Françoise de Graffigny, Lettres d’une Péruvienne - Dissertation corrigée
Imaginons que nous avons ce sujet de dissertation « Les Lettres d'une Péruvienne ne sont-elles que la découverte d'un nouvel univers ? » Voilà comment le traiter en trois parties et trois sous-parties. Cette correction est très complète, elle vous permettra de nourrir à peu près n'importe quelle dissertation sur le parcours du bac de français 2025, 2026, 2027, 2028.
Introduction
Accroche
Françoise de Graffigny a connu une certaine notoriété de son vivant. Elle a participé à la vie intellectuelle de son siècle, elle a connu Voltaire lorsqu’elle a vécu chez Mme du Châtelet. Elle a même tenu son propre Salon, fréquenté par Rousseau, Voltaire, Marivaux, Diderot, d’Alembert, Prévost…
Mais ce sont les Lettres d’une Péruvienne qui lui apportèrent une véritable célébrité dès leur première publication en 1747. Dans cet ouvrage, elle imite les Lettres persanes de Montesquieu, mais en mettant en scène le regard d’une Péruvienne. Zilia est une esclave Inca rapportée du Pérou par un officier français.
De l’œuvre au sujet
C’est dans la lettre dix-huitième, lorsqu’elle apprend le français, que Zilia écrit ces mots :
À mesure que j'en ai acquis l'intelligence, un nouvel univers s'est offert à mes yeux. Les objets ont pris une autre forme, chaque éclaircissement m'a découvert un nouveau malheur.
Ce dispositif du roman épistolaire est très particulier : ces lettres écrites par une femme étrangère obligent le lecteur occidental à se décentrer de lui-même : il découvre à la fois un regard emprunt d’une autre culture, et, sous un angle inédit, une société qui lui est pourtant familière. L’effet de découverte est donc plus complexe qu’il n’y paraît !
Problématique
Dès lors, on peut se demander, ces Lettres d’une Péruvienne ne sont-elles que le récit de la découverte d’un nouvel univers ? Ce roman épistolaire nous raconte-t-il seulement le voyage d’une personne découvrant un monde inconnu ? Françoise de Graffigny n’utilise-t-elle cette forme du roman par lettres que pour nous faire découvrir un monde nouveau ?
Annonce du plan
En effet, dans un premier temps, nous suivons les aventures de Zilia, nous découvrons un nouvel univers, au sens large du terme : ce sont aussi des sensations, des émotions nouvelles. Mais la découverte va plus loin : le regard inca de Zilia nous dépayse, le passage par une autre culture met en relief les outrances de notre société, et cela sert un objectif satirique. Enfin, aussi documenté soit-il, le regard de Zilia reste un regard artificiel : il s’agit d’un procédé qui permet à Mme de Graffigny de faire œuvre de moraliste, et notamment de défendre des valeurs universelles, issues du mouvement des Lumières.
I. La découverte d'un monde nouveau aux yeux d'une Péruvienne
1) Un récit de voyage et d'aventures
Les Lettres d'une Péruvienne, c'est d'abord un grand récit d'aventures. Zilia, jeune péruvienne arrachée à son pays, séparée de son fiancé, se retrouve en France, plongée au cœur d'une nation dont elle ne connaît ni les mœurs, ni les coutumes, ni même la langue. Tout cela la désoriente profondément.
Tout ce qui s'offre Ă mes yeux me frappe, me surprend, m'Ă©tonne et [...] je doute presque de ce que je vois.
Zilia se retrouve en France malgré elle : ce monde nouveau est d'abord l'expérience d'une contrainte. Elle est transférée d'une cabine à l'autre, jusqu'à ce que Déterville l'installe dans ses propres appartements. Mais encore à ce moment-là , tout le monde la dissuade de retourner dans son pays et retrouver son fiancé. Notamment le prêtre qu’elle nomme Cusipata.
Je remis la conversation sur le projet de mon voyage, mais [...] il m'opposa des raisonnements si forts [...] que je ne trouvai que ma tendresse pour toi qui pût les combattre.
Dans un premier temps, tout lui paraît étrange, presque menaçant. Pour Zilia, le bateau est une habitation instable, suspendue dans les airs. Le médecin qui lui prend le pouls tous les jours semble s'adonner à une étrange superstition. Plus tard, le carrosse, tiré par des quadrupèdes inconnus, l'effraye.
Ă”, mon cher Aza, que les prodiges sont familiers dans ce pays ! Je sentis cette machine [...] se mouvoir et changer de place. Ce mouvement me fit penser Ă la maison flottante. La frayeur me saisit.
