Couverture pour La Curée

Zola, La Curée
Chapitre II



1. Le passé d'Aristide Rougon



Zola revient maintenant sur le passé de Saccard, qui était déjà présent dans La Fortune des Rougon (le premier tome du cycle) En fait, il s’appelle Aristide Rougon, et il vient de Plassans, une sous-préfecture du midi que Zola imagine en s’inspirant d’Aix-en-Provence.

La Fortune des Rougon prépare le destin de tous les membres de la famille. Adélaïde Fouque épouse d’abord un Rougon, qui donnera toute une descendance assoiffée d’intrigues et d’argent. Devenue veuve, elle prend comme amant le braconnier Macquart, ce sera la branche alcoolique.
La famille que je me propose d’étudier a pour caractéristique le débordement des appétits. [...] Historiquement, ils partent du peuple, ils s’irradient dans toute la société contemporaine, ils montent à toutes les situations.
Émile Zola, Préface de La Fortune des Rougon, 1871.


À la fin de La fortune des Rougon, quand la tante Dide voit son petit fils Silvère se faire tuer, l’image de la curée est déjà là :
Malheureuse ! Je n’ai fait que des loups… [...] Il n’y avait qu’un pauvre enfant, et ils l’ont mangé ; chacun a donné son coup de dents [...] Ils ont tué. Et ils vivent comme des messieurs.
Émile Zola, La Fortune des Rougon, 1871.


Aristide Rougon est républicain, mais plus par intérêt que par conviction : il ne devient bonapartiste qu'après le coup d’État de Napoléon III (le 2 décembre 1851).

Au contraire, son frère fait mine de défendre Plassans contre une soi-disant insurrection républicaine : Eugène Rougon, alors avocat, peut commencer une brillante carrière politique.

2. Aristide Rougon Ă  Paris



Aristide se rend alors à Paris et emménage rue Saint Jacques avec sa femme Angèle et leur fille Clotilde. Pour le moment, ils laissent leur fils Maxime à Plassans. Zola fait ainsi plusieurs fois allusion au relâchement des liens familiaux. Les métaphores animales de Saccard évoquent les images de la curée.
Aristide voulait avoir les mains libres ; une femme et une enfant lui semblaient déjà un poids écrasant pour un homme décidé à franchir tous les fossés. [...] Son instinct de bête affamée saisissait [...] les indices de la curée chaude dont la ville allait être le théâtre.

Dès son arrivée, Aristide rend visite à son frère, mais Eugène le fait attendre pendant un mois avant de lui proposer un poste de commissaire adjoint à l’Hôtel de Ville, peu rémunéré. Aristide avait espéré mieux que ça, Eugène se moque de lui :
— Qu’espérais tu donc, [...] Tu [...] m’arrives avec une détestable réputation de républicain. [...] C’est moi qui ai choisi la place, je sais ce que tu peux en tirer… [...] Seulement [...] pas de scandale [...] ou je te supprime.

C'est à cette occasion que son frère lui conseille de changer de nom, et lui propose Sicardot, le nom de sa femme.
— Sicardot... Ma foi, non [...] Saccard ! Il y a de l’argent dans ce nom-là ; on dirait que l’on compte des pièces de cent sous.
— Oui, un nom à aller au bagne ou à gagner des millions.


La dernière réplique d’Eugène est prophétique : dans Saccard, on entend à la fois « saccage » et « pillard ». Pour Zola, le nom est l’âme d’un personnage. C’est d’autant plus vrai ici que le personnage se baptise lui-même :
Nous mettons toutes sortes d’intentions littéraires dans les noms, [...] tout un caractère dans l’assemblage de certaines syllabes. Puis, quand nous en tenons un enfin qui nous contente, [...] nous nous habituons à lui, au point qu’il devient à nos yeux l’âme même du personnage.
Émile Zola, Lettre à Élie de Cyon, 29 janvier 1882.


