Couverture pour pluie et vent sur Télumée Miracle

Simone Schwartz-Bart
Pluie et vent sur Télumée Miracle
abrégé et expliqué




Quelle est cette pluie, et ce vent qui s’abattent sur Télumée Miracle ? Celle qui nous raconte son histoire, Télumée Miracle, est un personnage, n’est-elle pas un peu aussi une incarnation de la Guadeloupe, subissant les intempéries du passé…

Dans ce roman, la mémoire est une préoccupation centrale : est-ce que le passé sera un fardeau, ou au contraire le terreau d’un avenir plus apaisé ?

En racontant l’histoire de Télumée Miracle, mais aussi de toute une lignée de femmes, Simone Schwarz-Bart semble vouloir donner corps à ce qu’on appelle la « résilience » : la capacité à surmonter les épreuves, d’un peuple, mais aussi, des femmes, sur plusieurs générations.

Dans cet audio, je vais retracer tout le roman chapitre par chapitre, avec les citations les plus représentatives, et en expliquant l’intrigue au fur et à mesure. L’idée c’est de t’accompagner dans une première lecture pour avoir les clés qui t’aideront à mieux savourer ensuite la richesse de l’écriture.


première partie :
Présentation des miens.



Chapitre 1 — Une lignée de femmes fortes



Dans ce roman, les chapitres n’ont pas de titre, mais ce premier chapitre, on pourrait l’appeler : une lignée de femmes fortes, car la narratrice présente ses aïeules et leur lien à la Guadeloupe.
Le pays dépend bien souvent du cœur de l’homme : il est minuscule si le cœur est petit, et immense si le cœur est grand.

Après l’abolition de l’esclavage, son arrière grand-mère, Minerve, s’installe à l’Abandonnée, village fondé par des marrons (nom donné aux esclaves en fuite).
Minerve possédait une foi inébranlable en la vie. Devant l’adversité, elle aimait dire que rien ni personne n’userait [son] âme [...].

Minerve est enceinte quand elle rencontre Xango qui accueille l’enfant comme sa propre fille.
Quand elle revenait des bois, un énorme tas d’herbages sur la tête, Xango [...] se mettait à hurler :
— Haïssez-moi, pourvu que vous aimiez Toussine Lougandor.


Un jeune pêcheur, Jérémie, demande la main de Toussine. Mais bientôt la prospérité des jeunes mariés crée des jalousies.
Pour qui se prenaient-ils, ces nègres à opulence [avec] leur lit à volants de [soie rouge] ?... Se croyaient-ils blanchis pour autant ?

Ils ont deux enfant, deux jumelles : Éloisine et Méranée. Un soir, lors d’une simple dispute, la lampe à pétrole est renversée :
Le pétrole enflammé se répandait sur [Méranée]. Dans la nuit s'échappa une torche vivante que le vent du soir attisait en hurlant.

La mort de Méranée les anéantit. Toussine habite une tour en ruine pendant trois ans. Mais un jour, les habitants de Fond-Zombi la voient sortir dans son jardin. Sa transformation extraordinaire :
Toussine sortait [pour sabrer] une broussaille du geste [d'une femme qui] n'a plus une minute à perdre… Toussine était [un morceau de monde] un panache de négresse, la barque, la voile et le vent.

La naissance de leur fille Victoire fait revivre Jérémie et Toussine, que les villageois décident d’appeler « Reine sans Nom » :
— Nous avons cherché un nom de reine [mais] à la vérité, il n'y a pas de nom pour toi. Aussi [...] nous t'appellerons : Reine Sans Nom.

Après la mort de Jérémie, Reine sans Nom quitte l'Abandonnée, pour aller vivre dans un lieu isolé et sauvage : Fond-Zombi.


Chapitre 2 — Victoire et Angebert



Victoire est lavandière : tous les jours, elle porte sur sa tête son énorme ballot de linge. Elle a deux filles, Régina et Télumée.
Ma sœur Régina et moi gambadions autour de ses jambes, et nous l'entendions, après, qui se disait :
— Les peines sont les mépris et mieux vaut faire envie que pitié.


À la buvette, Régina et Télumée entendent parler de leur mère : les buveurs ne comprennent pas pourquoi elle ne les rejoint pas.
Elle n'avait [nulle parure sur terre] à part ses deux bâtardes en guise de boucles d'oreille… Pourquoi donc [...] fuir leur compagnie ?

Télumée fait alors un magnifique portrait de Victoire :
Il y avait dans la laque noire de sa peau des reflets couleur de bois de rose. [...] Dans l'ombre, elle colorait l'air qui l'entourait, [...] comme si sa [...] présence suscitait alentour une auréole de fumée.

Télumée raconte alors la vie de Victoire : après avoir vécu un temps avec Hubert, Victoire tombe dans l’alcool et erre dans les rues, ivre, suivie par sa fille Régina.

Un jour, un étranger, Angebert se présente à l'Abandonnée comme rempailleur de chaise, mais il vit de ses pièges à écrevisses. Il rencontre Victoire errant ivre dans les rues, et la soigne avec beaucoup de douceur :
Ce n'était pas son rôle de bastonner les gens, disait-il, et d'ailleurs il ne voyait aucune supériorité dans le fait de ne pas boire. [...] Mais une petite buée glacée enveloppait [...] son cœur toutes les fois qu'il devait coucher Victoire, écrasée de rhum.