Mais le regard de Zilia sur le nouveau monde qui l'entoure est aussi un regard admiratif. Les descriptions qu'elle fait de la ville, des maisons, des jardins, frĂ´lent le merveilleux. Le miroir qui renvoie son image est un prodige, les fontaines et les feux d'artifice sont des tours de magie.
Le feu, ce terrible élément, je l'ai vu [...] dirigé docilement par une puissance supérieure, [...] dessinant un vaste tableau de lumière sur un ciel obscurci par l'absence du Soleil.
2) La découverte d'une autre culture
La première expérience que Zilia a des occidentaux, c’est sa rencontre avec les cruels conquistadors, elle compare leurs armes à feu à la foudre d'Yalpor. Puis, quand elle rencontre les français, elle les trouve légers, comme s'ils étaient inachevés.
Ceux-ci semblent s'être échappés des mains du Créateur au moment où il n'avait encore assemblé pour leur formation que l'air et le feu.
Une fois à Paris, Déterville emmène Zilia dans ce qu’on appelle « le grand monde ». Zilia, qui ne connaît pas les codes sociaux, doit se fier aux attitudes et aux vêtements pour identifier les personnes de haut rang, qu’elle appelle Pallas, Anqui ou Caracas.
Un homme que j'aurais pris pour un Caracas s'il n'eût été vêtu de noir, vint me prendre par la main d'un air affable et me conduisit auprès d'une femme, qu'à son air fier, je pris pour la Pallas de la Contrée.
Zilia est encore plus complètement immergée dans une autre culture lorsqu'elle se rend pour la première fois au théâtre. Cette rencontre s'accompagne de sensations contradictoires. La tragédie est un spectacle qui lui est pénible, tandis que l'Opéra semble, par la musique, s'exprimer dans une langue universelle.
Il faut, mon cher Aza, que l'intelligence des sons soit universelle, car il ne m'a pas été plus difficile de m'associer aux différentes passions que l'on a représentées que si elles avaient été exprimées dans notre langue.
Enfin, Zilia parvient à comprendre la société française en profondeur à partir du moment où elle apprend la langue française. Apprendre une langue permet de saisir les subtilités d'une pensée, et de s'ouvrir l'accès aux livres, dont chacun est en quelque sorte, un petit univers.
Je ne puis t'exprimer, mon cher Aza, l'excellence du plaisir que je trouverais à les lire, [...] ni le désir extrême que j'ai de connaître quelques-uns des hommes divins qui les composent.
3) DĂ©couvrir un nouvel univers au sens large
Par son aventure, Zilia découvre beaucoup plus qu'un autre pays : elle se découvre bientôt elle-même à travers le regard des autres. Son voyage est initiatique. Elle affûte son observation, et renforce son caractère, affirmant à la fois sa singularité, et l’humanité qu’elle partage avec tous.
Portant toute mon attention sur ces femmes, je crus démêler que la singularité de mes habits causait seule la surprise [...] Je ne pensai plus qu'à leur persuader par ma contenance que mon âme ne différait pas tant de la leur que mes habillements de leurs parures.
C’est alors que la métaphore du miroir prend tout son sens : le jeu de regard est toujours double, et l’on se découvre soi-même en découvrant les autres.
Après que ma petite China [m'eut arrangé], elle me fit approcher de cette ingénieuse machine qui double les objets. Quoique je dusse être accoutumée à ses effets, je ne pus [...] me garantir de la surprise.
Zilia rencontre les membres de la famille de Déterville. Elle subit la froideur de sa mère, mais trouve du réconfort dans l'amitié de sa sœur Céline. Lorsque tombent les barrières du langage, elle réalise que Déterville est amoureux d'elle. Ainsi la découverte du monde, du langage, et des sentiments sont indissociables.
Vous ne parlez pas assez bien le français pour détruire mes justes craintes [...] expliquez-moi quel sens vous attachez à ces mots : « Je vous aime. » Que [...] je meure à vos pieds de douleur ou de plaisir.
Enfin, lorsque Aza se désengage de ses vœux, après une période de déni où Zilia préférerait fermer les yeux, elle les ouvre à nouveau et décide de trouver la paix dans les sciences et l'amitié. Le roman nous propose donc une découverte, au sens le plus large du terme : l’adoption d’un regard neuf sur tout ce qui nous entoure.
La vie suffit-elle pour acquérir une connaissance légère, mais intéressante de l'univers, de ce qui m'environne, de ma propre existence ?
