Louise Labé, « Je vis, je meurs »
Analyse linéaire
Notre étude porte sur le poème entier
Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
Introduction
Louise Labé, c’est une poétesse lyonnaise de la Renaissance, qu’on surnommait « La Belle Cordière » car son père et son mari étaient tous deux marchands de cordes. Lyon était une ville particulièrement florissante à la Renaissance, avec le privilège d’une foire qui amenait à la fois des échanges économiques et culturels, notamment avec l’Italie.
Louise Labé n’est pas noble, et c’est une femme. Et pourtant, son père tient à lui donner une éducation accomplie : luth, latin, italien. Elle fait aussi de l’équitation, de l’escrime, ce qui est très rare à l’époque pour une femme. D’ailleurs elle défend l’éducation des femmes, dans son Débat de Folie et d’Amour. Dans le milieu littéraire, elle participe au cercle poétique de L’École Lyonnaise, autour de Maurice Scève.
Au milieu du XVIe siècle, on ne cherche pas à exprimer des sentiments originaux, comme feront les romantiques au XIXe siècle. Le poète n’est pas perçu comme un créateur, mais plutôt comme un révélateur des sentiments humains. Ainsi, chacun s’essaye sur les mêmes thèmes, et il y a une saine émulation qui rend la vie littéraire particulièrement active.
Dans notre sonnet numéro VIII, Louise Labé prend le thème de l’amour doux et amer, qui appartient à la tradition médiévale de la fin’amor (l’amour courtois). C’est aussi un thème central chez Pétrarque, le poète Italien qui a popularisé le sonnet.
Mais en reprenant la forme du sonnet, Louise Labé parvient pourtant renouveler la représentation du sentiment amoureux, parce qu’elle va mettre en place une forme de lyrisme très particulière : elle va fondre des émotions très fortes, avec des images très contrastées, dans un poème très dense, intemporel et universel.
Problématique
Comment Louise Labé parvient-elle à renouveler ce thème de l’Amour amer, dans une forme de lyrisme à la fois universel et profondément personnel ?
Axes utiles pour un commentaire composé
> Un temps à la fois long et court, cyclique et imprévisible, simultané et successif, bref, une temporalité paradoxale.
> Une représentation de l’amour, avec des images fortes et contrastées.
> Un lyrisme à visée universelle, notamment en incluant les femmes dans l’expression poétique des sentiments.
> Une influence du registre élégiaque : c’est une forme du registre lyrique qui met l’accent sur la douleur et la mélancolie.
> Une construction du poème sous forme d’énigme, qui ménage ses effets en utilisant les ressources du sonnet.
> Un sentiment amoureux implacable, qui dépasse l’individu et touche au tragique.
Premier mouvement :
Un mal paradoxal
Avant même de lire le poème, on peut montrer l’importance de cette forme du sonnet : deux quatrains, deux tercets. Louise Labé va certainement en utiliser les ressources, qui sont incontournables depuis Pétrarque : un moment de basculement au milieu, c’est la volta, et une pointe à la fin, c'est-à-dire un retournement final. C’est la forme parfaite pour une petite énigme.
On peut aussi rapidement regarder les rimes : il n’y en a que 4, avec des rimes embrassées qui encadrent des moments clés, et qui sont étrangement contradictoires : « noie » rime avec « joie » « larmoie » rime avec « verdoie », « douleur » rime avec « heur » qui signifie bonheur. Le plaisir et la peine sont intimement liés. Mais attention hein, on est loin de Léopold von Sacher Masoch qui invente le masochisme au XIXe siècle ! En fait, ici la construction même est faite pour attiser la curiosité du lecteur.
Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlés de joie.
La flamme, métaphore du sentiment amoureux, parce que les deux brûlent et consument : c’est un lieu commun de la poésie Pétrarquiste. On peut parler de topos littéraire, et on dirait aujourd’hui que c’est un cliché. Mais Louise Labé va inclure cette image dans un réseau beaucoup plus large, qui renouvelle toute la représentation du sentiment amoureux, vous allez voir.
