ». Au-delà du titre, il se réfère à un code d’honneur très présent dans la France de l’Ancien Régime.
• Référence implicite à la question de Don Diègue dans Le Cid : « Rodrigue as-tu du cœur ? » (as-tu le sens de l’honneur ?)
⇨ Le discours de Géronte, d’un ton très élevé, emprunte plutôt à la tragédie : Corneille joue avec un contraste de ton.
Au contraire Dorante ne prend pas la situation au sérieux
• Il esquive d’abord le sujet par un aparté comique : « Ah ! Rencontre fâcheuse ! » l’interjection montre son agacement.
• Pour lui, Géronte n’est qu’un « fâcheux » c’est-à -dire un importun, personnage stéréotypé de comédie.
• Puis il répond avec désinvolture : « Étant sorti de vous » : avec la participiale exprimant la cause, il reste sur le sens premier de « gentilhomme » : le titre de noblesse se transmet à la naissance.
• La réponse de Dorante à son père est peu respectueuse, le lexique est trivial « sorti de… la chose ».
• Dorante confirme ce que dit son père mais en insistant sur l’évidence « la chose n’est pas douteuse » (c’est une litote : la double négation renforce le propos).
⇨ Ce dialogue confronte deux registres : Géronte solennel d’un côté, Dorante sarcastique de l’autre.
Une opposition générationnelle
• Géronte met Dorante en demeure de répondre « croyez-vous qu’il suffit … ne savez-vous point »… Ces questions sont rhétoriques (elles attendent une réponse implicite) : il espère que Dorante réalise où se trouve le véritable sens de l’honneur.
• Mais Dorante répond que sa naissance suffit, puisque c’est une croyance répandue « Avec toute la France ».
• Géronte reprend avec ironie l’hyperbole de son fils pour en montrer l’exagération : au contraire « toute la France » met de l’importance à la notion de « vertu ».
• Pour Géronte, ce n’est pas la naissance mais « la vertu » qui a donné ce titre à ses prédécesseurs (la vertu est personnifiée).
⇨ Le discours de Géronte est d’une grande finesse rhétorique : il ne se laisse pas si facilement enfermer dans le rôle du fâcheux.
Le discours de Géronte prend le dessus
• Dorante est en effet obligé de revoir son avis : « j’ignorerais [...] ce que n’ignore personne » : le conditionnel insiste sur le fait qu’il fait une concession.
• Dorante reformule même la thèse de son père : oui, les actes vertueux permettent d’acquérir l’honneur aussi bien que la naissance : « la vertu l’acquiert comme le sang le donne ».
• Mais Géronte poursuit ses personnifications, en ajoutant un nouveau personnage « le vice aussi le perd ». Nous y sommes : le mensonge est un vice qui menace l’honneur de Dorante.
⇨ Ce n’est pas anodin, il révèle la menace implicite de la première réplique « Êtes-vous gentilhomme ? » Géronte pourrait renier Dorante s’il ne se montre pas digne de sa naissance.
Un père sur le point de renier son fils
• Géronte souligne les enjeux avec des démonstratifs : « ce titre d’honneur… ce haut rang… ceux qui l’ont jusqu’à moi ».
• La « vertu » est opposée au « vice » dans un parallélisme « la vertu l’acquiert // le vice aussi le perd » La symétrie est soulignée par la rime et l’allitération en V.
• Géronte oppose les verbes « manquer/donner acquérir/perdre naître/périr, faire/défaire » : la noblesse peut se perdre.
• Sa menace est d’abord visible dans le préfixe « dé-faire » puis dans la négation « tu n’es plus gentilhomme ».
• Géronte accompagne ses menaces en passant du vouvoiement au tutoiement « la lâcheté du vice où je te vois ».
• Dorante réalise la gravité de la situation, il va devoir se justifier, mais les mots manquent « Moi ? »
⇨ Le discours de Géronte, loin d’en faire un fâcheux de comédie, met Dorante en difficulté, au point que le spectateur se demande comment il pourra s’en sortir cette fois.
Deuxième mouvement :
Une accusation difficile Ă contrer
GÉRONTE.
Laisse-moi parler, toi de qui l'imposture
Souille honteusement ce don de la nature :
Qui se dit gentilhomme, et ment comme tu fais,
Il ment quand il le dit, et ne le fut jamais.
Est-il vice plus bas, est-il tâche plus noire,
Plus indigne d'un homme élevé pour la gloire ?
Est-il quelque faiblesse, est-il quelque action
Dont un coeur vraiment noble ait plus d'aversion,
Puisqu'un seul démenti lui porte une infamie
Qu'il ne peut effacer s'il n'expose sa vie,
Et si dedans le sang il ne lave l'affront
Qu'un si honteux outrage imprime sur son front ?
DORANTE.
Qui vous dit que je mens ?
GÉRONTE.
Qui me le dit, infâme ?
