Françoise de Graffigny, Lettres d’une Péruvienne, 1747. Lettre XXIX — Le goût effréné du superflu
Extrait étudié
Ce n'est pas sans un véritable regret, mon cher Aza, que je passe de l'admiration du génie des Français au mépris de l'usage qu'ils en font. Je me plaisais de bonne foi à estimer cette Nation charmante, mais je ne puis me refuser à l'évidence de ses défauts.
Le tumulte s'est enfin apaisé, j'ai pu faire des questions ; on m'a répondu ; il n'en faut pas davantage ici pour être instruite au-delà même de ce qu'on veut savoir. C'est avec une bonne foi et une légèreté hors de toute croyance, que les Français dévoilent les secrets de la perversité de leurs mœurs. Pour peu qu'on les interroge, il ne faut ni finesse ni pénétration pour démêler que leur goût effréné pour le superflu a corrompu leur raison, leur cœur, et leur esprit ; qu'il a établi des richesses chimériques sur les ruines du nécessaire ; qu'il a substitué une politesse superficielle aux bonnes mœurs, et qu'il remplace le bon sens et la raison, par le faux brillant de l'esprit.
La vanité dominante des Français, est celle de paraître opulents. Le Génie, les Arts, et peut-être les Sciences, tout se rapporte au faste ; tout concourt à la ruine des fortunes, et comme si la fécondité de leur génie ne suffisait pas pour en multiplier les objets, je sais d'eux-mêmes, qu'au mépris des biens solides et agréables que la France produit en abondance, ils tirent, à grands frais, de toutes les parties du Monde, les Meubles fragiles et sans usage, qui font l'ornement de leurs Maisons, les parures éblouissantes dont ils sont couverts, et jusqu'aux mets et aux liqueurs, qui composent leurs repas.
Peut-être, mon cher Aza, ne trouverais-je rien de condamnable dans l'excès de ces superfluités, si les français avaient des trésors pour y satisfaire, ou qu'ils n'employassent à contenter leur goût, que ce qui leur resterait après avoir établi leurs Maisons sur une aisance honnête.
Nos Lois, les plus sages qui aient été données aux hommes, permettent certaines décorations dans chaque état qui caractérisent la naissance ou les richesses, et qu'à la rigueur on pourrait nommer superflu ; aussi n'est-ce que celui qui naît du dérèglement de l'imagination, celui qu'on ne peut soutenir sans manquer à l'humanité et à la justice, qui me paraît un crime ; en un mot, c'est celui dont les Français sont idolâtres, et auquel ils sacrifient leur repos et leur bonheur.
Introduction
Accroche
• En 1747, Françoise de Graffigny imite les Lettres persanes de Montesquieu en rédigeant ses Lettres d’une Péruvienne : le regard étranger de Zilia permettra de mettre à jour les défauts de la société occidentale.
• Bien sûr, ce regard étranger est artificiel, derrière les mots de Zilia, se cache le point de vue de Mme de Graffigny, qui fait œuvre de moraliste.
• Le regard naïf de Zilia prépare le lecteur aux critiques de la société française qui vont suivre…
Situation
• Dans notre passage, Zilia a déjà appris à parler français, elle comprend mieux les mœurs françaises, qu’elle décrit à Aza.
• Alors que son premier regard était plein d’admiration pour le génie des français, elle réalise qu’il sert surtout leur vanité.
• Françoise de Graffigny, à travers le regard de Zilia, nous fait voir en quoi ces excès se révèlent contraires à la raison.
• Les valeurs des Lumières sont perceptibles derrière ce regard faussement naïf d’une péruvienne.
Problématique
Comment cette lettre, mettant en scène le regard étranger de Zilia, permet-il à Françoise de Graffigny de montrer à ses lecteurs les excès de la société française ?