On peut commencer par relever les antithèses, c'est-à-dire, le rapprochement d’éléments qui s’opposent : vivre et mourir, le feu et l’eau, la chaleur et le froid, le mou et le dur, les ennuis et la joie. Sa représentation du sentiment amoureux entre tout de suite dans une esthétique des contrastes.
Mais ça va plus loin, car il y a quelque chose de totalisant dans tout ça : vivre et mourir, c’est complémentaire, ça implique l’être tout entier. Les 4 éléments aussi évoquent un tout : l’eau, le feu, les sensations physiques se rapprochent de l’élément terrestre, les émotions moins palpables désignent l’élément aérien.
Cela peut nous paraître étrange aujourd’hui, mais toutes ces correspondances symboliques sont très vivantes à l’époque. Par exemple, « brûler » et « noyer » renvoient aux tourments des enfers. Ce qui fait souffrir le corps est aussi ce qui fait souffrir l’âme. Tout ne forme qu’un : le sentiment que Louise Labé décrit dépasse l’individu.
Les hyperboles, les figures d’exagération, sont très présentes dans le quatrain : « extrême … trop … trop … grands » ce sont des émotions excessives, qui dépassent l’individu. La musicalité et le rythme vont dans le même sens : les allitérations, retour de sons consonnes, représentent des sensations excessives, avec le R et les dentales T et D.
Enfin, pour respecter la métrique, il faut prononcer le -e muet de « molle » comme une syllabe entière : « et trop molle et trop dure ». Normalement, on devrait avoir une élision : on ne prononce pas le -e muet devant un mot qui commence par une voyelle. C’est ce qu’on appelle un hiatus : la rencontre de deux voyelles appartenant à des mots distincts.
Dans son Art Poétique Français, Ronsard condamnera les hiatus, mais ce n’est pas encore considéré comme une faute quand Louise Labé écrit son sonnet. Ici, cela crée un effet d’insistance sur la mollesse, qui donne justement à ressentir la mélancolie du sentiment amoureux. Or la mélancolie, c’est le sentiment dominant de l’élégie.
D’autres retours sonores ont le même type d’effet. L’assonance, retour de sons voyelles avec la nasale AN qui revient même deux fois coup sur coup.
Ou encore « extrême » qui trouve un écho dans « entremêlé » : c’est une musicalité paradoxalement peu harmonieuse, pour représenter les affres de l’amour. Du coup, malgré les jeux d’oppositions, il faut bien reconnaître que la plupart de ces sensations sont pénibles. Louise Labé représente surtout des tourments spirituels, et voilà pourquoi on est très proche du registre élégiaque.
Le positif et le négatif sont déséquilibrés. Les « ennuis » sont au pluriel, tandis que la « joie » est au singulier : elle semble seulement créer une discontinuité pire encore qu’un ennui constant. C’est très courant dans la représentation littéraire de la mélancolie, propre à l’élégie.
Dès le premier vers, on trouve les thèmes principaux de la mélancolie et de l’élégie. « Je vis, je meurs » est-ce que c’est aussi contradictoire que ça ? C’est un lieu commun de dire que ce qui vit est précisément aussi en train de mourir. Si l’on se projette suffisamment dans le temps, tout se termine par la mort. On commence donc par une référence à la vanité, très présente à l’époque, dans la peinture, dans le registre élégiaque.
Et c’est exactement ce qui se passe dans notre poème : l’amour abolit le temps, il rend tout le reste vain. Les verbes sont au présent d’énonciation : les actions se déroulent au moment même où l’on parle, donc simultanément. Seule exception, le gérondif, « en endurant » qui insiste justement sur la durée et la simultanéité de l’action.
Le rythme est donc particulièrement soutenu : les déterminants sont soigneusement évités devant la chaleur, la froidure, les ennuis, la joie : seule la vie a droit à son article défini. Le premier vers multiplie les mots monosyllabiques, c’est ce qu’on appelle un épitrochasme : une accumulation de mots très courts. Pourtant, quelques mots très longs apparaissent « entremêlés » ou plus loin « inconstamment » qui évoquent justement la variation et l’instabilité.
