Couverture pour Pot-Bouille

Émile Zola, Pot-Bouille, 1882.
Chapitre XIII (explication linéaire)



Alors que Berthe profite d’une absence de son mari pour retrouver son amant Octave dans une chambre de bonne, le couple assiste impuissant aux conversations des domestiques qui commentent leur relation adultère tout en jetant les ordures dans la cour.

Tous les fonds de casserole, toutes les vidures de terrine1 y passèrent, pendant que Lisa s’acharnait sur Berthe et sur Octave, arrachant les mensonges dont ils couvraient la nudité malpropre de l’adultère. Ils restaient, la main dans la main, face à face, sans pouvoir détourner les yeux ; et leurs mains se glaçaient, et leurs yeux s’avouaient l’ordure de leur liaison, l’infirmité des maîtres étalée dans la haine de la domesticité. C’était ça leurs amours, cette fornication2 sous une pluie battante de viande gâtée et de légumes aigres !
— Et vous savez, dit Hippolyte, que le jeune monsieur se fiche absolument de la paroissienne3. Il l’a prise pour se pousser dans le monde… Oh ! un avare au fond malgré sa pose4, un gaillard sans scrupule5, qui, avec son air d’aimer les femmes, leur flanque très bien des gifles !
Berthe, les yeux sur Octave, le regardait blêmir, la face bouleversée, si changé, qu’il lui faisait peur.
— Ma foi ! ils se valent, reprit Lisa. Je ne donnerais pas non plus grand’chose de sa peau, à elle. Mal élevée, le cœur dur comme une pierre, se fichant de tout ce qui n’est pas son plaisir, couchant pour l’argent, oui pour l’argent ! car je m’y connais, je parie qu’elle n’a pas même de plaisir avec un homme.
Des larmes jaillirent des yeux de Berthe. Octave regardait son visage se décomposer. Ils se trouvaient comme écorchés au sang l’un devant l’autre, mis à nu, sans protestation possible.


1 Terrine : préparation culinaire présentée dans un plat du même nom, en terre cuite.
2 Fornication : Terme religieux pour désigner une relation sexuelle comme un péché.
3 Paroissienne : femme qui fréquente une église, femme « respectable » (ici ironique).
4 Pose : manière d’être affectée pour se donner une image flatteuse.
5 Scrupule : sentiment de gêne morale qui retient d’effectuer une mauvaise action.


Introduction



Accroche


• Pour écrire Pot-Bouille, Zola reprend des articles écrits auparavant pour Le Figaro.
• L’un de ces articles s’intitule « l’adultère dans la bourgeoisie », il le commence ainsi :
Si dans le peuple le milieu et l'éducation jettent les filles à la prostitution, dans la bourgeoisie, [ils] les jettent à l'adultère.
Émile Zola, « l’Adultère dans la bourgeoisie », Le Figaro, mars 1881.

Situation


• Dans Pot-Bouille, l’adultère est très présent. Il est notamment représenté par le couple formé un temps par Octave et Berthe.
• Alors que les relations amoureuses sont idéalisées dans la littérature romantique, Zola les observe en naturaliste, et ici, l’adultère est le symptôme d’une société malade.
• Dans notre passage, l’auteur donne la parole aux domestiques pour révéler les véritables motivations des personnages.
• La mise en scène de ce passage a marqué son époque : les domestiques révèlent les intérêts cachés de leurs maîtres, dans un langage populaire, tout en jetant les restes de cuisine.
• Le titre même du roman rappelle la cuisine : Pot-Bouille.

Problématique


Comment cette mise en scène spectaculaire d’un dialogue entre domestiques permet-elle à l’auteur naturaliste de révéler les motifs cachés derrière la déchéance morale des personnages ?

Mouvements de l’explication linéaire


Notre passage s’organise comme un triptyque :
1) La mise en scène est impressionnante : Berthe et Octave, mis face à face, ne peuvent échapper aux médisances de leurs domestiques, sous une pluie battante d’ordures.
2) Le valet de chambre Hippolyte dénonce les ambitions d’Octave qui pâlit sous le regard de Berthe.
3) En miroir, la réponse de Lisa révèle la vénalité de Berthe, tandis que chacun découvre la vérité sur le visage de l’autre.