Mouvements de l'explication linéaire
Zilia découvre d’abord « le génie des français » puis « la vanité des français » qu’elle oppose à « nos lois » (celles des incas) :
I. Introduire un regard étranger révélateur
II. Analyser la vanité des français
III. Proposer des principes de sagesse
Axes de lecture pour un commentaire composé
I. Un regard étranger pour dénoncer la vanité des français
1) La mise en scène du regard étranger
2) L’aveuglement des français à leurs défauts
3) Une vanité qui vient tout corrompre
II. Une analyse d’une grande richesse
1) Le regard de Zilia Ă©volue
2) Le génie français au service du superflu
3) La dénonciation d’un pillage absurde
III. Des valeurs qui sont issues des Lumières
1) Le regard d’une moraliste
2) Mettre en avant des valeurs primordiales
3) L’idée d’une sagesse universelle
Premier mouvement :
Introduire un regard étranger révélateur
Ce n'est pas sans un véritable regret, mon cher Aza, que je passe de l'admiration du génie des Français au mépris de l'usage qu'ils en font. Je me plaisais de bonne foi à estimer cette Nation charmante, mais je ne puis me refuser à l'évidence de ses défauts.
Le tumulte s'est enfin apaisé, j'ai pu faire des questions ; on m'a répondu ; il n'en faut pas davantage ici pour être instruite au-delà même de ce qu'on veut savoir. C'est avec une bonne foi et une légèreté hors de toute croyance, que les Français dévoilent les secrets de la perversité de leurs mœurs. Pour peu qu'on les interroge, il ne faut ni finesse ni pénétration pour démêler que leur goût effréné pour le superflu a corrompu leur raison, leur cœur, et leur esprit ; qu'il a établi des richesses chimériques sur les ruines du nécessaire ; qu'il a substitué une politesse superficielle aux bonnes mœurs, et qu'il remplace le bon sens et la raison, par le faux brillant de l'esprit.
Une lettre écrite par une étrangère
• Zilia commence par une apostrophe à son fiancé, le prince inca Aza « Mon cher Aza » destinataire de la lettre.
• Elle écrit à la première personne « je passe … j’ai pu faire ».
• Le nom commun « évidence » a pour racine latine « videor » qui signifie « être vu ». Voilà ce qui apparaît à son regard extérieur.
• Zilia, étrangère, prend à peine ses repères, comme l’indique la voix pronominale « le tumulte s’est enfin apaisé ».
• Élément de surprise : l’admiration de Zilia appartient au passé « je me plaisais à estimer » l’imparfait est révolu.
⇨ Graffigny met en scène ce regard extérieur de Zilia pour mieux préparer son lecteur français à recevoir des critiques.
Préparer le lecteur à des critiques avec délicatesse
• Une double négation « ce n’est pas sans regret » signifie : je regrette beaucoup ».
• Elle insiste sur ce regret pour mieux faire passer les critiques qui vont suivre « un véritable regret ».
• Zilia s’exprime avec politesse : la double négation forme une litote « je ne puis me refuser à l’évidence » pour annoncer les critiques qui vont suivre
• La qualité principale de cette Nation est d’être « charmante » : cela n’en fait-il pas une Nation superficielle ?
• Les critiques sont annoncées par le possessif pluriel « ses défauts ». Plusieurs défauts sont annoncés.
⇨ Zilia introduit ses critiques en jouant avec la surprise : la surprise vient remettre en cause son admiration des français.
Un changement de point de vue radical
• Le verbe de mouvement « passer » indique bien une évolution de la pensée qui change radicalement.
• Le point de vue de Zilia est dynamique, passant d’un extrême à l’autre avec les prépositions « de l’admiration … au mépris ».
• C’est une véritable antithèse (mise en présence de deux termes fondamentalement opposés) « admiration / mépris ».
• Ce revirement porte pourtant sur le même objet, le « génie » : ce qui est critiquable, c’est « l’usage qu’ils en font ».
• Le changement radical de point de vue est illustré par le lien d’opposition « mais ».
⇨ Zilia, d’abord admirative du génie français, a été déçue en découvrant les mœurs françaises.