3. Les années d’apprentissage



Alors commença, pour le ménage, la vie monotone des petits employés. [...] Aristide frémissait de rage dans cette pauvreté, [...] où il tournait comme une bête enfermée. [...] Cet apprentissage acheva la terrible éducation de Saccard. [...] Il n’eut plus la sottise de rêver ses millions tout haut.

Enfin, en 1853, Aristide est promu commissaire voyer : il a une augmentation, et surtout, il a maintenant accès à de nombreux documents :
Il était d’une obligeance extrême, il offrait à ses camarades de les aider, [...] et il étudiait alors les registres. [...] Au bout de deux ans, l’Hôtel de Ville n’eut plus de mystères pour lui. [...] Il avait surpris le vaste projet de la transformation de Paris. [...] Dès lors, son activité eut un but.

Mais pour trouver ses premiers fonds, Eugène lui fait comprendre qu’il va devoir chercher par lui-même.

4. Sidonie Rougon



Aristide retrouve sa sœur Sidonie, qui tient une boutique de dentelles rue Poissonnière. Elle a aussi un entresol où elle vend des objets hétéroclites, et même des pianos.
Les clients qui venaient pour les marchandises de l’entresol entraient et sortaient [...] par la rue Papillon ; il fallait être dans le mystère du petit escalier pour connaître le trafic en partie double de la marchande de dentelles.

Sidonie est aussi une sorte d’entremetteuse qui rend service, seulement par goût de la procédure et de l’intrigue :
Elle était un véritable répertoire vivant d’offres et de demandes. [...] Elle savait où il y avait une fille à marier tout de suite, [...] une dame blonde que son mari ne comprenait pas [...] un baron [porté sur] les petits soupers et les filles très jeunes. Et elle colportait [...] des dossiers au fond de son panier [...] d’un bout de Paris à l’autre, [...] sans jamais prendre une voiture.

Elle a aussi une grande affaire dont elle parle tout le temps :
Une dette contractée par l’Angleterre vis-à-vis de la France, du temps des Stuarts, et dont le chiffre [...] montait à près de trois milliards.

Aristide se moque de cette histoire de dette, mais il réalise rapidement les véritables capacités de sa sœur :
Il reconnut cet appétit de l’argent, ce besoin de l’intrigue qui caractérisaient sa famille ; seulement, chez elle, [...] ce Paris où elle avait dû chercher le matin son pain noir du soir [...] [avait produit] cet hermaphrodisme étrange de la femme devenue [...] homme d’affaires et entremetteuse à la fois.

Sidonie est affectée par le milieu, mais son goût héréditaire de l’intrigue lui permet aussi d’agir sur lui :
L'homme n'est pas seul, il vit dans une société, dans un milieu social, et dès lors pour nous, romanciers, ce milieu social modifie sans cesse les phénomènes. [...] Notre grande étude est là, dans le travail réciproque de la société sur l'individu et de l'individu sur la société.
Zola, Le Roman Expérimental, 1880.


Aristide va alors lui parler de son besoin de fonds, mais elle l’exaspère avec cette histoire de dette des Stuart. Au moment où il la quitte, elle murmure seulement :
« Ah ! si tu n’étais pas marié !... » Cette réticence, dont il ne voulut pas demander le sens complet et exact, rendit Saccard singulièrement rêveur.

5. La maladie d’Angèle



Un jour, Angèle tombe gravement malade, Sidonie montre alors un grand dévouement :
Mme Sidonie [...] trouva moyen de venir chaque soir faire des tisanes, qu’elle prétendait souveraines. À tous ses métiers, elle joignait celui [de] garde-malade, se plaisant [...] aux conversations navrées [...] autour des lits de moribonds.

La manière dont Zola raconte l’agonie de la pauvre Angèle laisse supposer un empoisonnement :
Un soir, le médecin leur avoua que la malade ne passerait pas la nuit. Mme Sidonie était venue de bonne heure, préoccupée, regardant [...] Angèle de ses yeux noyés où s’allumaient de courtes flammes. [...] Elle avait abandonné les potions, laissant le mal faire son œuvre.