Axes de lectures d’un commentaire composé


I. Un moment de révélation bouleversant
1) Une mise en scène théâtrale
2) Une image impressionnante
3) Des émotions puissantes
II. Le dévoilement des intentions cachées
1) Des révélations sans concession
2) La mise au jour des intérêts
3) Les jeux de regards font tomber les masques
III. Un projet naturaliste
1) Une analyse fine de l’adultère
2) Les écarts entre classes sociales
3) La lucidité du narrateur omniscient

Premier mouvement :
La mise en scène des révélations



Tous les fonds de casserole, toutes les vidures de terrine y passèrent, pendant que Lisa s’acharnait sur Berthe et sur Octave, arrachant les mensonges dont ils couvraient la nudité malpropre de l’adultère. Ils restaient, la main dans la main, face à face, sans pouvoir détourner les yeux ; et leurs mains se glaçaient, et leurs yeux s’avouaient l’ordure de leur liaison, l’infirmité des maîtres étalée dans la haine de la domesticité. C’était ça leurs amours, cette fornication sous une pluie battante de viande gâtée et de légumes aigres !

L’image concrète, naturaliste, est impressionnante


• Ce sont tous les restes dont personne ne veut : « tous les fonds… toutes les vidures » (parallélisme de construction).
• On comprend tout de suite que rien ne nous sera épargné : « Tous les… Toutes les » (article indéfini totalisant).
• La quantité est impressionnante : « les fonds de casserole… les vidures » (multiplication des pluriels).
• Il s’agit de montrer la réalité dans toute sa saleté « casseroles, terrines » (vocabulaire spécifique de la cuisine).
• C’est aussi un moment clé inattendu et soudain : « ils y passèrent » (le passé simple met l’action au premier plan).
⇨ C’est un moment de révélation, où toute la vérité sera révélée, nous donnant accès aux coulisses de cette cuisine bourgeoise.

Une médisance sans concession


• La bonne des Campardon est déjà connue pour son franc parler : « Lisa s’acharnait » (discours narrativisé : on ne rapporte pas les paroles exactes).
• L’action de Lisa n’est pas seulement verbale, elle est violente : « s’acharner » (verbe d’action).
• C’est même presque un meurtre : leur amour est assassiné par ces paroles : « s’acharner sur » (préposition).
« Berthe et Octave » (couple des personnages principaux).
• L’action est présentée dans sa durée : « arrachant » (participe présent).
⇨ Lisa fait durer le plaisir de dénoncer ses maîtres, en donnant beaucoup de force à ses mots.

Une métaphore filée de l’ordure


• Termes très évocateurs : « vidures » (péjoratif et familier, ce mot rime avec « ordures » plus loin).
• Cette image des ordures représente en fait une saleté morale qui est simultanée : « pendant que » (Lien temporel).
• Le roman naturaliste fait tomber les apparences pour dévoiler l’hypocrisie : « les mensonges » (COD pluriel).
• C’est une opération longue et douloureuse : « arrachant » (verbe au participe présent).
• Image du manteau ou du voile : « couvraient » (verbe d’action).
⇨ Les domestiques sont au courant des détails de l’adultère, ils ont accès à ce qui est caché.

L’adultère comme sujet d’étude


• La vérité est comparée à un corps « la nudité » (métaphore).
• Cela donne à la saleté un sens physique et moral « malpropre » (métaphore filée, l’image se prolonge).
• On tend vers une personnification « de l‘adultère » (en peinture, on aurait une allégorie de la Vérité).
• Les deux membres du couple sont visés par cette hypocrisie : « Ils couvraient » (sujet pluriel).
• L’écrivain nous la montre « étalée » (participe passé pour le résultat d’une action).
⇨ Les deux personnages du couple sont visés, ils assistent impuissants à leur propre mise à nu.

Des personnages mis face à face


• L’image est symétrique « mais dans la main, face à face » (répétition des mêmes termes deux à deux).
• Ces personnages sont dépossédés de leurs actions : « Ils restaient » (proposition courte).
• L’intrigue est bloquée, ils restent là car ils veulent trop savoir : « sans pouvoir détourner les yeux » (l’adverbe nie l’action).
• C’est un aveuglement qui prend fin car chacun voit dans « les yeux » de l’autre (la vue accompagne ce qu’ils entendent).
• Ils le perçoivent aussi par le toucher « leurs mains se glaçaient » (symbole d’un refroidissement de leur relation).
⇨ Ils sont spectateurs, comme au théâtre. La révélation pour Berthe et Octave est mise en scène avec soin.