Transition
Ainsi, nous avons suivi les aventures de Zilia, et nous avons, comme elle, découvert un nouvel univers. Cependant, pour le lecteur occidental, ce roman épistolaire est en même temps la découverte d'un regard étranger, marqué par la culture inca. Ce regard a bien sûr quelque chose d'artificiel, mais il offre un décentrement exceptionnel, et nous fait voir sous un angle accablant les excès d'une société qui nous est familière !
II. DĂ©couvrir un regard Ă©tranger sur un monde familier
1) L'invention d'un regard Inca
Les premiers mots de la première lettre produisent tout de suite un effet d'exotisme et d'étrangeté : c'est une jeune femme inca qui parle : les tournures de phrases sont imagées, riches en métaphores. À travers son style d'écriture, le lecteur est transporté dans un autre monde.
Aza ! Mon cher Aza ! Les cris de ta tendre Zilia, tels qu'une vapeur du matin, s'exhalent et se dissipent avant d'arriver jusqu'Ă toi ; en vain je t'appelle Ă mon secours.
Françoise de Graffigny s'est beaucoup documentée sur les Incas pour rédiger son œuvre. Elle a lu les Commentarios reales de los Incas de Inca Garcilaso de La Vega, d'où elle tire le procédé des quipos, les descriptions de Cuzco, les rites adressés au Soleil, le mythe de la fin du monde qui est évoqué lorsque Zilia se trouve dans le navire qui l’emmène en France.
Notre habitation recevait des ébranlements tels que la terre en éprouvera, lorsque la lune en tombant réduira l'univers en poussière.
Ainsi, Zilia applique des éléments incas sur la réalité française : Déterville est un Cacique, (un chef de province), sa mère est une Pallas (une princesse) etc. Zilia elle-même se représente écrivant… Tout cela met en place un dispositif de fiction que le lecteur de l'époque connaît bien.
Je suis encore si peu habile dans l'art d'écrire, mon cher Aza, qu'il me faut un temps infini pour former très peu de lignes. Il arrive souvent qu'après avoir beaucoup écrit, je ne puis deviner moi-même ce que j'ai cru exprimer.
Ce regard étranger peut nous sembler pour le moins artificiel, mais il donne une réelle épaisseur aux comparaisons entre le monde occidental et celui des incas. Par exemple, Zilia s'étonne que le roi des français ne soit pas aussi bienveillant envers son peuple que le grand Capa-Inca. Ce regard étranger est bien au service d’une remarquable satire sociale.
2) Une société française dominée par les apparences
La première chose qui frappe le regard de Zilia, c’est la vivacité et la familiarité des gestes des Français. En comparaison, les incas paraîtraient sérieux, graves, ennuyeux.
À juger de leur esprit par la vivacité de leurs gestes, je suis sûre que nos expressions mesurées, [...] qui expriment si naturellement nos sentiments [...] leur paraîtraient insipides.
Les vêtements français sont somptueux, les visages souriants, mais cela cache quelque chose. Zilia perçoit tout de suite cette ambivalence.
Un certain empressement répandu sur leurs actions, et qui paraît être de la bienveillance, prévient en leur faveur ; mais je remarque des contradictions dans leur conduite, qui suspendent mon jugement.
Zilia découvre en effet que cette politesse est surfaite : elle remplace les marques d'estime par de faux compliments. Une métaphore illustre cela : celle des dorures. Alors que les meubles des Incas sont en or massif, ceux des français sont — trompeusement — couverts d'une peinture dorée.
Les meubles que je croyais d'or n'en ont que la superficie, leur véritable substance est de bois ; de même, ce qu'ils appellent politesse cache légèrement leurs défauts sous les dehors de la vertu.
Ce qui est vrai pour les relations sociales se retrouve donc dans tous les domaines : pour paraître riches, les familles se ruinent. Zilia accuse les français de faire passer le superflu devant le nécessaire, par vanité. Elle les trouve idolâtres : vouant un culte à de fausses valeurs, comme à un faux Dieu.
La vanité dominante des Français est celle de paraître opulents. Le génie, les arts, et peut-être les sciences, tout se rapporte au faste ; tout concourt à la ruine des fortunes.
Zilia s'efforce donc de chercher toujours au-delà des apparences, au-delà des premières impressions. Le regard de l'étrangère est un peu comme un instrument d'optique, une loupe ou une longue vue. L'image est d'ailleurs développée dans un épisode célèbre où Déterville lui apprend que leur navigation est bientôt terminée.
Par un prodige incompréhensible, en me faisant regarder à travers une sorte de canne percée, il m'a fait voir la terre dans un éloignement où, sans le secours de cette merveilleuse machine, mes yeux n'auraient pu atteindre.
