Couverture du livre Le Cid de Corneille

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Couverture pour Le Cid

Corneille, Le Cid
Acte I, scène 6
Explication linéaire



Extrait étudié



DON RODRIGUE

 Percé jusques au fond du cœur
D'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d'une juste querelle,
Et malheureux objet d'une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
 Cède au coup qui me tue.
Si près de voir mon feu récompensé,
 O Dieu, l'étrange peine !
En cet affront mon père est l'offensé,
Et l'offenseur le père de Chimène !

 Que je sens de rudes combats !
Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse :
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse :
L'un m'anime le cœur, l'autre retient mon bras.
Réduit au triste choix ou de trahir ma flamme,
 Ou de vivre en infâme,
Des deux côtés mon mal est infini.
 Dieu, l'étrange peine !
Faut-il laisser un affront impuni ?
Faut-il punir le père de Chimène ?

 Père, maîtresse, honneur, amour,
Noble et dure contrainte, aimable tyrannie,
Tous mes plaisirs sont morts, ou ma gloire ternie.
L'un me rend malheureux, l'autre indigne du jour.
Cher et cruel espoir d'une âme généreuse
 Mais ensemble amoureuse,
Digne ennemi de mon plus grand bonheur,
 Fer qui causes ma peine,
M'es-tu donné pour venger mon honneur ?
M'es-tu donné pour perdre ma Chimène ?

 Il vaut mieux courir au trépas.
Je dois à ma maîtresse aussi bien qu'à mon père :
J'attire en me vengeant sa haine et sa colère ;
J'attire ses mépris en ne me vengeant pas.
À mon plus doux espoir l'un me rend infidèle,
 Et l'autre, indigne d'elle.
Mon mal augmente à le vouloir guérir,
 Tout redouble ma peine.
Allons, mon âme ; et puisqu'il faut mourir,
Mourons du moins sans offenser Chimène.

 Mourir sans tirer ma raison !
Rechercher un trépas si mortel à ma gloire !
Endurer que l'Espagne impute à ma mémoire
D'avoir mal soutenu l'honneur de ma maison !
Respecter un amour dont mon âme égarée
 Voit la perte assurée !
N'écoutons plus ce penser suborneur,
 Qui ne sert qu'à ma peine.
Allons, mon bras, sauvons du moins l'honneur,
Puisqu'après tout il faut perdre Chimène.

 Oui, mon esprit s'était déçu.
Je dois tout à mon père avant qu'à ma maîtresse.
Que je meure au combat, ou meure de tristesse,
Je rendrai mon sang pur comme je l'ai reçu.
Je m'accuse déjà de trop de négligence :
 Courons à la vengeance ;
Et tout honteux d'avoir tant balancé,
 Ne soyons plus en peine,
Puisqu'aujourd'hui mon père est l'offensé,
Si l'offenseur est père de Chimène.



Introduction



Alors que l’académie français débat de la vraisemblance des choix de Rodrigue et de Chimène, la pièce fournit pourtant toutes les explications, et notamment ici, dans ce monologue de Rodrigue, le spectateur est amené à comprendre, qu’il n’a pas le choix.

Cette scène a donc un rôle de pivot dans notre pièce : Rodrigue va devoir passer par plusieurs étapes avant de prendre sa décision. Ainsi, Corneille utilise plusieurs strophes bien séparées, qui ont la même forme métrique. Au théâtre, on appelle ça des stances. Elles sont traditionnellement utilisées pour marquer un monologue important dans la pièce... D’ailleurs entre nous, c’est aussi l’occasion d’utiliser autre chose que des alexandrins.

Il ne faut pas perdre de vue que le monologue de Rodrigue a pour objectif de prendre une décision. C’est ce qu’on appelle un discours délibératif. Or, vous allez voir que Corneille respecte les codes très précis de ce type de discours.

En effet, les 6 stances du monologue de Rodrigue correspondent précisément aux 6 parties du discours tel qu’il est théorisé par Aristote dans la Rhétorique : l’exorde, la narration, la division, la confirmation, la réfutation, et enfin la péroraison. Mais pourquoi utiliser ces concepts vieux comme l’antiquité ? Hé bien d’abord parce que Corneille s’appuie dessus, et ensuite parce qu’ils vont nous aider à comprendre le rôle de chacune des stances : c’est en effet un véritable parcours qui se présente sous nos yeux.

À la fin de sa réflexion, Rodrigue réalise qu’en fait, il n’a pas le choix : son questionnement est un faux dilemme... La bonne décision devient évidente et irréfutable. Le moment de pause dans l’action peut alors prendre fin.

Problématique


Comment ce monologue fait-il émerger progressivement aux yeux du spectateur le destin vengeur de Rodrigue, à partir d’un dilemme qui semblait impossible à résoudre.

Axes utiles pour un commentaire composé


> Un monologue sous forme de stances, où le personnage principal mène une réflexion pour démêler des arguments.
> Un discours délibératif, qui suit toutes les étapes d’un raisonnement en 6 parties.
> Un texte rythmé, qui implique le spectateur dans l’émotion du personnage, notamment grâce aux marques du lyrisme.
> Un système d’oppositions qui laisse envisager un véritable dilemme cornélien, c'est-à-dire un choix impossible à faire, entre l’amour et le devoir.
> Les faux choix envisagés par Rodrigue révèlent un destin incontournable, qui donne à cette pièce une dimension tragique.
> Un certain déséquilibre entre les propositions révèlent que le véritable enjeu pour Rodrigue est en fait de faire le deuil de sa relation avec Chimène.
> Des arguments implicites, présents en filigrane tout au long du monologue, aident finalement Rodrigue de prendre une décision avec certitude.

Premier mouvement :
La présentation du conflit



Percé jusques au fond du coeur
D'une atteinte imprévue aussi bien que mortelle,
Misérable vengeur d'une juste querelle,
Et malheureux objet d'une injuste rigueur,
Je demeure immobile, et mon âme abattue
Cède au coup qui me tue.
Si près de voir mon feu récompensé,
Ô Dieu, l'étrange peine !
En cet affront mon père est l'offensé,
Et l'offenseur le père de Chimène !


Cette première stance révèle la forme qui sera toujours employée par la suite. Alors je vous propose de faire un peu de métrique. Pour bien s’y retrouver, il faut d’abord regarder les rimes : on a un quatrain avec des rimes embrassées, ensuite, un distique avec des rimes plates, et enfin, un quatrain avec des rimes croisées. Au niveau des rythmes : 1 octosyllabe et 3 alexandrins… 1 alexandrin et 1 hexasyllabe… 1 décasyllabe, 1 hexasyllabe et 2 décasyllabes. C’est important parce que ça crée des effets de rythme.

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