Alors qu’Angèle agonise dans la chambre à côté, Sidonie aborde enfin le sujet qui l’intéresse :
— Je me suis occupée de toi, pour la chose que tu sais… [...] Mais, dans un pareil moment... Vois-tu, j’ai le cœur brisé.
Elle s’essuya encore les yeux. Saccard la laissa faire tranquillement, sans dire un mot. Alors elle se décida.
— C’est une jeune fille qu’on voudrait marier tout de suite [...] la chère enfant a eu un malheur.


Elle explique alors qu’une jeune fille de bonne famille est tombée enceinte d’un homme marié. Pour cacher cette “faute”, une vieille tante est prête à payer 100 000 F celui qui serait prêt à l'épouser :
— Eh bien ! que décides-tu ? [Il faut] livrer demain [...] le nom du coupable... Si tu acceptes, je vais leur envoyer une de tes cartes de visite.

Aristide finit par accepter et retourne dans la chambre, il comprend alors que sa femme a tout entendu :
Les yeux d’Angèle [...] avaient l’horrible étonnement d’une nature douce et inoffensive s’apercevant, à la dernière heure, des infamies de ce monde. [...] Elle s’éteignit doucement, [...] et à mesure qu’il pâlissait, ce regard prenait plus de douceur. Elle pardonna au dernier soupir.

Dès qu’Angèle est enterrée, Saccard envoie Clotilde chez son frère Pascal (qui est médecin à Plassans). Zola tient à rappeler ce relâchement des liens familiaux. Ensuite, Saccard déménage rue Payenne, à côté de l’Hôtel de Ville.

6. La famille Béraud du Châtel



Zola revient alors sur la famille de la jeune fille à marier dont Sidonie parlait à son frère. Le père de Renée incarne une antithèse de Napoléon III.
M. Béraud du Châtel, [...] était [...] un de ces républicains de Sparte, rêvant un gouvernement d’entière justice et de sage liberté. Vieilli dans la magistrature, où il avait pris [...] une sévérité de profession, il donna sa démission de président de chambre, en 1851, lors du coup d’État.

Quand sa femme disparaît, M. Béraud du Châtel a deux filles. Dans le roman, on ne sait pas ce qu’est devenue la mère des petites, mais dans la pièce de théâtre, que Zola réalise 15 ans plus tard, on apprend qu’elle est partie avec un amant. Renée aura la même tentation que sa mère, plus tard dans le roman.

La petite Christine est recueillie par la tante, Mme Aubertot, tandis que l’aînée, Renée, est oubliée dans un couvent. Comme Diderot ou Flaubert avant lui, Zola critique très vivement l’éducation que les filles reçoivent dans les couvents :
Il y a là une plaie sociale. [...] Toute association cloîtrée de personnes d’un même sexe est mauvaise pour la morale. […] La jeune fille [...] mise ignorante aux bras de son mari, [...] si elle a vécu au couvent, à coup sûr elle n’est plus innocente.
Émile Zola, La Cloche, 2 février 1870.


Renée sort du couvent à 19 ans. Elle est violée, par un homme riche et marié, certainement un ami de la famille d'Adeline Espanet. Renée tombe enceinte : sa tante Élisabeth organise alors le mariage avec Saccard, pour cacher la vérité à son frère.

Ce viol de Renée, qui survient l’année du coup d’État, c’est symboliquement aussi le viol de la France par des aventuriers.

7. Négociations avec la tante Élisabeth



Aristide rencontre une première fois la tante Élisabeth de façon non officielle. Il parvient même à lui faire doubler la somme :
M. Béraud du Châtel mépriserait [...] un gendre pauvre, il l’accuserait d’avoir séduit sa fille pour sa fortune, peut-être même aurait-il l’idée de faire [...] une enquête.

Mme Aubertot, effrayée, [...] consentit à doubler la somme.