De temps en temps, ils partagent leur repas avec Germain, un voleur d'écrevisses. Angebert le prévient :
— Fais bien attention à ne pas subtiliser [...] mes écrevisses, car ce sont elles le pain de ma famille... Ce que je te dis là est très sérieux.

Mais un jour, Angebert constate que ses nasses ont été vidées. Le soir même, les gens de la buvette trouvent Angebert dans une marre de sang, Germain à côté de lui, un canif à la main.
Chacun [savait que] Germain devait tuer un jour [...] et cependant, nul n'avait bougé. [...] À cette pensée, les gens redoublaient de cruauté envers Germain, et sans doute l'auraient-ils mis à mort si les gendarmes à cheval n'étaient survenus.

À la fin du chapitre, Télumée décide de pardonner à Germain, car le mal peut tomber sur n’importe qui…
Lorsque la folie antillaise se met à tournoyer dans l'air [...] une angoisse s'empare des hommes à l'idée de la fatalité [...] s'apprêtant à fondre [comme] un oiseau de proie.

seconde partie
Histoire de ma vie




Chapitre 1 — La vie avec Reine Sans Nom



Après la mort d'Angebert, arrive au village Haut-Colbi, venant de Côte-sous-le-vent. Avec Victoire, c'est le coup de foudre.
On dit qu'ils restèrent une heure dans la contemplation l'un de l'autre, en pleine rue [...] saisis de cet étonnement qui étreint le cœur humain quand, pour la première fois, le rêve coïncide avec la réalité.

Pour vivre avec Haut-Colbi, Victoire envoie sa fille auprès de sa grand-mère. On la blâme beaucoup, mais Télumée la comprend.
Elle connaissait la vie depuis longtemps, mon amoureuse de mère, [...] et elle savait qu'il faut le plus souvent arracher ses entrailles et remplir son ventre de paille si l'on veut aller, un peu, sous le soleil.

Reine-sans-nom est très heureuse de récupérer sa petite fille, et Télumée n'éprouve aucune tristesse à quitter sa maison :
Il y avait [en moi] une sorte d'exaltation à cheminer sur cette [route] aux côtés d'une aïeule dont j'avais cru la vie terrestre achevée.

La case de Reine-sans-nom est la dernière de Fond-Zombi.
Sitôt que j'eus franchi le seuil, je me sentis comme dans une forteresse, à l'abri de toutes choses connues et inconnues.

Reine-sans-nom prépare des galettes de manioc, et Télumée perçoit une présence invisible.
Nous n’étions pas seulement deux vivantes dans une case, au milieu de la nuit, c’était autre chose et bien davantage, me semblait-il, mais je ne savais quoi.

Télumée accompagne sa grand-mère pour laver le linge, au bord de la rivière. Là-bas, Vitaline Brindosier aime jeter le trouble dans les esprits, clamant que la vie est une loque impossible à recoudre. Reine Sans Nom dit à Télumée de ne pas les écouter :
— [Ces] grosses baleines échouées dont la mer ne veut plus, [...] si les petits poissons les écoutent, sais-tu ? ils perdront leurs nageoires...

Puis elles rentrent, et étendent le linge sur des buissons, pendant que Reine-sans-nom lui dit des paroles de sagesse.
— Trois chemins sont mauvais pour l’homme : voir la beauté du monde, et dire qu'il est laid, se lever de grand matin pour faire ce dont on est incapable, et donner libre cours à ses songes sans se surveiller.

À la fin de la journée, Reine-sans-nom s'installe dans une berceuse (un fauteuil à bascules), et chante de vieux chants d’esclaves en tressant les nattes de Télumée.


Chapitre 2 — Rencontre avec man Cia



Chez Abel, l'épicier de Fond-Zombi, les hommes parlent d'une sorcière, man Cia qui peut prendre une forme animale. Quand Télumée en parle à Reine Sans Nom, elle décide de l’emmener voir man Cia, qui vit dans une clairière au fond des bois :
Se tournant vers moi, man Cia [...] me dévisagea longuement : [...] elle le voyait déjà, j'étais une vaillante petite négresse. Elle ajouta : [...] Tu seras [...] sur terre comme une cathédrale.

Ensuite, man Cia les invite à entrer, et en servant la daube de cochon qui mijote, man Cia demande des nouvelles de Jérémie :
— Il ne m'a pas oubliée, [...] il vient me voir toutes les nuits, sans faute. Il n'a pas changé, il est pareil que de son vivant...

Reine-sans-Nom et man Cia parlent des mauvais traitements reçus à l’époque de l’esclavage. Il était impossible d’y échapper.
— Qui peut reprocher au chien d’être attaché, et s’il est attaché, comment lui éviter le fouet ?

Reine Sans Nom développe une image : si l’esclavage est un incendie, aujourd’hui les petits chiens jouent dans la cendre.
— Le feu est éteint et cela fait bien longtemps que le Blanc des Blancs est sous terre. [...] D'ailleurs, la cendre elle-même n'est pas éternelle.

Plus tard dans la journée, elles font un tour dans les bois, et au moment de partir, man Cia s'adresse directement à Télumée :
— Sois une vaillante petite négresse, un [...] tambour à deux faces, laisse la vie [...] cogner, mais conserve toujours intacte la face du dessous.