3) Une satire exceptionnelle de la société française
Le personnage de Zilia est particulièrement intéressant parce qu'il offre un triple décentrement au lecteur : c'est une étrangère, mais c'est aussi une femme et une esclave, qui s'interroge sur les questions de genre et sur son statut social. C'est un parti pris très rare dans la littérature de l'époque.
Hélas ! que la manière méprisante dont j'entendis parler de ceux qui ne sont pas riches me fit faire des cruelles réflexions sur moi-même ! Je n'ai ni or, ni terres, ni industrie. [...] Dans quelle classe dois-je me ranger ?
Zilia témoigne de l'injustice que Céline subit, déshéritée, envoyée au couvent au profit de son frère aîné. Zilia se retrouve avec elle dans une institution religieuse où elle constate que l'éducation donnée aux jeunes filles est une absurdité : les sœurs étant incapables de leur apprendre à vivre dans le monde.
Du moment que les filles commencent Ă ĂŞtre capables de recevoir des instructions, on les enferme dans une maison religieuse pour leur apprendre Ă vivre dans le monde. On confie le soin d'Ă©clairer leur esprit Ă des personnes auxquelles on ferait[...] un crime d'en avoir.
L'alternative, pour une femme du XVIIIe siècle, est de se marier. Mais alors, Zilia le constate en observant les françaises : elles deviennent un ornement dans leur propre maison.
Son mari ne cherche pas à la former au soin des affaires, de sa famille et de sa maison. Elle ne participe au tout de ce petit univers que par la représentation. C'est une figure d'ornement pour amuser les curieux.
Transition
Ainsi, le regard si particulier de Zilia est au service d’une analyse de la société que Françoise de Graffigny réalise elle-même. Le point de vue inca, aussi documenté qu'il soit, fait surtout ressortir des valeurs universelles. Françoise de Graffigny fait une œuvre de moraliste où elle avance des idées issues du Mouvement des lumières.
III. Poser des questions morales et transmettre des valeurs des Lumières
1) Une Ĺ“uvre de moraliste
D'abord, par son attitude, Zilia se montre exemplaire. À l'écoute des autres, elle fait preuve de franchise, d'honnêteté, et de tact. Par exemple, elle ménage le prêtre pour ne pas le froisser dans ses convictions religieuses.
Si les lois de l'humanité défendent de frapper son semblable, parce que c'est lui faire un mal, à plus forte raison ne doit-on pas blesser son âme par le mépris de ses opinions.
Le parcours de Zilia l'amène à s'interroger sur le sens de l'amour et de l'amitié. Elle trouve beaucoup de réconfort dans le soutien de sa China, dans l'amitié de Céline. Zilia s'étonne que Céline soit obligée de cacher son amour pour un jeune homme qu'elle rencontre à l'Opéra.
Sur le peu que je devinai de leur entretien, j'aurais pensé qu'elle aimait le jeune homme qui le lui avait donné, s'il était possible que l'on s'effrayât de la présence de ce qu'on aime.
Concernant Déterville, Zilia voit dans ses yeux la même flamme que dans ceux d'Aza. Ainsi, l'amour et l'amitié, s'exprimant différemment d'une culture à l'autre sont pourtant des sentiments universels qui les transcendent.
Le choix final de Zilia de vivre seule, sans se marier, de privilégier l'amitié avec Déterville, est un choix subversif à l'époque. Céline le lui rappelle d'ailleurs souvent : il est inconvenant pour une femme de vivre seule. Zilia a la force de caractère de résister à ces injonctions.
Peut-être la fausse décence de votre nation ne permet-elle pas à mon âge l'indépendance et la solitude où je vis. [Mais] la véritable décence est dans mon cœur. Ce n'est point au simulacre de la vertu que je rends hommage, c'est à la vertu même.
Il faut savoir que Mme de Graffigny, mariée à l’âge de 17 ans, a beaucoup souffert d'un mari violent. Elle a pu s'en éloigner et quand elle devint veuve, elle ne se remaria jamais et profita de ce statut jusqu'à la fin de sa vie… Ce qui lui permit d’écrire et de participer à la vie intellectuelle de son époque.
2) Un regard étranger façonné par les idées des lumières
Dès les premières lettres, Françoise de Graffigny dénonce la colonisation, en montrant la cruauté des conquistadors, et d'une manière générale la cupidité des occidentaux. Les Français sont accusés de faire venir de toutes les parties du monde des décorations qui leur coûtent beaucoup, mais qui flattent leur vanité. Ces actes sont contraires à l'humanité et à la Raison, valeurs fondamentales des Lumières.