Zilia veut seulement comprendre les mœurs française
• La virgule après « apaisé » a un sens de conséquence : cet apaisement lui a permis de poser des questions autour d’elle.
• Zilia est curieuse, elle fait « des questions » au pluriel.
• La curiosité de Zilia est légitime et modérée, avec le CC de but « pour être instruite » : elle veut comprendre le pays où elle est.
• Le pronom indéfini « on m’a répondu » laisse un flou sur l’interlocuteur : une personne représentative des français.
⇨ Zilia voulait comprendre une autre culture, mais elle va découvrir les excès des français malgré elle.
Les français sont loquaces sur leurs excès
• La tournure impersonnelle est associée au présent de vérité générale « il n’en faut pas davantage ».
• La négation permet d’insister (litote) « il n’en faut pas davantage » signifie « il en faut peu ».
• Ce bavardage est une caractéristique bien française comme le précise le CC de lieu « ici ».
• Comme pour imiter ce bavardage, la phrase se prolonge alors qu’on la croirait terminée (hyperbate) : « au-delà même de ce qu’on veut savoir ».
⇨ Les français parlent avec excès de leurs excès, car ils ne s’en rendent pas compte.
Les français sont aveugles à leurs propres défauts
• La « bonne foi » de Zilia entre en écho avec la « bonne foi » des français révélant leurs excès.
• La métaphore de la « légèreté » caractérise l’esprit français : ils ne songent pas à chercher les contradictions de leur discours.
• Cette inconséquence est déraisonnable, au point que Zilia a du mal à le croire « hors de toute croyance ».
• La métaphore du voile « dévoiler les secrets » révèle aux yeux des étrangers ce que les français ne voient pas eux-mêmes.
⇨ Les français ne voient pas ce qu’un regard étranger perçoit.
Le regard de Zilia comme guide pour le lecteur
• La métaphore de la pelote de laine « démêler » nous invite à suivre Zilia comme le fil d’Ariane.
• Les négations coordonnées insistent sur l’évidence de ces défauts : « ni finesse ni pénétration ».
• Le terme « perversité » du latin « pervertire » signifie « mettre sens dessus-dessous ». Cette « perversité des mœurs » est l’inverse des « bonnes mœurs ».
⇨ Le regard extérieur de Zilia est un véritable révélateur de défauts que l’on prend même pour des qualités !
Des défauts plus graves qu’ils n’y paraissent
• On a presque une allégorie : « le goût pour le superflu » devient un personnage corrupteur.
• Le passé composé indique des actions passées qui ont des conséquences sur le présent « a établi … a substitué ».
• Les verbes sont de plus en plus graves « a établi » devient « a substitué » et enfin « remplace » au présent d’énonciation : les bonnes mœurs ont laissé place à de mauvaises.
• La métaphore des « ruines » insiste sur le désastre.
• Le champ lexical de la vanité « superflu, superficiel, chimérique, le faux brillant » envahit le discours.
⇨ Zilia veut montrer en quoi cette vanité touche à la fois la raison, le cœur et l’esprit des français.
Trois oppositions
• Le rythme est ternaire, annonçant trois grands défauts « leur raison, leur cœur, leur esprit ».
• Ces trois éléments semblent même exhaustifs : la raison, le cœur et l’esprit sont trois composantes essentielles de ce qui fait l’humain (on perçoit l’influence des Lumières dans ce texte).
• Ce sont alors trois oppositions mélioratif / péjoratif.
• Première opposition « richesses chimériques / nécessaire ». C’est la Raison qui est bafouée ici puisque le nécessaire passe derrière ce qui est « chimérique » (imaginaire).
• Deuxième opposition « politesse superficielle / bonnes mœurs ». C’est le cœur qui est concerné ici : la capacité à créer un lien sincère avec l’autre est compromis par cette « politesse ».
• Troisième opposition « le bon sens et la raison / le faux brillant de l’esprit ». L’intelligence est au service de futilités.
⇨ Zilia s’apprête à faire une analyse poussée des mœurs françaises.