Une fois rentrée à Fond-Zombi, Télumée se glisse au fond de la cour, où elle s'est confectionné une petite cage de bambou.
Pour la première fois [...], je sentais que l'esclavage n'était pas un pays étranger, une région lointaine [...]. Tout cela s'était déroulé ici même.

Elle écarte les feuilles de sa cage de bambou pour voir le monde.
Le soir montait comme une exhalaison, effaçant toutes choses [...] les montagnes dont le sommet flamboyait encore dans le ciel, bien que la terre fût plongée dans l'obscurité.


Chapitre 3 — Rencontre avec Élie



Un jour, Victoire leur apporte une bonne nouvelle : Régina vit maintenant chez son père naturel, sur la Basse-Terre. Elle est bien nourrie, bien vêtue, et elle va à l'école ! Elle leur annonce aussi qu’elle va partir avec Haut-Colbi pour la Dominique. C’est la dernière fois que Télumée voit sa mère.

Télumée grandit, et Reine Sans Nom la met en garde contre les gamins du voisinage, qui vagabondent :
— Ces enfants sont à l’école du mépris [...] couds ta bouche en leur présence car il n’y a rien à leur apprendre, ils sont déjà tout maudits...

Télumée a deux amies : Tavie et Laetitia, qui aiment bien Élie, le fils d’Abel, avec son grand short kaki. Il la regarde en riant :
— Tout est en ordre chez toi, comme dans une chapelle bien entretenue. Je ris [...] de te voir surgir : y a pas d’offense, j’espère ?
J’ai répondu qu’il n’y avait pas d’offense et j’ai continué mon chemin [...] sans me douter que ma première étoile venait de naître à l’orient.


À cette époque, une école communale ouvre à La Ramée. Télumée y retrouve Élie et ils ont de longues discussions. Élie lui fait alors une promesse énigmatique.
— Il se peut qu'un jour je me trompe de traces, au milieu de la forêt... Mais n'oublie pas que tu es la seule femme que j'aimerai.

Télumée retrouve Élie tous les jeudis chez le père Abel. Leurs parents voient d'un bon œil ce petit couple. Élie a des projets :
— Tu verras [...] plus tard, quel beau cabriolet nous aurons, et nous serons habillés en conséquence [...].

Tous les jeudis, Reine sans nom raconte des histoires aux deux enfants, et notamment l'histoire de l'Homme qui voulait vivre à l'odeur :

Pour fuir la méchanceté des hommes, un homme parcourait le pays sur le dos de sa jument “Mes Deux yeux”. Mais elle l'entraîna et ils disparurent. Chaque conte a une morale cachée :
— Derrière une peine il y a une autre peine [...] mais le cheval ne doit pas te conduire, c'est toi qui dois conduire le cheval.


Chapitre 4 — L’habitation Belle-Feuille



Jusqu'à l'âge de 14 ans, Télumée va à l'école communale :
Nous étions à l'abri, apprenant à lire, à signer notre nom, à respecter les couleurs de la France, notre mère, à vénérer sa grandeur.

Comme Télumée devient une femme, Reine Sans Nom la met en garde : elle ne doit pas suivre la voie des autres jeunes filles.

Télumée fait de petits travaux pour gagner de l’argent. Elle envisage d’aller à Belle-Feuille, mais c’est dangereux.
Grand-mère elle-même s'y refusait, disant que je n'avais pas à leur servir mes seize ans comme plat du jour.

Élie de son côté a dû abandonner son rêve de travailler aux douanes, mais il refuse d'aller aux cannes. Il rencontre un grand nègre rouge, Amboise, qui fait de lui un scieur de long.
Élie [prit] la direction des bois [avec Amboise], une scie de long à l'épaule : sur une simple parole [...] il avait échappé à la malédiction.

Malheureusement, Reine Sans Nom tombe malade. Télumée doit se rendre chez les Desaragne, à l'habitation Belle-Feuille :
Une vaste demeure à colonnades, [...] toit surmonté de deux flèches métalliques, et ces étonnantes fenêtres à [...] rideaux de dentelle.

Quand Mme Desaragne l'interroge, Télumée répond très bien : elle sait cuisiner, et même repasser les chemises en popeline. Elle dit aussi qu'elle vit seule avec sa grand-mère :
— C'est bien, car [...] l'inconduite ne mène à rien. Si vous vous occupez de vos affaires [au lieu de bâiller] alors vous pouvez rester.

Télumée pense souvent aux mots de sa grand-mère : conduire son cheval. Elle écoute sa patronne qui se félicite à haute voix :
— Savez-vous seulement à quoi vous avez échappé ?... Sauvages [...] vous seriez en ce moment, à courir dans la brousse, à danser nus et déguster les individus en potée...

Mais Télumée laisse glisser ces paroles sur elle et repense aux mots de man Cia qui lui ont donné de la force :
Petite négresse irréductible, [...] vrai tambour à deux peaux [...] je lui abandonnait la première face afin qu'elle s'amuse, la patronne, qu'elle cogne dessus, et moi-même par en-dessous je restais intacte.