Une révélation mise en scène et progressive


• La révélation se fait en deux temps, après le point virgule qui structure la phrase « et leurs mains… et leurs yeux » (répétition des conjonctions de coordination : polysyndète.
• Le même mouvement revient deux fois : « leurs mains » et « leurs yeux » (parallélisme de construction).
• Ils ne disent rien mais « leurs yeux s’avouaient » (personnifiés avec le verbe pronominal de sens réciproque).
• Zola détourne la tradition précieuse, pour laquelle les « yeux » sont le miroir de l’âme (surtout dans la relation amoureuse).
• Le thème romantique de l’amour détourné et avili : « l’ordure de leur liaison » (métaphore + allitération en L).
⇨ Au thème romantique de la passion amoureuse, le naturalisme oppose une mise à nu de l’adultère.

L’adultère comme symptôme d’une société malade


• Le dysfonctionnement de la société est une « infirmité » (image d’un corps malade).
• Les classes sociales sont opposées « des maîtres… de la domesticité » (antithèse : emploi de termes qui s’opposent).
• Cela renverse les rôles habituels : ici « les maîtres » sont dominés par « la domesticité » (l’article défini et le nom commun singulier forment un groupe cohérent).
• Chaque groupe social méprise l’autre « la haine de la domesticité » (le CDN fonctionne dans les deux sens).
⇨ Le projet naturaliste est sans concessions, il veut dévoiler la vérité, toute la vérité.

Une image faite pour marquer le lecteur


• Le narrateur intervient, montre du doigt : « C’étaient ça, cette… » (présentatif qui met en valeur le pronom puis le démonstratif).
• Les deux personnages sont rapprochés : « leur liaison… leurs amours » (pronom possessif de 3e personne du pluriel).
• L’acte physique est lié au péché de la chair : « fornication » (terme religieux).
• La situation est exagérée, ils ne sont pas réellement « sous une pluie battante » (hyperbole).
• Symboliquement, chaque personnage est visé pour ses défaillances morales, Berthe est « gâtée » par sa mauvaise éducation tandis qu’Octave est « aigri » par son ambition.
⇨ Chaque personnage va alors avoir son propre réquisitoire de la part des domestiques. Pour l’écrivain naturaliste consciencieux, il s’agit de montrer que les mécanismes sociaux sont différents pour les hommes et pour les femmes.


Deuxième mouvement :
Octave : les hypocrisies de l’ambition



— Et vous savez, dit Hippolyte, que le jeune monsieur se fiche absolument de la paroissienne. Il l’a prise pour se pousser dans le monde… Oh ! un avare au fond malgré sa pose, un gaillard sans scrupule, qui, avec son air d’aimer les femmes, leur flanque très bien des gifles !
Berthe, les yeux sur Octave, le regardait blêmir, la face bouleversée, si changé, qu’il lui faisait peur.


L’intervention d’Hippolyte est remarquable


• Nous allons avoir un point de vue masculin sur Octave « dit Hippolyte » (l’incise nous rappelle le personnage qui parle).
• L’intervention d’Hippolyte est rapportée à l’oral, comme une réplique théâtrale « — Et vous savez » (discours direct).
• Il apporte une nouvelle information, en commençant par « Et » (lien logique d’addition sans rien avant).
• Il vouvoie son interlocutrice : « vous savez » (deuxième personne du pluriel)
• Ainsi, il implique et intrigue le lecteur avec le verbe « savoir » (l’antiphrase signifie exactement l’inverse : vous ne savez pas).
⇨ Ce que va dire Hippolyte est une révélation sur la relation entre les deux personnages qui écoutent, spectateurs cachés.

