Couverture pour Les Méditations Poétiques

Lamartine, Les Méditations Philosophiques
« L’automne » (explication linéaire)



Notre étude porte sur le poème entier




Salut ! bois couronnés d’un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !

Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire,
J’aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois !

Oui, dans ces jours d’automne où la nature expire,
A ses regards voilés, je trouve plus d’attraits,
C’est l’adieu d’un ami, c’est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !

Ainsi, prêt à quitter l’horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l’espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d’un regard d’envie
Je contemple ses biens dont je n’ai pas joui !

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
L’air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d’un mourant le soleil est si beau !

Je voudrais maintenant vider jusqu’à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel !
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?

Peut-être l’avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l’espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j’ignore
Aurait compris mon âme, et m’aurait répondu ? …

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;
Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu’elle expire,
S’exhale comme un son triste et mélodieux.



Introduction



Les Méditations Poétiques connaissent un succès fulgurant, car Lamartine y invente une nouvelle forme de lyrisme, où le poète assume toute la subjectivité de ses émotions qu’il projette sur les paysages. Il contribue ainsi à la sensibilité romantique qui émerge au début du XIXe siècle en France.

Dans la préface du recueil, Lamartine écrit :
« Je suis le premier qui ai fait descendre la poésie du Parnasse et qui ai donné à ce qu’on nommait la Muse, au lieu d’une lyre à sept cordes de convention, les fibres même du cœur de l’homme »

Dans notre poème, l’Automne représente donc les sentiments du poète qui songe à la fin de sa vie, un moment suspendu à l’approche de la mort, les derniers beaux jours avant l’hiver qui arrive.

Problématique


Comment Lamartine utilise-t-il cette image de l’Automne pour représenter une émotion double, à la fois faite du regret de la vie passée, et d’un attrait pour la mort à venir ?

Axes de lecture utiles pour un commentaire composé


> Le lyrisme lamartinien.
> Une réflexion sur la brièveté de la vie.
> Une émotion à la fois douce et amère.
> La représentation d’un état entre la vie et la mort.
> Un instant suspendu dans le temps.


Premier mouvement :
Une saison qui évoque le deuil



Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !


Dès le début du poème, Lamartine s'adresse directement à la Nature, avec des apostrophes « salut ! » qui reviennent en tête de vers. C'est ce qu'on appelle une anaphore rhétorique : un même mot revient en tête de phrase. Il nomme les éléments du paysage comme si c'était des noms propres : bois couronnés, Feuillages jaunissants, derniers beaux jours… La couronne représentée par les feuillages, le deuil qui figure un habit, tout cela personnifie la Nature. Le poète construit ainsi une relation d'intimité avec le paysage d'automne.

Le titre du poème, l’automne, est rappelé par une périphrase : « le deuil de la Nature ». Symboliquement chez Lamartine, la fin de l’année représente la fin de la vie, car l’approche de l’hiver fait penser à l’approche de la mort. Ainsi, « les derniers beaux jours » peuvent être compris dans le double sens, les derniers de l’année, les derniers de la vie...

Regardez comment le deuxième vers est construit : l’adjectif « épars » qualifie les feuillages. Ce retard illustre à la fois le paysage et l’état d’attente de la mort. Souvent chez Lamartine, la première strophe annonce la suite du poème. On peut donc s’attendre à retrouver le champ lexical de la mort et une réflexion sur la brièveté de la vie.

Ce quatrain annonce aussi déjà le registre lyrique particulier de Lamartine : On retrouve bien les marques habituelles du lyrisme : une douleur exprimée à la première personne avec une certaine musicalité : on retrouve des allitérations en L et des assonances en A. Regardez comment le poète glisse de l’article défini au pronom possessif : cette manière de s’identifier à la Nature caractérise le lyrisme lamartinien.

Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire,
J'aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois !

Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
À ses regards voilés, je trouve plus d'attraits,
C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !


On retrouve dans ce passage le lyrisme lamartinien : regardez comment le poète s’identifie à la Nature pour mieux nous faire comprendre ses émotions. Les deux adjectifs « rêveur … solitaire » qui caractérisent le pas et le sentier se rapportent en fait au poète. C’est ce qu’on appelle une hypallage : les adjectifs ne sont pas directement associés à l’élément qu’ils caractérisent.

Lamartine relie explicitement l’automne avec le thème de la mort. L’adjectif « dernier » revient deux fois. Les adjectifs qui qualifient l’automne dans le premier quatrain « pâlissant ... faible … » annoncent la métaphore : en automne la nature expire, ces derniers beaux jours sont comparables à un sourire d’adieu. La Nature est comparée à un ami qui expire.

La particularité de ce passage, c’est que la mort n’est pas présentée de façon angoissante. Au contraire, le poète justifie son attrait pour cet état de deuil : le soleil, la lumière sont mis en parallèle avec l’amitié et le sourire. Lamartine développe alors une esthétique de l’atténuation : le soleil qui pâlit et la faible lumière se retrouvent dans les regards qui sont voilés.

Cela suggère deux images : le voile du deuil cache les yeux, ou encore, si les yeux sont le miroir de l’âme, le voile symbolise l’éloignement de l’âme qui est déjà en route pour l’au-delà.