Deuxième mouvement :
Analyser la vanité des français
La vanité dominante des Français, est celle de paraître opulents. Le Génie, les Arts, et peut-être les Sciences, tout se rapporte au faste ; tout concourt à la ruine des fortunes, et comme si la fécondité de leur génie ne suffisait pas pour en multiplier les objets, je sais d'eux-mêmes, qu'au mépris des biens solides et agréables que la France produit en abondance, ils tirent, à grands frais, de toutes les parties du Monde, les Meubles fragiles et sans usage, qui font l'ornement de leurs Maisons, les parures éblouissantes dont ils sont couverts, et jusqu'aux mets et aux liqueurs, qui composent leurs repas.
Peut-être, mon cher Aza, ne trouverais-je rien de condamnable dans l'excès de ces superfluités, si les français avaient des trésors pour y satisfaire, ou qu'ils n'employassent à contenter leur goût, que ce qui leur resterait après avoir établi leurs Maisons sur une aisance honnête.
Zilia annonce d’abord la conclusion de son observation
• La première phrase est courte, lapidaire, comme une petite maxime au présent de vérité générale « la vanité est … »
• Zilia concentre son analyse sur la nation française avec l’article défini et la majuscule « des Français ».
• L’adjectif « dominante » témoigne d’une observation attentive pour déceler ce qui caractérise le mieux les mœurs françaises.
• Le pronom démonstratif « celle de… » nous montre.
• Le verbe « paraître » vient modaliser : ce n’est pas une véritable opulence, uniquement l’apparence de richesse.
• Le lecteur de l’époque reconnaît l’idée de « vanité », thème biblique « vanitus vanitatum » : tout redeviendra poussière.
• Une proposition courte, au présent de vérité général confirme cette thèse que va développer Zilia « Tout se rapporte au faste ».
⇨ Françoise de Graffigny moraliste vient dénoncer à travers Zilia la vanité de ses compatriotes.
Une vanité qui vient tout corrompre
• Les grandes disciplines ont des majuscules : « le Génie… les Arts… les Sciences » : cela donne un impression d’exhaustivité.
• Ces termes ont évolué dans le temps. Le « Génie » désigne à l’époque les métiers d’une manière générale, tandis que les « Sciences » comportent aussi la philosophie.
• L’Encyclopédie de Diderot est sous-titré « Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers ».
• Zilia généralise « Tout se rapporte… Tout concourt ». Elle répète le pronom indéfini « tout » (anaphore rhétorique).
• Alors que ces disciplines devraient viser un véritable progrès humain, Zilia met sur le même plan le « faste » et la « ruine ».
⇨ Elle nous présente en raccourci la cause et la conséquence : rechercher le faste à tout prix conduit les fortunes à la ruine.
Un excès qui s’exprime dans la richesse des phrases
• La phrase est particulièrement longue, comme pour mimer le faste excessif des français.
• Le témoignage des français « eux-mêmes » (CC de manière) donne du poids aux observations de Zilia .
• Le lien d’addition « et » introduit une grande subordonnée conjonctive « je sais que » contenant des relatives « les meubles qui… les parures dont… les mets qui… »
• La subordonnée circonstancielle de comparaison « comme si » forme une grande litote (double atténuation qui renforce le propos) : la fécondité de leur génie suffirait largement !
⇨ Ainsi Zilia cherche à comprendre ces fastes excessifs.
Des fastes excessifs condamnables
• L’expression « au mépris de » signifie « malgré » ou (malgré l’abondance). Ils ont déjà plus que le nécessaire.
• Les pluriels expriment une démultiplication « les biens… les meubles… les parures… »
• Le verbe d’action « ils tirent » est associé à des CC « à grands frais » et « de toutes les parties du monde » comme une grande activité effrénée et sans limite.
• La majuscule à « Monde » dénonce les mécanismes qui conduisent le français à coloniser ces parties du monde.
• Le CC de manière « à grands frais » indique que cela est ruineux : cette colonisation n’est pas une affaire rentable.