Hippolyte dénonce des personnages hypocrites


• Octave est un personnage caractérisé par sa jeunesse « le jeune monsieur » implicitement, cela évoque surtout son ambition (périphrase pour parler d’Octave).
• Berthe est à ses yeux surtout peu respectueuse du sacrement du mariage qui a eu lieu à l’Église : « la paroissienne » (périphrase ironique pour parler de Berthe).
• Il vise avant tout l’absence de sentiment réel, de la part d’Octave. Il le dit crûment : « se fiche » (verbe familier)
• Il insiste sur cette triste absence d’affection : « absolument » (adverbe intensif particulièrement long).
⇨ Parlant du point de vue d’Octave, il dénonce une relation déséquilibrée, sans amour. En fait Octave est intéressé.

Dénoncer une relation intéressée


• Octave utilise Berthe comme un objet « Il l’a prise » (Octave en position de sujet, Berthe en position d’objet).
• C’est d’ailleurs une action qui connote le viol : « prendre » (verbe sans complément d’objet, au sens équivoque).
• Hippolyte donne sans détour l’objectif d’Octave « pour se pousser dans le monde » (CC de but).
• En effet, Berthe est le mari de son patron « dans le monde » (c’est-à-dire déjà dans le magasin de soierie d’Auguste).
• L’image est un lieu commun de la littérature « se pousser dans le monde » (le verbe pronominal est une métaphore figée).
⇨ Hippolyte va donc maintenant montrer l’ambition qui se cache sous les apparences.

Voir sous des apparences


• Il nous laisse le temps d’y penser, après une petite pause et une exclamation « … Oh ! » (ponctuation expressive).
• Puis la révélation est abrupte « un avare au fond » (phrase nominale, pas de présentatif, pas de verbe d’état).
• Le théâtre de caractère est bien présent à travers ce terme « avare » mais Octave a des traits d’Harpagon et de Tartuffe.
• Il passe maintenant « au fond » c’est-à-dire au-delà de la forme.
• Contraste entre la forme et le fond, l’apparence et l’intention : « malgré sa pose » (lien logique d’opposition).
• Octave est comme au théâtre, un acteur qui prend « sa pose » (le possessif révèle un rôle qu’il se donne).
⇨ Hippolyte va donc avoir recours à des images variées pour dénoncer l’hypocrisie d’Octave.

Une ambition dangereuse et cachée


• Dans l’univers romanesque, le jeune homme ambitieux est souvent un « gaillard sans scrupule » (il ne considère pas les autres pour parvenir à ses fins).
• Les deux termes « avare » et « gaillard » se complètent donc (la rime accentue cette impression).
• Hippolyte poursuit impitoyablement « qui… » (la subordonnée prolonge une phrase qui semblait finie, on parle d’hyperbate).
• Il fait tomber le masque « avec son air d’aimer les femmes » (le CC de manière retarde le verbe qui arrive ensuite).
⇨ Le regard d’Hippolyte dépouille bien Octave de son rôle d’acteur, son vrai visage est très différent.

Un renversement total du personnage


• Le contraste est frappant : « Aimer les femmes » devient « leur flanquer des gifles » (les deux verbes s’opposent en miroir, et encadrent les femmes : c’est un chiasme).
• L’expression est violente et familière : « flanquer des gifles ! » (avec l’exclamation et l’allitération en F).
• Le ton est sarcastique « très bien » (adverbes intensifs).
• En réalité ce geste « flanquer des gifles » (au pluriel) couvre symboliquement des situations variées : Octave ne bat pas les femmes, mais il les contraint.
⇨ Ces accusations se font devant Berthe et Octave cachés : la fin du passage nous montre leurs réactions, révélatrices.

La réaction révélatrice des personnages spectateurs


• C’est un jeu de regard complexe, où le lecteur observe Berthe posant « les yeux sur Octave » (avec la préposition).
• L’action d’Octave est spéciale, elle est progressive : « blêmir » (c’est ce qu’on appelle un verbe inchoatif).
• Le masque est tombé : l’émotion est visible d’un point de vue extérieur « la face bouleversée » (bouleversement symbolique).
• C’est révélateur parce que « la face bouleversée » exprime en fait tout le personnage jusque dans son âme (métonymie).
• Point de vue interne de Berthe, car on a accès à ses émotions « si changé qu’il lui faisait peur » (CC de conséquence).
⇨ Les masques tombent les uns après les autres : le jeu de regard annonce implicitement que le tour de Berthe est venu.