La deuxième visite est officielle : la tante Élisabeth laisse à Renée ses terrains de Charonne, tandis que son père lui cède un immeuble parisien d’une valeur de 200 000 F.
— Vous ne m’avez pas dit dans quelle rue se trouve l’immeuble de deux cent mille francs ?
— Rue de la Pépinière, [...] presque au coin de la rue d’Astorg.

Cette simple phrase produisit sur lui un effet décisif. Il ne fut plus maître de son ravissement. [...] Il finit par faire la conquête de la tante Élisabeth, qui voyait avec une joie involontaire, sous les doigts de cet habile homme, le drame dont elle souffrait depuis un mois, se terminer en une comédie presque gaie.


Aussitôt qu’elle est partie, Aristide se rend à l’Hôtel de Ville et fouille des documents. On comprendra plus tard pourquoi cet immeuble rue Pépinière entre parfaitement dans ses plans.

8. Le mariage d'Aristide et Renée



Le mariage lui-même est passé sous silence, éclipsé par la présence du ministre :
Le lendemain du mariage, dont la présence d’Eugène Rougon, mis en vue par un récent discours, fit un événement dans l’île Saint-Louis ; les deux nouveaux époux furent enfin admis en présence de M. Béraud du Châtel.
— Monsieur, [...] nous avons beaucoup souffert. Je compte que vous nous ferez oublier vos torts.


Tout le monde est surpris de découvrir que le "séducteur" de Renée est un homme déjà âgé, petit et laid. Mais Saccard parvient à faire illusion, et se fait apprécier de tout le monde :
Quand ils partirent, pour aller occuper un superbe appartement, dans une maison neuve de la rue de Rivoli, le regard de M. Béraud du Châtel n’avait déjà plus d’étonnement, et [...] Christine [considérait] son beau-frère comme un camarade.

Comme Sidonie l’avait prévu, Renée fait bientôt une fausse couche, voici la réaction de Saccard :
Il fut ravi de l’aventure [...] : il avait [...] une dot superbe, une femme belle à le faire décorer en six mois. [...] On lui avait acheté deux cent mille francs son nom pour un fœtus que la mère ne voulut pas même voir.

9. Le plan de Saccard



Pour présenter le plan de Saccard, Zola revient en arrière, à l’époque où Angèle était encore vivante.
Ce jour-là, ils dînèrent au sommet des buttes, dans un restaurant dont les fenêtres s’ouvraient sur Paris. [...] Le soleil se couchait dans un nuage rouge, [...] une poussière d’or, [...] tombait sur la rive droite de la ville. [...]
— Il pleut des pièces de vingt francs dans Paris ! [...] On dirait que le quartier bout dans l’alambic de quelque chimiste.


Saccard se voit alchimiste : celui qui transforme le plomb en or. On peut aussi voir Héphaïstos, le dieu difforme forgeron, marié à la belle Aphrodite. L’image est prophétique, Saccard a beaucoup bu, il file la métaphore :
— Oui, [...] plus d’un quartier va fondre, et il restera de l’or aux doigts des gens qui [...] remueront la cuve. Ce grand innocent de Paris ! [...] Il ne se doute guère de l’armée de pioches qui l’attaquera un de ces beaux matins.

Le personnage d’Angèle, au caractère effacé, met en valeur, par contraste, la démesure de Saccard. Elle crée une véritable distance avec le registre épique du discours de son mari :
Angèle [...] riait, mais avec un vague effroi, de voir ce petit homme se dresser au-dessus du géant couché à ses pieds. [...] Et de sa main [...] tranchante comme un coutelas, il fit signe de séparer la ville en quatre parts.
— Regarde là-bas, du côté des Halles, [...] ils dégagent le Louvre et l’Hôtel de Ville. [...] [Puis] Le second réseau trouera la ville de toutes parts. [...] Paris haché à coups de sabre, les veines ouvertes, nourrissant cent mille terrassiers, [...] traversé par d’admirables voies stratégiques qui mettront les forts au cœur des vieux quartiers.