⇨ Graffigny dénonce un véritable pillage qui s’avère inutile.
Un excès qui ne sert que la vanité
• On va du nécessaire au superflu avec deux adjectifs coordonnés « solide et agréable ».
• Les qualifications se poursuivent : « fragiles et sans usage ». Ils se ruinent pour des décorations éphémères.
• Les subordonnées relatives allongent ces décorations « qui font l’ornement de leurs Maisons » (avec la majuscule).
• Certains mots sont exceptionnellement longs « ornement … éblouissantes… » appartenant au champ lexical de l’apparence.
• Normalement une « parure » complète un vêtement, mais Zilia précise qu’ils en « sont couverts ». C’est excessif.
• Le sens de la vue est mobilisé « éblouissantes ».
⇨ Graffigny dénonce une logique de surenchère que Zilia voit d’un regard extérieur naïf.
La concession de Zilia
• Zilia fait une concession avec l’adverbe « peut-être » c’est une modalisation (nuance le propos).
• Les deux défauts (excès et vanité) sont repris par une expression très synthétique « l’excès de ces superfluités ».
• Le démonstratif « ces superfluités » reprend tout ce qui a été décrit dans la longue phrase précédente.
• Zilia ne cherche donc pas absolument à faire une condamnation morale : « aussi ne trouverais-je rien » avec la négation et le conditionnel.
⇨ Derrière cette concession, on devine que Graffigny est en fait en train d’avancer un argument encore plus accablant.
Les deux faits que Françoise de Graffigny dénonce
• Zilia propose deux hypothèses pour excuser les français : « s’ils avaient des trésors » ou « qu’ils n’y employassent que ce qui resterait ».
• Le subjonctif exprime bien une action virtuelle « qu’ils n’employassent à contenter leur goût… » Premier problème : ils y emploient bien plus que cela !
• De même l’infinitif passé « après avoir établi » exprime une action non réalisée. Deuxième problème : ils n’ont pas pourvu au nécessaire avant de songer au superflu.
• La phrase semble inachevée : on sous-entend « … mais ce n’est pas le cas. »
⇨ Graffigny ne dénonce pas tant les fastes et le superflu que le manque de moyens réels pour les soutenir.
Un regard moral tout en nuances
• La modération prônée par Zilia se trouve dans la restriction « que ce qui leur resterait après ».
• Françoise de Graffigny utilise Zilia pour faire passer un message moral, une certaine sagesse « une aisance honnête ».
• Il s’agit surtout d’établir des priorités, faire passer le luxe « après » (elle utilise un connecteur temporel).
• L’adjectif « honnête » vient confirmer un discours moral.
⇨ Cela reste une morale toute en nuances, une modération permettant le faste et même le superflu, à la condition de garantir d’abord le nécessaire.
Troisième mouvement :
Proposer des principes de sagesse
Nos Lois, les plus sages qui aient été données aux hommes, permettent certaines décorations dans chaque état qui caractérisent la naissance ou les richesses, et qu'à la rigueur on pourrait nommer superflu ; aussi n'est-ce que celui qui naît du dérèglement de l'imagination, celui qu'on ne peut soutenir sans manquer à l'humanité et à la justice, qui me paraît un crime ; en un mot, c'est celui dont les Français sont idolâtres, et auquel ils sacrifient leur repos et leur bonheur.
Un modèle de sagesse étranger ou universel ?
• Zilia compare enfin les mœurs françaises à celles de son pays, avec la première personne du pluriel « Nos lois ».
• En fait, elle dépeint une utopie car il s’agit d’un modèle de sagesse « les plus sages qui aient été données » (ce qu’exprime le superlatif de supériorité).
• Une sagesse qui est pratiquement une vérité révélée, au subjonctif passé (cet événement supposé a des conséquences sur le présent).
• La voix passive « qui aient été données » ne mentionne pas le complément d’agent (par qui ?) Un principe divin qui serait le même pour Zilia et les européens : Graffigny pense probablement à la Raison des Lumières.