Troisième mouvement :
Berthe : une prostitution cachée



— Ma foi ! ils se valent, reprit Lisa. Je ne donnerais pas non plus grand’chose de sa peau, à elle. Mal élevée, le cœur dur comme une pierre, se fichant de tout ce qui n’est pas son plaisir, couchant pour l’argent, oui pour l’argent ! car je m’y connais, je parie qu’elle n’a pas même de plaisir avec un homme.
Des larmes jaillirent des yeux de Berthe. Octave regardait son visage se décomposer. Ils se trouvaient comme écorchés au sang l’un devant l’autre, mis à nu, sans protestation possible.


Mise en scène de la parole de Lisa


• Lisa prend la parole, ou plutôt « reprend » (préfixe re-) on sait déjà que c’est un personnage au verbe acéré.
• Ses paroles sont rapportées directement, oralement : « — Ma foi » (marques de dialogue)
• Elle insiste sur ses émotions et son indignation « Ma foi ! … l’argent ! » (exclamations, ponctuation expressive).
• Elle répond d’ailleurs à un geste de son interlocuteur « oui, pour l’argent ! » (théâtralité et oralité).
• Elle se met elle-même en scène « Ma foi… Je ne donnerais… je parie » (multiplication de la première personne du singulier).
⇨ L’intervention de Lisa, chargée en émotion, va maintenant s’attaquer à Berthe.

Berthe vient naturellement après Octave


• Paradoxe d’un couple bien assorti dans leurs défauts : « ils se valent » (sujet au pluriel, voix pronominale réciproque).
• Les deux jeunes gens sont jugés aussi négativement : « non plus » (outil de comparaison).
• Après avoir parlé d’Octave, le tour de Berthe est venue « à elle » (le pronom qui représente Berthe est rejeté à la fin).
• La question est bien de savoir ce qu’ils « valent » : c’est un jugement de valeur au présent de vérité générale.
⇨ Les deux jeunes gens sont jugés avec la même sévérité.

Un jugement de valeur émis par métaphore


• Lisa invente même un faux marchandage : « je ne donnerais pas » (le verbe au conditionnel est nié).
• L’image est cruelle : « sa peau » (métaphore d’un trophée avec le possessif « sa » qui désigne Berthe).
• Lisa les met dans le même panier « ils se valent » (pronom personnel de troisième personne du pluriel).
• Elle parle d’une somme négligeable : « pas grand chose » (euphémisme pour dire « presque rien »).
⇨ Lisa porte un jugement sévère sur Berte, qu’elle va justifier tout de suite par une analyse sans concession.

Une analyse des motivations de Berthe


• Lisa énumère les défauts de Berthe : « mal élevée, le cœur dur, se fichant, couchant » (énumération de phrases nominales).
• D’abord l’esprit « élevée » ensuite le « cœur » et finalement le corps « couchant » (le rythme s’allonge de manière éloquente).
• L’éducation des filles revient souvent dans le roman : « Mal élevée » (pas d’élévation possible à cause de l’ignorance).
• On comprend que ce n’est pas l’amour qui la pousse vers Octave « le cœur dur comme une pierre » (l’article défini « une » remotive la métaphore figée, c’est une catachrèse).
• Lisa termine donc logiquement par les véritables motivations de Berthe « pour l’argent » (CC de but répété deux fois).
⇨ Lisa décrit l’adultère comme une forme de prostitution.

Une prostitution dissimulée


• La relation amoureuse devient échange marchand : « couchant pour l’argent » (périphrase définition même de la prostitution).
• Lisa dénonce d’abord le fait que l’amour n’intervient pas dans cette relation : « se fichant … couchant » (participes présent).
• Ensuite, elle insiste sur la notion de plaisir égoïste : « tout ce qui n’est pas son plaisir » (la négation met en valeur le possessif).
• Ainsi le plaisir de l’amour est remplacé par le plaisir de l’argent : « son plaisir … pas de plaisir » (répétition d’un même terme pour faire ressortir une différence, c’est une antanaclase).
• Lisa va fort loin dans l’intimité de Berthe : « avec un homme » (article indéfini = n’importe quel homme).
⇨ Loin de la morale bourgeoise, Lisa ne condamne pas tant le plaisir de la chair (la luxure) que la vénalité, l’appât du gain.