Chapitre 5 — Les dimanches



Les dimanches, il y a souvent des réceptions à Belle-Feuille. Télumée fait des crêpes et surtout, des sorbets :
Sorbets amers et sorbets doux [...] je servais et desservais [ne songeant qu'à] demeurer intacte sous ces paroles de Blancs.

Quand il n'y a pas de réception, Télumée peut rentrer à Fond-Zombi. Mais madame semble toujours un peu contrariée du départ de Télumée :
— Télumée, qu'allez-vous faire dans ce Fond-Zombi ?... y chercher un ventre à crédit ?... Apprendre à jeter un fruit à pain dans l'eau salée ?... [...] C'est ici et pas ailleurs que l'on fait des béchamel...

Quand Télumée arrive, elle retrouve tous les amis : Adriana, Ismène, Filao, chez Reine Sans Nom, ils lui demandent de parler de Belle-Feuille. Télumée embarrassée, répète l'anecdote de la béchamel, qui fait rire tout le monde, et Reine Sans Nom dit :
— Télumée, [fais donc] cuire deux tranches de fruit à pain au gros sel, [...] et ne va pas t'occuper ce jour-là s'ils ont fait de la béchamel.

Pendant ces discussions, le vieil Amboise répond à des questions sur la vie des Blancs de France, où il a vécu pendant sept ans.
Ses opinions sur les blancs [...] nous déconcertaient. Il les considérait [...] comme des vessies crevées [...] érigées en lanternes, et voilà tout.

À la fin de la journée, Télumée retrouve Élie, qui lui parle de la case qu'ils pourront construire avec les planches qu'il découpe.
Il voulait que ce fût moi qui monte sur le toit pour y piquer un bouquet rouge. Il viendrait m’en faire savoir la nouvelle, par une sérénade nocturne, chez les Desaragne.

Élie décrit leur future case avec une telle précision, que Télumée y rêve encore le lendemain, quand elle arrive à Belle-Feuille :
La vision me poursuivait encore et je m'asseyais sur la pelouse (...) pour goûter une dernière fois les tôles toutes neuves de ma case, qui brillaient sous le gai soleil matinal, le bouquet rouge sur le toit.


Chapitre 6 — La case d’Élie et Télumée



À Belle-Feuille, la beauté de Télumée est remarquée par les visiteurs qui complimentent Mme Desaragne.
— Chère Aurore, [...] Pour servir le punch elle n'a pas sa pareille, et le plaisir est double, du palais et des yeux.

Un soir, M. Desaragne vient frapper à sa porte, lui offre une robe de soie et essaye de l'attirer à lui, mais Télumée le fait fuir :
— J'ai un petit couteau ici [...] vous ne pourrez plus entrer dans la chambre des petites bonnes, car vous n'aurez plus de quoi.

À l’habitation Belle-Feuille, Télumée dort dans un réduit à côté d’une écurie. Un soir, tourmentée par les moustiques, elle entend Élie chanter :
Les moustiques m'ont-elle rendue folle ? [...] Et puis je me souviens d'une promesse d'Élie [...] : une sérénade [lorsque la case] n'attendrait plus que mon bouquet rouge.

Le lendemain, Télumée retrouve Élie sur son échafaudage. Tous les deux s'allongent au pied d’un Mahogany, et évoquent les draps de dentelle qu'ils auront un jour.
Un immense rire qui sortait de la forêt s'est emparé de nous, cependant que nos deux cerfs-volant partaient en errance dans le ciel.

Quand Télumée ouvre les yeux, elle voit Élie assis sur une racine.
— Te voilà femme [...] tu es un beau fruit à pain mûr [...] qui se balance au vent. [...] Vas-tu te décrocher [...] et tomber ?
— Tout dépend du vent, il y en a qui vous font tomber, et d'autres qui raffermissent vos attaches, vous fortifient…


Alors tous les deux vont voir Reine sans Nom, et Élie lui dit :
— La Reine, je suis aujourd'hui devant toi en homme [...] J'ai monté tout exprès un toit [...]. Demain notre eau peut devenir vinaigre ou vin doux, mais si c'est vinaigre, n'allez pas me maudire.

Télumée, trouve ces paroles inquiétantes, mais Reine Sans Nom lui dit que les Lougandor ont déjà surmonté tous les obstacles. Arrive alors le père Abel et ils plaisantent de bon cœur.
— Quelle flopée de malchanceux défilent sur la terre, et ne serait-ce que pour prendre un exemple, prenons Reine Sans Nom
— Père Abel, chacun sait que dans l'affaire vous êtes le seul lésé...


Reine Sans Nom donne à Télumée un panier plein d'ustensiles, et arrivés devant la case neuve, le père Abel lui tend un bouquet de fleurs rouges.
Je montai vivement à l'échelle, attachai le bouquet à un chevron et des applaudissements retentirent, venus de la foule qui se tenait à distance, pour ne pas déranger notre intimité.


Chapitre 7 — La prospérité de Fond-Zombi



Dans les jours qui suivent, Télumée est surprise de voir que les commères ne montrent pas de jalousie, et elle sent même quelque chose se tisser autour d'elle.

Elle en parle alors à Reine Sans Nom, qui se met à tracer des formes dans la terre à ses pieds :
— C'est Fond-Zombi. [...] Tu le vois, les cases ne sont rien sans les fils qui les relient [...]. Ce que tu perçois [...] n'est rien d'autre qu'un fil, celui [que le village] lance jusqu'à toi.