Dis-moi, si tu le peux, dis le nom de ta femme.
Le conte qu'hier au soir tu m'en fis publier…
CLITON.
Dites que le sommeil vous l'a fait oublier.
GÉRONTE.
Ajoute, ajoute encore avec effronterie
Le nom de ton beau-père et de sa seigneurie ;
Invente à m'éblouir quelques nouveaux détours.
CLITON, Ă Dorante.
Appelez la mémoire ou l'esprit au secours.
Le mensonge comme marque de déshonneur
• Géronte reprend la parole « Laisse-moi parler » à l’impératif.
• Il met la question du mensonge au centre « imposture » sujet du verbe « souiller ».
• Géronte développe le lexique du déshonneur « souille, honteusement, vice, noire, indigne, faiblesse, aversion, infâmie, affront, honteux ».
• On remarque d’ailleurs des préfixes privatifs « in-digne, in-fâmie » et des polyptotes (honteusement, honteux).
• L’imposture est soulignée par le chiasme « Qui se dit gentilhomme et ment comme tu le fais / il ment quand il le dit, et ne le fut jamais. » Le mensonge annule son honneur.
• Le spectateur pense à Rodrigue, lui aussi « élevé pour la gloire ».
⇨ On s’éloigne ici du registre de la comédie car ce discours de Géronte n’est pas ridicule.
La colère croissante d’un père
• La colère monte chez Géronte avec l’anaphore rhétorique « Est-il » qui revient 4 fois : « Est-il vice plus bas… »
• Ces questions sont rhétoriques (la réponse est implicite) : non, il n’y a pas de vice plus bas.
• L’emportement croissant est marqué par la longueur des questions « Est-il vice … pour la gloire » dure 2 vers. La question suivante : « Est-il quelque faiblesse… sur son front ? » dure 6 vers (on peut parler de période oratoire).
• Le rejet des actes de Dorante se trouve dans la rime signifiante « action // aversion » qui sont en plus soulignés par la diérèse.
• Le déshonneur se lave « dedans le sang » comme dans Le Cid.
⇨ La colère de Géronte domine la scène et sollicite une réponse claire de Dorante.
Le menteur mis en difficulté
• La première stratégie de Dorante est de nier le mensonge « qui vous dit que je mens ? ». Question à laquelle Géronte ne répond pas (c’est Philiste qui le lui a révélé 2 scènes plus tôt).
• Géronte indigné, se contente de répéter les mots de Dorante : « Qui me le dit, infâme ? ».
• Géronte emploie même un ton sarcastique : « Ajoute, ajoute encore avec effronterie » (répétition d’un même mot à la suite).
⇨ Dorante ne peut plus avoir recours au mensonge, toutes les manières de s’en sortir lui sont progressivement fermées.
Une situation qui semble insoluble
• Il le met au défi de donner le nom de sa femme : « Dis moi si tu le peux… » (en effet à la scène V,4 Dorante ne se souvenait plus du nom attribué à son beau-père fictif).
• Les interventions de Cliton « dites que le sommeil… appelez la mémoire » nous font bien voir que chacune de ces idées sera inopérante face à un père méfiant et en colère.
• Cliton s’amuse en même temps de la situation, en rappelant avec une pointe d’ironie les fanfaronnades de son maître.
⇨ Tout est fait pour que le spectateur se demande : comment Dorante s’en sortira-t-il cette fois ? D’autant plus que Géronte quitte le genre de la comédie en touchant nos émotions.
Troisième mouvement :
La déception douloureuse d’un père
GÉRONTE.
De quel front cependant faut-il que je confesse
Que ton effronterie a surpris ma vieillesse,
Qu'un homme de mon âge a cru légèrement
Ce qu'un homme du tien débite impudemment ?
Tu me fais donc servir de fable et de risée,
Passer pour esprit faible, et pour cervelle usée !
Mais dis-moi, te portais-je Ă la gorge un poignard ?
Voyais-tu violence ou courroux de ma part ?
Si quelque aversion t'éloignait de Clarice,
Quel besoin avais-tu d'un si lâche artifice ?
Et pouvais-tu douter que mon consentement
Ne dût tout accorder à ton contentement,
Puisque mon indulgence, au dernier point venue,
Consentait Ă tes yeux l'hymen d'une inconnue ?
Ce grand excès d'amour que je t'ai témoigné
N'a point touché ton coeur, ou ne l'a point gagné :
Ingrat, tu m'as payé d'une impudente feinte,
Et tu n'as eu pour moi respect, amour, ni crainte.
Va, je te désavoue.
Géronte souligne l’inutilité des mensonges de Dorante
• Cette tirade est marquée par une succession de questions rhétoriques : « te portais-je à la gorge un poignard ? ». La réponse attendue est « non bien sûr ».