• L’article défini pluriel « aux hommes » désigne bien toute l’humanité.
⇨ La sagesse des incas dont parle Zilia est comme elle le dit souvent, « conforme à la nature » : c’est une sagesse universelle.
Conserver des décorations qui ont un sens
• Ces « Lois » avec une majuscule, sont le sujet du verbe « permettre » au présent de vérité générale.
• Toutes les décorations ne sont pas permises. L’adjectif « certaines » modalise (induisent une nuance).
• Le terme « superflu » lui-même est discuté « à la rigueur » : ces décorations ne sont pas si inutiles : elles ont un rôle.
• Le CC de lieu « dans chaque état » soulignent le rôle social de ces décorations, qui indiquent un rang « naissance / richesses ».
• Le lien de conséquence « aussi » vient tirer une conclusion : le superflu est autorisé mais soumis à une restriction « que celui ».
• Zilia rejette le superflu absurde, qui sort des règles de la raison (avec le préfixe dé-) : « dérèglement de l’imagination ».
⇨ Il s’agit de rester dans un usage raisonnable et raisonné du superflu, qui doit respecter des valeurs plus importantes.
Zilia met en valeur de grands principes
• Zilia assume son point de vue avec la première personne : « qui me paraît ».
• La dénonciation est très ferme, c’est un véritable « crime ».
• Le présentatif « celui qui » revient trois fois (anaphore rhétorique). À chaque fois, cela introduit des valeurs clés.
• Deux substantifs : « l’humanité et la justice » sont les vertus collectives que le superflu ne devrait pas remettre en cause.
• Mais sans aller aussi loin, les français devraient d’abord respecter « leur repos et leur bonheur ».
⇨ Le goût du superflu des français leur font oublier les valeurs les plus élémentaires d’un peuple sain. Ils sont pervertis.
Un pervertissement spirituel ?
• Zilia résume cela « en un mot », et ce mot c’est « idolâtre ».
• Adorer une idole, c’est une référence à l’épisode du veau d’or dans la Bible : Moïse prévient son peuple qu’adorer une image forgée dans un métal précieux, c’est commettre une faute à l’égard de Dieu (qui leur a donné les tables de la loi).
• Ainsi, dans ce passage, aux yeux de Zilia, les français vouent une sorte de culte à un faux dieu, ou du moins à de fausses valeurs, oubliant des principes naturels évidents.
• Cette parabole de la Bible critique les superstitions : en cela elle sert aussi une certaine rhétorique des Lumières.
⇨ Françoise de Graffigny sait que ses lecteurs percevront les références bibliques et le discours favorable aux Lumières.
Conclusion
Bilan
• Dans ce passage des Lettres d'une Péruvienne, Françoise de Graffigny prépare son lecteur à ouvrir les yeux sur un défaut dont les français se font une gloire, mais qui corrompt leur raison, leur cœur, et leur esprit.
• On découvre dans le deuxième mouvement que ce défaut, c’est la vanité de vouloir à tout prix paraître riches, conduisant les français à des dépenses inutiles — excès qui pourrait être pardonnable s’il ne les privait du nécessaire !
• Enfin, Zilia compare ce fait aux lois plus sages des Incas, derrière lesquelles le lecteur perçoit les valeurs universelles émises par les philosophes des Lumières.
Ouverture
• À travers les lettres de Zilia, Madame de Graffigny se moque de la vanité des français. Montesquieu s’en amuse aussi dans ses Lettres persanes où Rica écrit :
Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines.
Montesquieu, Les Lettres persanes, 1721.
• Les dangers de la vanité sont aussi dénoncés par Choderlos de Laclos dans son roman épistolaire, Les Liaisons dangereuses :
La vanité blessée aigrit les esprits, augmente les torts, produit l’humeur, enfante la haine, et de frivoles plaisirs sont payés enfin par de longues infortunes.
Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses, 1782.
Francesco de Mura, Allégorie des Arts, 1750.