Télumée retrouve sa confiance. Élie de son côté cesse de voir ses amis amateurs de rhum. Tout le monde admire le jeune couple.

Le père Abel ouvre une « Nouvelle Buvette » où Télumée vient travailler quand elle n’aide pas Reine Sans Nom au jardin. Tout le monde a besoin des planches d’Amboise et Élie.
Pendant que mon zèbre était dans ses bois, je [...] veillais à mon jardin [...] et avec Reine sans Nom [...] je confectionnais [des] fruits à pain confits [...] que nous déposions à la boutique du père Abel.

Mais un jour qu'elle bat son linge à la rivière, arrive Laetitia, qui déjà, pendant leur enfance, la taquinait à propos d'Élie.

Mais cette fois-ci, ses mots sont acides :
— Pour Élie [tu es] une succulente canne congo qu'il aspire, mais auras-tu toujours du suc pour le contenter ?...

Télumée se sent hantée par ces paroles, comme par une prophétie, mais Reine Sans Nom la rassure :
— Nous, les Lougandor, ne craignons pas davantage le bonheur que le malheur [...]. Tout Fond-Zombi sait qu'il assiste à ta première floraison, alors [...] embaume-nous, ma fille.

Un soir, Laetitia aborde Élie en pleine rue et lui parle très fort, pour que tout le monde l'entende :
— Lorsque tu seras lassé des cannes congo, pense qu'il existe des cannes campêche, et peut-être bien que j'en suis une…

Télumée sort alors de son recoin d'ombre :
— Laetitia, tu es [...] belle, c'est vrai, mais tu as la beauté du nénuphar qui vient de l'eau croupie.
— Peut-être, [...] mais tu as beau être une fleur de coco juchée en plein ciel, quand la bise viendra, tu tomberas.



Chapitre 8 — L’hivernage et le carême



Télumée est inquiète. Elle craint qu’Élie se détourne d’elle.
Je le surveillais comme un marin surveille le vent, par beau calme, sachant que tous les navires n’arrivent pas à bon port.

Mais la déveine se présente sous la forme d’un hivernage terrible qui transforme les chemins en torrents boueux. Puis vient un carême, une sècheresse destructrice :
Étouffant porcs et dévastant poulaillers, [...] les feuilles de bananiers devenaient hachures de vent [...]. Fond-Zombi avait un aspect désertique, et le mal semblait dans l'air la seule chose palpable.

Élie au chômage se met à boire et à ressasser son malheur.
— Ah [...] ! Nous sommes dans la haute mer et [...] ce que je me demande, c'est si je vais me noyer comme ça, du premier coup...

À la buvette, Télumée voit Élie chanter et boire, rire de manière inquiétante et lancer des malédictions. Alors Amboise intervient, il attrappe la main de Télumée et la reconduit jusqu'à sa case
— Tu as sûrement trouvé ce que tu cherchais, dit-il, et il disparut.

Cette nuit-là, Élie rentre tard et bat Télumée :
Me tirant du lit, il commença à me frapper avec acharnement, sans émettre une seule parole.

Ces violences se reproduisent ensuite régulièrement, Reine Sans Nom doit soigner Télumée avec de l'huile de carapate :
— C'est une abomination, soupirait-elle en me frottant les membres, il devrait te renvoyer plutôt que t'abîmer ainsi.

Un jour, alors qu'on n'y croyait plus, il se met à pleuvoir : les feuilles reverdissent, mais les planches d’Élie ont pourri.

Il prend leurs dernières économies pour s'acheter un cheval, et hante les alentours, ivre, et lançant des défis aux voyageurs :
Il acquit le titre de Poursuivi définitif et le père Abel lui-même disait : je revendique la tête d'Élie, son corps [mais] pas son cœur...

Élie rentre parfois de ses randonnées, silencieux ou menaçant, il reprend la route très vite. Télumée n’a plus de force.
Je sombrais dans le néant. J'entendais et n'entendais pas, je voyais et ne voyais pas et le vent qui passait sur moi rencontrait un autre vent.


Chapitre 9 — Le départ d’Élie



Télumée se désole : alors qu'elle a connu le bonheur, elle voit bien que désormais, plus aucun fil ne la relie aux autres cases.
Ma tête et mon corps entier se dissipaient dans l'air et je planais, je survolais Fond-Zombi.

Élie revient parfois, et fait des menaces mystérieuses :
— Tu ne sais pas encore ce que ça signifie d'être une femme sur la terre, [...] je te dis. [...] Tu rouleras et tu crieras, comme une femme roule et crie quand on la manie bien.

Impressionnée par ces paroles, Télumée se rend chez Reine Sans Nom et lui demande ce qu'elle peut faire.
— Télumée [...] comme je démêle en ce moment tes cheveux, je t'en supplie de démêler ta vie de la sienne.

Selon man Cia, un mauvais esprit habite la case et le corps d'Élie.

Elle lui donne des herbes à faire brûler tout autour de la case. Mais Élie les renverse et revient la battre tous les jours.
Lorsqu'il en avait fini de m'éparpiller corps et âme sur le plancher [demeurait] le sentiment [...] qu'il me restait bien des découvertes à faire avant [de savoir] ce que signifie : être une femme sur la terre.