Regardez la construction de cette phrase : « La vie m’est et trop molle et trop dure » : les deux états opposés sont présentés dans un parallélisme, la répétition d’une même construction. Pour respecter cet équilibre, on a un « et » supplémentaire, c’est ce qu’on appelle une polysyndète : une conjonction de coordination inutile. Les deux états se succèdent et pourtant, ils sont simultanés.
La ponctuation est heurtée, avec de nombreuses virgules, une phrase longue, suivie d’une phrase courte. On peut certainement voir dans cette temporalité instable une influence baroque. Le sentiment amoureux provoque la confusion.
Toutes les marques du lyrisme sont là : une expression des sentiments à la première personne, de manière musicale. Et pourtant le propos reste très général, c’est peut-être ce qui explique l’article défini générique : c’est-à-dire, qui désigne un concept. Ce n’est pas la vie de la poétesse en particulier, mais le concept de vie elle-même qui est évoqué. D’ailleurs, malgré la première personne qu’on retrouve partout, Louise Labé ne dit pas « ma vie » justement.
J’ai beaucoup parlé de la représentation de l’amour, mais si on fait semblant de découvrir le sonnet naïvement, pour l’instant, on ne sait pas de quoi on parle. On voit seulement une accumulation de symptômes : un mal inquiétant, peut-être une fièvre, dont les causes sont énigmatiques. Cette métaphore est aussi un lieu commun depuis Ovide : l’amour ressemble à une maladie qui a des symptômes.
Impossible de rétablir un ordre logique : les phrases s’enchaînent sans relation. C’est ce qu’on appelle une parataxe : elles sont juxtaposées sans lien logique. Même les deux points sont confus : est-ce qu’ils impliquent une cause, une conséquence ? Cela participe à la confusion temporelle, mais, cela permet aussi de créer un effet de mystère qui intrigue le lecteur, la cause de ces symptômes sera retardée le plus possible.
Deuxième mouvement :
Une énigme faite pour nous intriguer
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure ;
Mon bien s'en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.
On retrouve toutes les marques du lyrisme : la première personne, et des sentiments très forts « larmoie … tourment ». On retrouve une certaine musicalité de la souffrance avec les allitérations en R. Mais en même temps, pas d’exclamations d’interrogations, d’interruptions : ce n’est pas vraiment une complainte, car les faits sont rapportés en toute simplicité, comme un témoignage, comme une observation des sentiments humains, peu importe la personne. Ce lyrisme se veut universel.
Tout au long du poème, les marques du féminin ou du masculin sont soigneusement évitées : elle n’est pas riante, larmoyante, sèche ou verdoyante... Les verbes sont conjugués directement. Qu’on soit homme ou femme, on peut lire ce sonnet sans modifications. Il est conçu pour être universel. Le fait que toutes les rimes soient féminines ici me laisse penser que c’est peut-être une volonté de Louise Labé d’inclure justement aussi les femmes dans l’expression poétique.
Exactement comme dans le premier quatrain, la poétesse représente le sentiment amoureux avec des antithèses. La conjonction de coordination « et » a presque toujours une valeur d’opposition. Les contrastes sont en plus renforcés par des parallélismes de construction « je ris et je larmoie … je sèche et je verdoie ». C’est la phrase la plus longue du poème, juste derrière la plus courte : les sentiments sont instables, confus.
Le registre élégiaque est bien présent « mon bien s’en va » : la mélancolie s’appuie sur un sentiment de perte. Le bien est sujet du verbe : la première personne n’a aucune prise sur ce bien. Cela dépasse la volonté de l’individu.