Deuxième mouvement :
Le poète et la mort



Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d'un regard d'envie
Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui !

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
L'air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d'un mourant le soleil est si beau !


Dans ces vers, le poète se rapproche progressivement de la mort : d’abord « prêt à quitter la vie » ensuite carrément « aux bords du tombeau » et enfin « mourant ». Malgré cela, il se « retourne » et il reste attaché à la vie qui rime avec « envie ». Ces deux quatrains illustrent ce double mouvement en ralentissant le temps à l’extrême.

Les jours sont longs. Le verbe « pleurant » entre écho avec « mourant » : ces participes présent montrent l’action en train de se dérouler dans la durée. Le temps est suspendu dans un état entre la vie et la mort.

À partir du verbe pleurer, la tristesse envahit toute la subjectivité du poète qui regarde et contemple à travers ses larmes. La première personne du singulier est retardée pendant deux vers : cela crée un effet de ralentissement et de suspense.

Enfin, les rimes « évanoui … joui » sont en plus des diérèses : c’est à dire que les deux sons voyelles constituent deux pieds séparés. En fin de vers, cela a pour effet d’allonger la phrase. Le temps se fige sur ces instants de regret .

Dans ces deux quatrains, l’approche de la mort est paradoxalement associée à des sensations positives, visuelles et sonores : la lumière, les parfums, avec l’adverbe intensif « si » qui est répété plusieurs fois et accompagné d’exclamations. L’approche de la mort renforce l’attrait de la vie, la brièveté du temps est justement ce qui donne une valeur à l’instant présent.

Lamartine offre ainsi une réflexion sur le temps qui se rapproche des principes d’Épicure tel qu’Horace les retranscrit dans ses Odes : Carpe diem, cueille le jour présent.

Deuxième mouvement :
L’image même du regret de la vie



Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel !
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?

Peut-être l'avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j'ignore
Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu ?…


Lamartine développe ici une métaphore filée où la vie est comparée à une boisson versée dans un calice. Les deux sont à la fois doux et amers. Les moments heureux sont du nectar et du miel, les moments malheureux sont symbolisés par le fiel. La rime « miel / fiel » montre à quel point les deux sont mélangés. Cette métaphore illustre bien le sentiment ambigu de Lamartine.

Le jeu avec les temps est intéressant dans ce passage : tout est fait pour susciter une émotion de manque. Le verbe perdre est au présent et à la voix passive : le sujet est absent, non exprimé. Le verbe « ignorer » au présent est associé à des conditionnels au passé, cruellement irréalisés : « aurait compris … aurait répondu ». C’est une parfaite illustration du regret.

Dans le même sens, l’imparfait est accompagné par le modalisateur « peut-être » qui est répété deux fois coup sur coup. Le poète regrette le bonheur qu’il n’a pas vécu, mais en même temps, il n’a pas d’espoir que ce bonheur arrive. Certes, les regrets sont là, mais la décision de mourir n’en est pas moins réelle.

La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
À la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;
Moi, je meurs ; et mon âme, au moment qu'elle expire,
S'exhale comme un son triste et mélodieux.


L’image finale du poème est construite autour d’une synesthésie : les perceptions sont mélangées. Le parfum de la fleur est transformé en sensation sonore : les adieux qu’elle fait au soleil sont accompagnés de sonorités en F « la fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ». De même l’âme du poète s’exhale comme un parfum qui devient un « son triste et mélodieux » il s’accompagne d’une allitération en M : « Moi, je meurs, et mon âme, au moment qu’elle expire... » La nature est utilisée pour représenter la subjectivité du poète.

Dans cette métaphore, l’âme poète est comparable à la fleur qui tombe : son chant est comme un parfum qui monte au ciel. Le mouvement descendant s’accompagne d’un mouvement qui monte. C’est aussi la dualité chrétienne de l’âme qui quitte le corps.

Regardez comment la diérèse finale sur le mot « mélodieux » semble prolonger encore le souffle du poète. Le souhait de quitter la terre est teinté de regrets.

C’est une nuance nouvelle par rapport au poème l’isolement par exemple, où l’image de la feuille morte est accompagnée d’un désir de mourir beaucoup plus affirmé :
Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,
Le vent du soir s’élève et l’arrache aux vallons ;
Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :
Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !


Conclusion



Dans notre poème, Lamartine développe un lyrisme personnel qui lui permet d’illustrer sa réflexion sur la brièveté de la vie avec une représentation de l’automne. Le déclin de la Nature symbolise la fin de la vie.

Il décrit ainsi à travers des métaphores filées une émotion mélancolique à la fois douce et amère. D’un côté, la mort offre un repos pour son âme fatiguée, mais en même temps, il regrette ce que la vie pouvait lui offrir. Les émotions du jeune Lamartine ont évolué depuis le poème l’isolement.

Dans cet état de repos et d’oubli entre la vie et la mort, le poète utilise la poésie pour suspendre le temps, exactement comme le souhaitait Elvire dans « Le Lac » :
Ô temps suspend ton vol, et vous heures propices,
Suspendez votre cours.


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