Le point de vue d’une domestique


• Le langage de Lisa est oral et familier « se fichant » est le même verbe utilisé par Hippolyte pour Octave.
• Lisa met en avant son expérience : « je m’y connais … je parie » (première personne qui prend en charge la parole).
• Cela permet à l’écrivain naturaliste de mettre en avant une vérité : « car je m’y connais » (lien logique de cause).
• Il faut savoir que par ailleurs, Lisa s’amuse à pervertir Angèle, la fille des Campardon : « je m’y connais… » (en quoi ? Le pronom adverbial « y » désigne des formes de plaisir imprécises).
⇨ La tirade de Lisa est accablante et insultante pour Berthe, qui ne peut que se reconnaître dans ce portrait qui la dégrade.

Berthe mise à nu par sa propre réaction


• La réaction de Berthe est très soudaine : « jaillirent » (passé simple qui met en avant cette action).
• C’est une réaction involontaire, où Berthe n’agit pas vraiment « des larmes jaillirent » (elle n’est pas sujet de la phrase).
• On retrouve les miroirs de l’âme : les yeux révèlent les pensées de Berthe « des yeux de Berthe » (CdN pour la possession)
• Le visage même de Berthe « se décompose » comme un masque qui tombe (le préfixe dé- annule l’action de se « composer » un visage, une attitude, une contenance).
⇨ L’écrivain naturaliste orchestre le jeu de regards pour mieux donner à voir la vérité à son lecteur.

Un jeu de regards révélateur


• Le jeu de regard montre alternativement chaque personnage : « Berthe. Octave » (les phrases courtes organisent ce jeu).
• Les deux personnages sont mis face à face : « Octave regardait son visage » (il est sujet du verbe).
• Le même verbe « regarder » est employé pour les deux : « elle le regardait blêmir … il la regardait se décomposer » (répétition du verbe de perception).
• Le « visage décomposé » de Berthe et la « face bouleversée » d’Octave se retrouvent sans masque.
⇨ Pour servir son propos, le narrateur a organisé ce passage en triptyque, mettant face à face nos deux personnages mis à nu.

Le point de vue omniscient du narrateur


• Le lecteur peut alors deviner les émotions et les pensées des deux personnages simultanément : « ils se trouvaient » (focalisation omnisciente).
• C’est une « mise à nu » douloureuse : « comme écorchés au sang » leur peau même était un costume dont ils sont dépouillés (la métaphore du masque est filée).
• Cette « mise à nu » est une « mise à mort » de leur amour, une mise à la question (torture).
• Le jeu de regard est synthétisé par l’image du miroir : « l’un devant l’autre » (CC de manière).
• C’est aussi une mise en abyme, car nous sommes nous mêmes spectateurs de personnages devenus spectateurs : « sans protestation possible ».
⇨ En mettant à nu ces deux personnage, l’écrivain naturaliste met surtout à nu les rouages d’une société où le bonheur est impossible.

Conclusion



Bilan


• Notre passage met en scène un moment de révélation sans concession, de manière abrupte, à travers une métaphore filée frappante : l’adultère, que les domestiques décrivent en détails, est dénoncé sous une pluie battante de détritus.
• D’abord le valet de chambre Hippolyte prend en charge le portrait d’Octave. Le masque tombe alors : il n’agit que par ambition. Les réactions des personnages, mis l’un en face de l’autre révèlent la justesse de ces observations.
• Ensuite, la bonne Lisa révèle les motivations de Berthe : elle ne prend un amant que par vénalité. Cet adultère n’est au fond qu’une prostitution dissimulée, où les sentiments sont exclus.
⇨ Le jeu de regards complexe élaboré par l’écrivain naturaliste nous invite bien à reconnaître dans ce tableau la condamnation d’une société malade.

Ouverture


Louis-Ferdinand Céline s’inspire beaucoup de Zola pour démolir, avec un langage volontiers familier, les idéaux romantiques liés à l’amour notamment :
« Ça suffit pour haïr, cent sous, et désirer qu’ils en crèvent tous. Pas d’amour à perdre dans ce monde, tant qu’il y aura cent sous. »
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1931.



Félicien Rops, Le Gandin ivre (détail), vers 1880.

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