Et lorsqu’il est là, « à jamais il dure » : est-ce si positif que ça ? Ce verbe « durer » rime avec « endurer », mais aussi avec la « dureté » et la « froidure » du premier quatrain. C’est un effet de paronomase : ces mots se mélangent par proximité sonore comme s’ils désignaient une même chose. D’ailleurs, le verbe endurer revient deux fois, sous des formes différentes, c’est ce qu’on appelle un polyptote : le retour d’un même mot avec des variations morphologiques.
Le mot « grief » est un mot ancien : sous forme de nom commun, et il désigne la plainte. Il est passé dans le vocabulaire anglais, et resté en français dans le vocabulaire juridique. Mais ici il est utilisé comme un adjectif, et il signifie « grave » avec une nuance « terrible, accablant ». Il participe à l’hyperbole générale, et au registre élégiaque.
Dans ce deuxième quatrain, on voit soudain apparaître des compléments circonstanciels de temps, il y en a trois. « Tout à un coup » (ancienne tournure pour dire tout à coup) est mis en parallèle avec « Tout en un coup ». La transformation n’est pas anodine : ce qui était soudain devient simultané, c’est une accélération de la temporalité. Et pourtant, tout cela dure « à jamais » : la temporalité est paradoxale.
« Je sèche et je verdoie » représente les saisons qui passent. Comme une plante qui subit les saisons, l’être humain est aussi le jouet de forces qui le dépassent. C’est le symbole même du cycle et de la succession, et pourtant, elles sont associées à la simultanéité « Tout en un coup » : cette fois le paradoxe frôle l’absurde : l’instant et l’éternité sont mêlés.
C’est l’une des caractéristiques de la folie, qui croit tout et son contraire, de manière aveugle. Vous savez que Louise Labé a aussi écrit un dialogue allégorique sur la Folie et l’Amour. Ayant rendu Amour aveugle, Folie est condamnée par les dieux à accompagner Amour partout où elle ira.
L’aspect cyclique des saisons s’inscrit dans la structure même du poème, regardez : les deux verbes renvoient au tout début du sonnet : verdoyer du côté de la vie, sécher du côté de la mort. L’organisation même du sonnet annonce déjà l’idée d’éternel retour du dernier vers, et qui est en quelque sorte la solution de l’énigme.
La conjonction de coordination « et » est de plus en plus décalée dans les vers : on dirait qu’il retarde sans cesse les révélations. Quel est ce mystérieux mal qui touche à la folie ? Cela crée un effet de tension progressive vers le moment de basculement du sonnet, qui est bien construit comme une petite énigme.
Troisième mouvement :
Une force qui dépasse l’individu
Ainsi Amour inconstamment me mène ;
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
Le mot Amour apparaît seulement maintenant au vers 9, c’est la volta, le moment de basculement au milieu du sonnet. Le lien logique de cause révèle ce qui provoque les symptômes de la mystérieuse maladie. Ce moment est en plus mis en valeur par un hiatus : « Ainsi Amour » oblige à séparer les deux voyelles.
Sans être décrit précisément, on voit que Amour a une majuscule : c’est une allégorie, un concept personnifié. Comme dans le Débat de Folie et d’Amour, les deux viennent toujours ensemble.
Et en effet, si les quatrains étaient pleins de sensations liées au corps, les tercets décrivent plutôt les états contradictoires de l’esprit : douleur, peine, joie, heur, malheur. Avec des verbes psychologiques : penser et croire. Cela libère toute la puissance métaphorique du début du poème : les sensations étaient aussi des émotions.
Amour est sujet, la première personne est devenue objet « Amour inconstamment me mène … Il me remet ». C’est une force qui dépasse l’individu. On assiste même à une véritable chorégraphie, avec les verbes de mouvement « mener … se trouver hors … être au haut … remettre » qui forment une métaphore où les mouvements de l’âme sont comparés à une danse qui est dirigée par l’allégorie de l’Amour.
Les sonorités du mot « Amour », le M et le OU, sont répétés à travers les deux tercets, avec le son O que Louise Labé utilise souvent pour des émotions positives : la joie, le bonheur. Cette musicalité, liée aux émotions exprimées à la première personne, bien sûr, c’est le lyrisme.