Ce que décrit Saccard, c'est en effet le plan du baron Haussmann : deux réseaux de boulevards se complètent, les marchés couverts des Halles sont réorganisés, la cathédrale de Notre-Dame est dotée d'un parvis, etc.

Angèle avait un léger frisson, devant [...] ces doigts de fer qui hachaient sans pitié l’amas [...] des toits sombres. [...] Quand elle mourut, il ne fut pas fâché qu’elle emportât dans la terre ses bavardages des buttes Montmartre.

10. L’immeuble rue Pépinière



Bien sûr, le nom de la rue Pépinière est symbolique : c’est là que Saccard cultive sa première affaire.
S’il avait tressailli, lorsque la tante Élisabeth lui avait indiqué l’endroit où se trouvait la maison, c’est qu’elle était située au beau milieu du tracé d’une voie dont on ne causait encore que dans le cabinet du préfet de la Seine.

Saccard n’achète pas l’immeuble directement à sa femme, il passe par l’intermédiaire d’un ancien collègue.
Larsonneau, qu’il avait rencontré furetant comme lui dans les bureaux de l’Hôtel de Ville [...] travailla si bien, qu’il eut la maison pour cent cinquante mille francs. [...] Le mari n’intervint que pour autoriser sa femme à vendre.

Quand le marché fut conclu, elle le pria de placer en son nom cent mille francs qu’elle lui remit en toute confiance, [...] sans doute [pour] lui faire fermer les yeux sur les cinquante mille francs qu’elle gardait en poche. Il sourit d’un air fin ; il entrait dans ses calculs qu’elle jetât l’argent par les fenêtres.

Zola explique alors comment Saccard parvient à gonfler artificiellement la valeur de l’immeuble :
Quand il posséda la maison, il eut l’habileté, en un mois, de la faire revendre deux fois à des prête-noms, en grossissant chaque fois le prix d’achat. [...] Pendant ce temps, Larsonneau [...] refusait impitoyablement de renouveler les baux, à moins qu’on ne consentît à des augmentations formidables de loyer.

Il vont mĂŞme encore plus loin en utilisant le commerce de pianos de Sidonie.
Ils falsifièrent des écritures, pour établir la vente des pianos sur un chiffre énorme. [...] Ainsi travaillée, la maison tripla de valeur. Elle pouvait être estimée à cinq cent mille francs devant la commission des indemnités.

11. Les complices de Saccard



Il s'agit donc maintenant de gagner la commission des indemnités. Saccard parvient à y faire entrer un de ses collègues de l'Hôtel de Ville, un certain M. Michelin, qui obtient le poste grâce à sa femme.
La jolie Mme Michelin [...] venait parfois excuser son mari auprès de ses chefs, lorsqu’il s’absentait pour cause d’indisposition. [...] Michelin gagnait de l’avancement à chacune de ses maladies.

Ensuite, l’affaire est portée devant un jury composé de membres du conseil municipal. Saccard va donc s’assurer de la bienveillance de deux personnages véreux : le baron Gouraud et M. Toutin-Laroche.

Fait baron par Napoléon Ier, en récompense de biscuits avariés fournis à la Grande Armée, [...] avec son [...] allure d’éléphant, [...] il se vendait avec majesté et commettait les plus grosses infamies au nom du devoir [...]. Cet homme étonnait [...] par ses vices. [...] À deux reprises, on avait dû étouffer de sales aventures, pour qu’il n’allât pas [en] cour d’assises.

M. Toutin-Laroche (un ancien vendeur de bougies qui rêve de devenir sénateur) utilise son titre de conseiller municipal pour monter des sociétés fictives :
[Quand] il vendit [...] son nom à [...] [la] Société générale des ports du Maroc [...] les actionnaires accoururent, bien qu'ils [...] ne pussent expliquer eux-mêmes à quelle œuvre on allait l’employer.