La veille de Noël, Télumée entend Adriana, Ismène et d'autres commères parler d’elle, dans la cour :
— Quelque chose empêche cette petite négresse de toucher terre [...] Et pourtant moi Adriana [...] je vous dis : cette femme abordera.

Après le départ des commères, Télumée voit surgir une silhouette double : c’est Laetitia et Élie. Il se penche sur Télumée.
— Pourquoi es-tu restée dans cette case [...] Je t'éperonnais chaque jour et tu ne partais pas. [...] Mais peut être sauras-tu ce soir ce que signifie être une femme sur la terre.
— Tu vois bien qu'il faut que tu t'en ailles maintenant. [...] Tu n'es pas plus ici chez toi qu'ailleurs.


Télumée erre dans les rues, jusqu’à ce que Reine Sans Nom la ramène chez elle : elle reste mutique pendant des semaines.

Mais un jour, Reine Sans nom pique le bras de Télumée avec une aiguille et lui dit :
— Tu vois bien [...] que tu n'es pas un esprit, puisque tu saignes...

Télumée prend un bain dans la rivière et retrouve la parole :
— La Reine, qui dit qu'il n'y a rien pour moi sur la terre ? [...] J'ai lâché mon chagrin au fond de la rivière, il [descend] le courant, il enveloppera un autre cœur que le mien...


Chapitre 10 — La mort de Reine Sans Nom



Télumée se rétablit, grâce aux attentions des villageois, qui lui disent que cet homme-là, Élie, n'en vaut pas la peine !
Je riais, j'acquiesçais sans mot dire et toutes ces paroles, ces rires [...] contribuaient à me remettre en selle, à me faire tenir en main les brides de mon cheval.

Télumée parle beaucoup avec Reine Sans Nom, qui fait des projets d'avenir : partir avec Amboise au morne La Folie, où M. Boissanville pourrait leur accorder un lopin de terre.
Ainsi [...] grand-mère fabriquait-elle du vent pour gonfler mes voiles, me permettre de reprendre mon voyage sur l'eau.

Mais Reine Sans Nom est sur le point de s'éteindre. Comme elle évoque sa propre mort, Télumée la voit sourire :
— Alors grand-mère, tu me laisses, et tu souris ?
— Ce n'est pas ma mort qui me réjouit [...], mais ce qui la suivra [...]. Peux-tu imaginer [moi te suivant] invisible, sans que les gens se doutent jamais qu'ils ont affaire à deux femmes et non une seule ?


Après la mort de Reine Sans Nom, Télumée descend dans le village annoncer la triste nouvelle. Man Cia, Filao, Adriana, sont présentes, et Ismène prend la parole avec hésitation :
— Voir tant de misères, recevoir tant de crachats, devenir impotent et mourir... la vie convient-elle donc vraiment à l'homme ?

Mais man Cia parvient à l’apaiser :
— Il y en a dont la vie ne réjouit personne [mais] il y en a dont la mort même apaise les humains.

Arrive alors Mme Brindosier, sa voix est douce et insinuante :
— Le blâme de Dieu est sur toute créature et en fin de compte [...] bonté ou méchanceté c'est tout comme... il te tue.

Mais man Cia conjure ces paroles.
— Que sont ces histoires de blâme ? Si Dieu [...] tue, qu'il tue, mais ce qu'il ne peut empêcher, c'est qu'un nègre lui montre de quel poids pèse, sur la terre [...] l'âme d'un autre nègre.

Alors nous avons senti l’âme de Reine Sans Nom et [...] nous avons [...] évoqué les moindres événements de sa vie, et l’on sut exactement de quel poids elle avait pesé sur la terre, ici, à Fond-Zombi.


Chapitre 11 — La disparition de man Cia



Pour réaliser le vœu de Reine Sans Nom, Télumée fait venir une petite équipe qui fait rouler sa case jusqu’au morne La Folie, puis le soir tombant, ils s’en vont. Mais une silhouette revient, c’est Amboise ! Il lui dit quelques mots touchants :
— Télumée, tu as endossé ta robe de courage et j'aurais mauvaise grace à ne pas te sourire. Mais [...] je voulais [...] te dire… même en enfer, le diable a ses amis.

Les jours suivants, Télumée découvre les habitants du morne la Folie, des êtres misérables.
Les gens du morne La Folie se dénommaient eux-mêmes la confrérie des Déplacés. Le souffle de la misère les avait lâchés [...] sur cette terre ingrate. [...] Ils menaient là une existence exempte de toute règles, sans souvenirs, étonnements ni craintes.

Plus haut sur la montagne, vivent d’autres âmes encore qu'on appelle les Égarés, vivant de chasse, de cueillette et de troc.
Une force étrange déferlait en moi à les voir, [...] et sans savoir pourquoi, je me sentais pareille à eux, rejetée, irréductible.

Pendant la semaine, Télumée s’occupe de son lopin de terre, et le dimanche, elle se rend chez man Cia qui lui enseigne les secrets des plantes et du corps humain.
Cependant, chaque fois qu'elle était sur le point de me dévoiler le secret des métamorphoses, quelque chose[...] m'empêchait de troquer ma forme de femme à deux seins contre celle de bête.