Zilia questionne notamment les discours religieux, et admire sincèrement la morale chrétienne, qui lui semble correspondre à des principes naturels. Mais, comme les philosophes des Lumières, elle interroge les mythes et les superstitions, qui ne devraient pas prendre le pas sur les vertus universelles contenues dans la religion.
[Les] principes de cette Religion [...] ne m'ont pas paru plus incroyables que l'histoire de Manco Capac [...] ; et la morale en est si belle que j'aurais écouté le Cusipata avec plus de complaisance s'il n'avait parlé avec mépris du culte sacré que nous rendons au Soleil.
Zilia prône enfin un désintérêt à l'égard des richesses et du pouvoir. Elle enjoint Aza lui-même à se détacher des séductions de la royauté pour rechercher le bonheur dans une vie simple et retirée, en compagnie de celle qu'il aime.
Riches de la possession de nos cœurs, grands par nos vertus, puissants par notre modération, nous irons dans une cabane jouir du ciel, de la terre et de notre tendresse. Tu seras plus roi en régnant sur mon âme qu'en doutant de l'affection d'un peuple innombrable.
3) Une quĂŞte du sens de la vie et du bonheur
La recherche du bonheur est très présente dans les lettres de Zilia. La question philosophique du sens de la vie émerge dès le moment où elle songe au suicide : tentée de se jeter à la mer, Zilia regrette aussitôt.
Que le sang-froid est cruel après la fureur ! Que les points de vue sont différents sur les mêmes objets ! Dans l'horreur du désespoir on prend la férocité pour du courage.
Dans les moments de doute, elle se tourne vers les livres qu'elle admire ! Les Lettres d'une Péruvienne défendent ainsi avec force les convictions des lumières.
Je comprends qu'ils sont à l'esprit ce que le Soleil est à la terre, et que je trouverais avec eux toutes les lumières, tous les secours dont j'ai besoin.
Conformément à la pensée des Lumières, Zilia ne juge jamais les Français incorrigibles : elle fait valoir que le cadre politique et social les détermine fortement, et que, plongés dans un autre milieu, ils se comporteraient différemment.
S'ils vivaient parmi nous, ils deviendraient vertueux ; l'exemple et la coutume sont les tyrans de leur conduite.
On perçoit l'influence de Rousseau, car Zilia rapproche la simplicité des mœurs de son peuple à celle des ancêtres des français, qui vivaient d'une saine sobriété, mais dont les Français se moquent désormais. L’homme est originellement bon, c’est la société qui le corrompt.
Ils insultent gaiement à la mémoire de leurs ancêtres, dont la sage économie se contentait de vêtements commodes, de parures et d'ameublements proportionnés à leurs revenus plus qu'à leur naissance.
À travers ces lettres, ce que Mme de Graffigny dénonce, c'est une corruption des mœurs qui, à ses yeux, prend des proportions inquiétantes en ce milieu de XVIIIe siècle. Pour contrer cela, elle aspire à une société plus juste, où les femmes auraient un rôle intellectuel à jouer.
Conclusion
Bilan
Dans ce roman épistolaire, nous suivons d’abord les aventures d’une jeune femme esclave, enlevée par les conquistadors, et sauvée par un officier français, qui tombe amoureux d’elle et l’amène en France. La découverte d’un nouvel univers est ainsi à prendre au sens large d’une aventure initiatique.
Mais ce dispositif permet alors au lecteur occidental de découvrir une culture inca tellement différente de la sienne, que les effets de contraste lui offrent un nouveau regard sur le monde qu’il connaît. C’est l’occasion pour Françoise de Graffigny de faire un tableau satirique de la société française.
Le regard de Zilia nous apparaît finalement comme un procédé littéraire artificiel, mais utile pour mener une réflexion philosophique : il permet à Françoise de Graffigny de réaliser une œuvre de moraliste où elle défend ardemment les valeurs universelles des Lumières. Une certaine idée de la raison, partagée par tous les êtres humains, remet en cause un certain nombre d’institutions de l’époque, comme l’éducation des femmes, la colonisation et l’esclavage.
Ouverture
À la fin du XXe siècle, d’une toute autre manière, Toni Morrison raconte l’histoire d’une femme esclave, Sethe, qui tente par tous les moyens d’échapper à son passé d’esclave.
Tout Blanc avait le droit de se saisir de toute votre personne [...]. Pas seulement pour vous faire travailler, vous tuer ou vous mutiler, mais pour vous salir. Vous salir si gravement qu'il vous serait Ă jamais impossible de vous aimer.
Toni Morrison, Beloved, 1987.
Victorine-Angélique-Amélie Rumilly, portrait de Françoise de Graffigny, 1836.