Quand Saccard le rencontre, il monte une nouvelle société :
Le Crédit viticole, une caisse de prêt [...] dont il parlait avec des réticences, des attitudes graves qui allumaient autour de lui les convoitises des imbéciles.

Saccard gagne la complicité de Toutin-Laroche en lui soufflant des mécanismes financiers ingénieux, et il gagne la protection du baron en l’aidant à se sortir d’une histoire compromettante :
Mme Sidonie [...] promit au baron de traiter avec certaines gens, assez maladroits pour ne pas être honorés de l’amitié qu’un sénateur avait daigné témoigner à leur enfant, une petite fille d’une dizaine d’années.

12. La commission des indemnités



Lorsque le dossier arrive devant le jury, M. Toutin-Laroche prend vivement la défense du propriétaire de la rue Pépinière :
— Messieurs, [...] l’Empereur veut faire de grandes choses, ne lésinons pas sur des misères…

Il n'est pas au courant que le baron Gouraud est aussi complice de Saccard, mais comme il le voit hocher la tĂŞte :
— Si vous le permettez [...] M. le baron fera l’enquête avec moi.
— Oui, oui, [...] rien de louche ne doit entacher nos décisions.


En fait, le dossier va rester dans la poche de Toutin-Laroche, et lors de la séance suivante, il annonce tranquillement la somme de 600 000 F.
Il n’y eut pas la moindre opposition. Ce fut ainsi qu’Aristide Saccard remporta sa première victoire. Il quadrupla sa mise de fonds et gagna deux complices.

Seule ombre au tableau, Larsonneau a conservé les livres de compte falsifiés, Saccard est obligé de lui installer des bureaux luxueusement meublés, rue de Rivoli.

Dans un article pamphlétaire, Zola dénonce ces personnages produits par le Second Empire, et dont les intrigues n’ont rien à envier à celles des plus sordides romans :
Le Second Empire a réalisé les monstres de Balzac. [...] De nos jours, on rencontre Nucingen au détour de chaque rue.
Émile Zola, Le Rappel, 13 mai 1870.


13. L’Hôtel Béraud



Parfois, Renée se rend à l’Hôtel Béraud, sur l’Île Saint-Louis, où elle a vécu son enfance : ce lieu simple entre en contraste avec sa nouvelle vie. Symboliquement, la sobriété de la demeure correspond aux valeurs républicaines de son propriétaire.
L’hôtel Béraud, bâti vers le commencement du dix-septième siècle, était une [...] construction [...] noire et grave. [...] À l’intérieur [...] se trouvait une cour carrée, [...] une réduction de la place Royale, [...] qui achevait de [lui] donner l’apparence d’un cloître.

Le vieux M. Béraud du Châtel habite la partie la plus sombre de l’hôtel, tandis que l’ancienne chambre des deux filles se trouve sous les toits :
Dans cette maison morte, [...] il y avait [...] un trou de soleil et de gaieté. [...] C’était la « chambre des enfants ». [...] [De la fenêtre] on apercevait [...] tout ce bout de Paris qui s’étend de la Cité au pont de Bercy. [...] Mais l’âme [du] paysage, c’était la Seine [...] vivante ; [...] elle sortait [...] du bord [...] tremblant de l’horizon [...] pour couler droit aux enfants.

Zola pense probablement aux mansardes qu’il a lui-même connues à Paris :
Aux jours misérables de ma jeunesse, j'ai habité des greniers de faubourg, d'où [...] Paris [...] dans le cadre de ma fenêtre, me semblait comme le confident tragique de mes joies et de mes tristesses. [...] Eh bien ! dès ma vingtième année, j'avais rêvé d'écrire un roman dont Paris, avec l'océan de ses toitures serait un personnage, quelque chose comme le chœur antique.
Émile Zola, Lettre-préface pour Une Page d’Amour, 1884.






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⇨ * Zola, La Curée 🎧 Chapitre 2 (résumé-analyse en podcast) *

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