Les dimanches suivants, Télumée ne trouve pas man Cia devant sa case, mais un chien noir, d'un regard très droit, comme elle.
— Que me veux-tu man Cia [...] pourquoi t'être mise en chien [...] pourquoi laisser nos petits causements ?...

Mais un dimanche, remontant la voir comme à l'ordinaire, Télumée ne trouve pas son amie à sa place habituelle.
Elle s'en était allée, et je ne la revis jamais plus. Peu à peu, les petites bêtes se mirent dans sa case, qui s'abattit un beau jour...


Chapitre 12 — Le travail aux cannes



Après la disparition de man Cia, il est trop tôt pour les récoltes : Télumée se nourrit de racines et décide de se renseigner auprès d’une voisine, Olympe, sur les cannes.
Alors Olympe se leva, emplit un verre de rhum à ras bord et me dit sur un ton d'excuse...
— Ah, la canne... et puis elle but son verre, alluma sa pipe et se tut.


Le lendemain matin, à la nuit encore noire, Télumée retrouve Olympe, et elles se rendent ensemble à l'Usine.
Nous avancions à la clarté déclinante des étoiles, suivies et précédées de travailleurs [...] en un cortège de fantômes indécis.

Dans les champs de canne à sucre, les coupeurs en ligne, les amarreuses derrière eux rassemblent les piles. Télumée décrit un travail d’une pénibilité extrême :
Dans le feu du ciel et des piquants, je transpirais toute l'eau que ma mère avait déposée dans mon corps. Et je compris enfin ce qu'est le nègre : vent et voile à la fois, tambourier et danseur en même temps.

Un dimanche, Télumée descend au bourg, et rencontre Amboise qui lui rappelle ses mots :
— Souviens-toi, [...] même en enfer, le diable a ses amis.
— Grand merci, Amboise [...] pour la parole que tu viens de dire... Mais [...] aujourd'hui je suis une femme sans espérance...


Le lendemain, au milieu des cannes, Télumée entend Amboise chanter, le refrain est repris en cœur par les autres.
Soudain, je ne sus comment, ma voix [...] s'éleva très au-dessus des autres, [...] vivante et gaie, et Amboise se tourna vers moi avec étonnement, et mon visage était baigné de larmes.

Le midi, il la retrouve à l'ombre de l’arbre où elle mange.
— Télumée [...] bel bonheur, tu es plus verte et plus luisante qu'une feuille de siguine sous la pluie et je veux être avec toi.
— Je suis un simple bout de bois qui a déjà souffert du vent. [...] C'est sachant [...] cela, Amboise [...] que j'accepte ta proposition.



Chapitre 13 — La vie d’Amboise



Télumée et Amboise se marient. Les danseurs se succèdent et enfin Olympe invite Télumée :
Je me mis à tourner [...] le dos courbe, [essayant] de parer des coups invisibles. [...] Ce fut ma première danse et la dernière de la nuit.

C'est le début d'une époque heureuse où Télumée et Amboise travaillent la terre, payant un tribut à M. Boissanville.
D'année en année, [...] à mesure que notre sueur pénétrait cette terre, elle devenait nôtre, se mettait à l'odeur de notre corps.

Télumée découvre la vie d’Amboise : à Point-à-Pitre il travaillait dans une Usine de carénage. Suite à une grève, il se retrouva en prison, où il se mit à penser que le seul moyen de laver son âme était d’aller en France, où il resta sept ans.

Là-bas, il aurait pu vivre en jouant le sauvage dans une cage pour le spectacle, mais il préférait travailler dans une usine. Au bout de trois ans, la désillusion était complète.
Il ne sut jamais dire [...] comment il en vint [...] à considérer les Blancs comme des bouches qui se gavent de malheur, des vessies crevées qui se sont érigées en lanternes pour éclairer le monde.

Amboise rentre alors en Guadeloupe mais, toujours enragé, sur le point de commettre un meurtre sur un blanc, un sorcier lui conseille de quitter la ville pour échapper au mauvais esprit. C’est ainsi qu’il devient scieur de long à fond-Zombi.

Un jour, des coupeurs de canne se mettent en grève : ils ne parviennent plus à faire vivre leurs familles. Comme ils savent qu'Amboise a vécu en France, ils font appel à lui pour les négociations. Amboise accepte et se présente devant l’usine.
— Tout le monde sait qu'un sac vide ne tient pas debout, [...] nous sommes venus vous demander si vous êtes décidés à faire que le sac tienne debout.

Mais ils sont renvoyés par la direction et quelqu'un dans l'usine actionne des jets de vapeur brûlante devant le bâtiment : Amboise est entièrement brûlé avec ceux qui sont à ses côtés.
Amboise fut enveloppé dans un sac, [...] on le porta précipitamment au cimetière de la Ramée, car les brûlures avaient hâté la décomposition des chairs.

Après l’enterrement, Télumée accablée se sent incapable de rendre les derniers hommages à Amboise.
Une nuit, il m'apparut en rêve et me demanda de l'aider à rejoindre les morts, dont il n'était pas tout à fait, à cause de moi, cependant que par lui je n'étais plus tout à fait vivante. Il pleurait, me suppliait, disant que j'avais à tenir ma position de négresse jusqu'au bout.