Mais la poétesse ne parle pas du tout de l’être aimé, elle n’est en interaction qu’avec l’allégorie de l’Amour : c’est un lyrisme qui n’est pas porté par une personnalité particulière comme on peut avoir chez Pétrarque qui chante son amour pour Laure.
D’une certaine manière, cela se rapproche des réflexions d’Aristote dans La Poétique : pour lui, le sentiment tragique provient notamment du fait qu’un personnage auquel chacun peut s’identifier, tombe malgré lui d’une haute position, dans le malheur. On peut aussi penser à Phèdre de Racine, l’héroïne tragique qui est manipulée par Vénus. À chaque fois, l’allégorie de l’Amour représente une force qui dépasse l’individu.
Voilà pourquoi la première personne n’est plus du tout certaine de ses jugements : même les verbes « avoir » et « être » sont modalisés, c’est à dire, remis en cause dans leur vérité : elle « pense avoir, « elle croit être ». « Sans y penser » : ce sont des états involontaires, qui la dépassent.
Les mouvements imprévisibles « inconstamment » sont traduits par une temporalité instable. Les liens d’addition ont un sens temporel « Et », « Puis » mais ils sont sans cesse contredits par les évènements, car ils précèdent des subordonnées circonstancielles de temps qui ont surtout un sens d’opposition « Alors que je pense avoir plus de douleur … Alors que je crois ma joie être certaine », en réalité, c’est tout l’inverse qui se produit.
Suivant la tradition, Louise Labé termine son sonnet par une pointe, qui est un véritable retournement de situation. Le mot « heur » qui signifie « bonheur » est contredit dans la dernière rime suivie, et le poème se termine sur le mot « malheur ». C’est une conclusion pessimiste qui ne laisse pas d’échappatoire, et qui rapproche ce sonnet du registre élégiaque.
Mais la surprise du dernier vers, c’est aussi et surtout l’effet de boucle : la poétesse nous invite à revenir au début : « mon premier malheur » renvoie implicitement à « je meurs » et d’ailleurs, rime avec lui. Le poème se referme sur lui-même, comme le serpent de la mythologie, Ouroboros, qui symbolise le perpétuel recommencement.
Cet effet de boucle était déjà annoncé par la structure même du sonnet. Déjà par les rimes : chaque strophe se commence et se termine par le même son, sauf le dernier tercet qui forme une rime interne avec le premier vers. Cela crée un premier effet de boucle. Ce n’est pas anodin, car la disposition des rimes ABBA ABBA CDC CDD n’est pas une disposition habituelle du sonnet.
Ensuite, nous avons vu que les effets de parallélisme encadrent les deux quatrains. De même, le personnage allégorique de l’Amour qui est repris au dernier vers par le pronom personnel « il » encadre les deux tercets. La construction de ce sonnet, avec des cycles qui se contiennent les uns dans les autres, annonce déjà la chute, qui nous invite à reprendre au début.
Conclusion
Dans ce sonnet, Louise Labé nous donne une représentation du sentiment amoureux, avec des images fortes et contrastées. La force de sa poésie, c’est de nous faire reconnaître à la fois une sensibilité personnelle, féminine, et profondément humaine, universelle.
Malgré les jeux d’opposition, la souffrance domine dans ce sonnet, et le rapproche du registre élégiaque : c’est un questionnement douloureux sur la force du sentiment amoureux, qui dépasse l’individu, le dépossède de lui-même. Sans entrer dans la tragédie, on touche au sentiment tragique.
L’inconstance des émotions se traduit tout au long du sonnet par une instabilité toute baroque : les événements sont à la fois simultanés et successifs, la temporalité est paradoxale. La construction du sonnet comme une énigme et comme un cycle, invite le lecteur à le relire indéfiniment. Et c’est peut-être pour ça que ce poème accompagne chaque nouvelle génération dans sa découverte du sentiment amoureux.