• De même les autres questions rhétoriques interrogent les motifs de Dorante : « Voyais-tu violence… ? Quel besoin avais-tu… ? Pouvais-tu douter de mon consentement ? »
• Ce mot « consentement » est d’ailleurs rapproché à la rime de « ton contentement » : il n’avait pas d’intérêt à mentir.
• Le lien de conséquence « Tu me fais donc servir de fable et de risée » : il soupçonne Dorante de mentir pour le ridiculiser.
• Géronte accuse donc Dorante d’être un simple provocateur, il agit « impudemment » (CC de manière).
⇨ Géronte prend personnellement un fait troublant dans la pièce : en effet Dorante ment en effet pour le plaisir, parfois sans vraiment songer à ses propres intérêts.
Une opposition qui devient frontale
• Le mot « front » est repris par « effronterie » (le polyptote est le retour d’une même racine). C’est un affrontement.
• Géronte reprend le thème de l’âge (qui est très présent dans Le Cid) avec le parallélisme qui oppose les deux générations : « homme de mon âge // homme du tien ».
• Les pronoms personnels s’opposent « ton effronterie … ma vieillesse … Tu me fais servir … te portais-je ? »
• Les actions sont mises en parallélisme : « croire légèrement // débiter impudemment » : Géronte se reproche sa naïveté.
⇨ Cette confrontation fait ressortir la question de la confiance qu’un père peut avoir en son fils.
Le reproche d’avoir été ridiculisé
• Géronte accuse Dorante de porter atteinte à son honneur : « Tu me fais servir de fable … Passer pour un esprit faible » où « fable » et « faible » entrent en écho (paronomase).
• Le mensonge de Dorante est désigné par une périphrase « lâche artifice ».
• La « fable » et la « risée » renvoient à la comédie.
⇨ Géronte, homme aux valeurs héroïques, accuse son fils d’avoir fait de lui un personnage de comédie.
L’injustice ressentie
• Le lien logique « Mais dis-moi » annonce de nouveaux arguments. Géronte interpelle son fils à l’impératif : « dis-moi ».
• Les questions rhétoriques rappellent son attitude conciliante « te portais-je à la gorge un poignard ? » est une hyperbole.
• Il insiste sur l’évidence : « voyais-tu … à tes yeux »
• Il met même son « indulgence » en valeur par un superlatif « au dernier point ».
• Il s’agissait d’une marque de bonté « ne dût tout accorder » au subjonctif, l’amenant à accepter « l’hymen d’une inconnue ».
⇨ Géronte n’accepte pas que son fils ait inventé ce faux mariage et cette fausse grossesse d’Orphise.
Dorante face au résultat de ses mensonges
• Loin des barbons de comédie, Géronte exprime son affection : « Ce grand excès d’amour » le pléonasme « grand excès » insiste sur l’ingratitude de Dorante.
• Pour lui, les mensonges de Dorante en font un personnage insensible « n’a point touché ton cœur, ou ne l’a point gagné ». Les négations totales sont redoublées.
• L’apostrophe « ingrat » marque un tournant : la déception amène à la condamnation. On entre dans le registre tragique.
• Géronte oppose son attitude conciliante à celle de son fils, par des procédés d’antithèse « gagné / payé » « excès d’amour / impudence feinte ».
• Le constat final se fait sur un rythme ternaire : « respect, amour, ni crainte » éloignant Dorante de ces valeurs.
• Vient enfin le désaveu, sèchement sur un demi vers : « Va, je te désavoue ». On retrouve de manière inversée le célèbre vers du Cid : « va, cours, vole et nous venge ».
⇨ Ces mots sont performatifs (ils ont des conséquences concrètes) : Géronte déshérite Dorante, lui retire sa noblesse.
Conclusion
Bilan
• Dans ce passage, nous assistons à une vive confrontation entre un père et son fils, qui ne le prend pas au sérieux.
• Mais le discours de Géronte prend le dessus : multipliant les accusations, il met Dorante en difficulté.
• Sortant du registre comique, Géronte parvient même à toucher le spectateur qui se demande comment Dorante pourra s’en sortir cette fois-ci.
• Dans la suite de la scène, Dorante sera obligé d’avouer qu’il a menti, mais en alléguant que c’était par amour :
Je n'osai pas encore vous découvrir la flamme
Que venaient ses beautés d'allumer dans mon âme ;
Et j'avais ignoré, Monsieur, jusqu'à ce jour
Que l'adresse d'esprit fût un crime en amour.
Ouverture
• Dans le Dom Juan de Molière, Don Luis présente en écho une autre figure de père et de noblesse bafouée :
DOM LOUIS. — Qu’avez-vous fait dans le monde pour être gentilhomme ? Croyez-vous qu’il suffise d’en porter le nom [...] lorsque nous vivons en infâmes ? Non, non, la naissance n’est rien où la vertu n’est pas.
Molière, Dom Juan, (IV, 4), 1665.
Frans Hals, Portrait d'un membre de la garde (retouché), 1638.