Chapitre 14 — Sonore et l’ange Médard



Télumée ayant montré des talents de guérison grâce à l’enseignement de man Cia, une femme lui confie sa fille de quatre ans, Télumée l’adopte et la soigne longuement.
La mère [...] s'en retourna seule, rassérénée. Sonore [...] s'asseyait à mes genoux [...] tandis que je lui racontais [...] toutes ces histoires [...] que m'avait dites grand-mère autrefois.

Pour lever sa réputation de sorcière, Télumée se consacre à son jardin et monte une petite boutique pour assurer son avenir.
Depuis que j'avais abjuré la sorcellerie, certaines femmes [...] m'accusaient de conjurer leurs volontés, [...] j'étais l'effrayante.

Vers cette époque arrive un vagabond que les habitants appellent ironiquement l’ange Médard. Parce qu’il n’a pas du tout l’air d’un ange. Petit à petit, il s'immisce dans la vie de Télumée et Sonore :
Tous les matins, [...] il venait auprès de nous boire son café, relevait un sillon, consolidant une tôle [...]. De fil en aiguille, je fis sa lessive, son repassage, lui laissai une place à notre petite table.

L'ange Médard entoure Sonore d’attentions, mais en cachette, il la monte contre Télumée.
Il avait entrepris Sonore en secret : [...] j'étais une charmeuse d'enfants, je désirais seulement me servir d'elle, l'innocente, livrée corps et âme entre mes mains de sorcière.

Un soir, en rentrant du jardin, Télumée trouve la maison déserte : l'ange Médard et Sonore ont pris une voiture pour la commune de Vieux-habitants.
Je ne devais jamais plus revoir Sonore. On dit qu'elle vit tranquille dans son village natal, toujours aussi lumineuse et souriante, en dépit de ses bras chargés d'enfants.

Les jours suivants, Télumée voit l’ange Médard rôder autour de la case. Un soir, ivre, il force la porte et se précipite sur elle.
Et, comme son pied butait contre une chaise, il tournoya [...] avant d’aller choir sur un coin de table qui s'enfonça droit dans sa tempe.

Télumée réalise alors ce qu'il a toujours voulu. Elle lui tient la main tandis que les gens viennent assister à son agonie.
Agenouillée près de lui [...] je pensais que l'ange Médard [...] était un mancenillier empoisonné [...] espérant qu'on le touche et meure. Je l'avais touché, et voici, son propre poison l'avait foudroyé.

Lorsque l’aube se lève, les villageois viennent voir Télumée :
— Chère femme, l'ange Médard a vécu en chien, et tu l'as fait mourir en homme... [...] Désormais, nous t'appellerons : Télumée Miracle...


Chapitre 15 — La fin de maman Miracle



Télumée raconte sa vieillesse : elle habite désormais à La Ramée, où la commune lui a accordé une petite terre derrière l'église, à deux pas du cimetière.
En vérité la Ramée n'est pas La Ramée, il y a tout l'arrière-pays dont elle est le cœur, Fond-Zombi, Dara, Valbadiane, La Roncière, le morne La Folie, de sorte que m'installant ici, le dos tourné à la mer, je fais encore face, bien que de loin, à mes grands bois...

À La Ramée, Télumée fait griller des cacahuètes qu'elle vend sur la place de l'église, elle est appréciée par les habitants du bourg :
Les gens d'ici m'aiment bien, je n'ai qu'à héler un négrillon qui passe et voici, il s'en va chercher de l'eau pour moi.

Le soir, Télumée songe à ceux qu'elle a connus, et surtout aux trois personnes qui sont des étoiles dans sa vie.
J'ai cru dormir auprès d'un seul homme et il m'a vilipendée, j'ai cru le nègre Amboise immortel, j'ai cru à une enfant qui m'a quittée, et pourtant [...] je ne considère rien [...] comme du temps perdu.

Comme elle songe au passé, elle pense aussi à man Cia et à l'esclavage, tourmentée par une telle absurdité :
Je n'arrive pas à comprendre comment tout cela a pu commencer, [...] continuer, et comment cela peut durer encore dans notre âme.

Et un jour, voilà qu'elle aperçoit Élie derrière la haie de sa case… Il la salue mais comme elle ne réagit pas, il lui dit :
— Alors Télumée, c'est comme ça ?
Et l'entendant me quémander un mot, une parole de réconfort pour l'aider à supporter le poids de la terre qu'il sent déjà, [...] j'ai revu devant moi l'Élie des temps anciens.


Elle pense aussi à l’ancienne promesse d’Élie, qui craignait de perdre ses traces dans la forêt… Une honte inexplicable l’empêche de trouver les mots :
— Oui, c'est bien triste... mais c'est comme ça…
Ces quelques mots que je n'ai pas su donner sont le seul et unique regret de ma vie.


Le jour de l'enterrement d'Élie, Télumée se dit que même ceux qui ne songent pas à la mort ont autour d'eux une sorte de panache qui persiste malgré les déplacements.
J'ai transporté ma case à l'orient, et je l'ai transportée à l'occident, [...] mais je reste une femme sur mes deux pieds, et je sais que le nègre n'est pas une statue de sel que dissolvent les pluies.


Portrait imaginaire d'une femme créole.

⇨ * 📑 L'abrégé du roman au format PDF téléchargeable *

   * Document téléchargeable réservé aux abonnés.