Couverture pour La Princesse de ClĂšves

Mme de La Fayette,
La Princesse de ClĂšves
Résumé-analyse du Tome 1



Toute l’Ɠuvre de Mme de La Fayette a d’abord Ă©tĂ© publiĂ©e de maniĂšre anonyme, pourquoi ? Au XVIIe siĂšcle, quand on est une femme de la noblesse, on ne signe que des MĂ©moires ou des Correspondances. Ou Ă  la rigueur, des genres considĂ©rĂ©s comme nobles : le grand roman pastoral et prĂ©cieux.

Mais, La Princesse de ClĂšves est probablement le rĂ©sultat d’une collaboration : cela se fait beaucoup Ă  l’époque. On sait que Mme de La Fayette a travaillĂ© avec La Rochefoucauld, Segrais ou Huet. D’ailleurs, trouver l’auteur d’un ouvrage est une petite devinette de salon. Mme de La Fayette se dĂ©fend mĂȘme avec malice :
Un petit livre qui a couru il y a quinze ans et oĂč il plut au public de me donner part, a fait qu’on m’en donne encore Ă  la Princesse de ClĂšves. Mais je vous assure que je n’y en ai aucune [...] Je suis flattĂ©e que l’on me soupçonne et je crois que j’avouerais le livre si j’étais assurĂ©e que l’auteur ne vĂźnt jamais me le redemander. Je le trouve trĂšs agrĂ©able, bien Ă©crit sans ĂȘtre extrĂȘmement chĂątiĂ©, plein de choses d’une dĂ©licatesse admirable.
Mme de La Fayette, Lettre au chevalier de Lescheraine, 13 avril 1678.


Le roman est divisĂ© en 4 tomes : c’est une dĂ©cision de l’éditeur de l’époque, pas de l’auteur. Mais je vais me baser sur cette division pour mes 4 vidĂ©os, que vous retrouverez facilement sur mon site : www.mediaclasse.fr ! Mais pour mieux vous guider, je vais ajouter des sous-parties, qu’on ne trouve pas dans le livre.

1. La cour des Valois



Dans les premiĂšres pages du roman, Madame de La Fayette prĂ©sente la cour itinĂ©rante d’Henri II en France en 1558. Mais elle-mĂȘme Ă©crit en 1678, plus d’un siĂšcle plus tard ! Elle s’inspire de ce qu’elle connaĂźt : la cour de Louis XIV, aprĂšs les Ă©vĂ©nements de la fronde. Vous verrez que dans ce roman, les lieux ont une dimension symbolique. Pour ceux que ça intĂ©resse, je dĂ©veloppe ce cadre historique, dans mes vidĂ©os d’Histoire LittĂ©raire sur le XVIIe siĂšcle.

La magnificence et la galanterie n'ont jamais paru en France avec tant d'Ă©clat que dans les derniĂšres annĂ©es du rĂšgne de Henri second. [...] Jamais cour n’a eu tant de belles personnes et d’hommes admirablement bien faits.

Les premiĂšres pages sont difficiles Ă  lire, car Madame de La Fayette Ă©numĂšre beaucoup de personnages historiques, mais vous allez voir, quand on prend un peu de recul on trouve alors une savoureuse satire de la cour, oĂč les enjeux de pouvoir sont mĂȘlĂ©s Ă  des histoires d’amour et de haine : dĂ©jĂ  les passions se rĂ©vĂšlent dangereuses voire destructrices.

C'Ă©taient tous les jours des parties de chasse et de paume, des ballets, [...] ou de semblables divertissements [...] L'ambition et la galanterie Ă©taient l'Ăąme de cette cour, et occupaient Ă©galement les hommes et les femmes. [...] L'amour Ă©tait toujours mĂȘlĂ© aux affaires, et les affaires Ă  l'amour. [...] Une sorte d'agitation sans dĂ©sordre [...] la rendait trĂšs agrĂ©able, mais aussi trĂšs dangereuse pour une jeune personne.

Ces exemples de divertissements proviennent des PensĂ©es de Pascal qui ont beaucoup influencĂ© Mme de La Fayette. Pascal (comme Racine) a Ă©tĂ© Ă©levĂ© chez les JansĂ©nistes Ă  Port-Royal qui soutiennent la thĂ©ologie augustinienne de CornĂ©lius Jansen. Pour eux, seule la grĂące divine sauve certains individus exceptionnels des passions, du mensonge, du pĂ©chĂ©. Je dĂ©veloppe tout ça dans une vidĂ©o sur l’influence du JansĂ©nisme dans la littĂ©rature du XVIIe siĂšcle.

Dans Les PensĂ©es de Pascal, on retrouve cette conception du monde trĂšs sombre accompagnĂ©e d’une morale sĂ©vĂšre. Voici une pensĂ©e qui pourrait bien annoncer le dĂ©nouement du roman :
Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. [...] On ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu’on ne peut demeurer chez soi avec plaisir.
Pascal, Les Pensées, 1670.


2. La famille royale



Le roi, c’est Henri II, fils de François Ier. Il est devenu roi parce que son frĂšre aĂźnĂ©, l’ancien dauphin (c’est comme ça qu’on appelle le prince appelĂ© Ă  rĂ©gner) est mort Ă  Tournon. On comprend par la suite qu’il a certainement Ă©tĂ© empoisonnĂ©...
Henri II est amoureux de Diane de Poitiers, la duchesse de Valentinois. La Fayette se moque de cette favorite, qui utilise ses charmes pour manipuler le roi.
Elle paraissait elle-mĂȘme avec tous les ajustements que pouvait avoir Mlle de la Marck, sa petite-fille, qui Ă©tait alors Ă  marier.

La reine, Catherine de MĂ©dicis, est obligĂ©e de tolĂ©rer la duchesse de Valentinois, mais en rĂ©alitĂ©, elle la dĂ©teste. En nous montrant les enjeux de pouvoir, Mme de La Fayette nous aide Ă  voir au-delĂ  des apparences et des mensonges. Avec Henri II, ils ont neuf enfants. Le fils aĂźnĂ©, le dauphin, est mariĂ© Ă  Marie Stuart, reine d’Écosse, qu’on appelle donc la reine dauphine. Vous verrez qu’elle aura un rĂŽle important dans le roman.

3. Les familles rivales



On trouve aussi en germe les rivalitĂ©s des guerres de religion imminentes. CĂŽtĂ© protestant, le prince de CondĂ© et son frĂšre, le Roi de Navarre (qui sera le pĂšre d’Henri IV). CĂŽtĂ© catholique, le chevalier de Guise, ses frĂšres (le cardinal de Lorraine et le duc d’Aumale) et sa sƓur, Marie de Guise, qui est la mĂšre de Marie Stuart. HĂ© oui, la dauphine est donc la niĂšce des de Guise !

D’ailleurs, petite parenthĂšse historique : pour les Catholiques, c’était elle l’hĂ©ritiĂšre du trĂŽne d’Angleterre, ce qui explique pourquoi elle a Ă©tĂ© exĂ©cutĂ©e par Élisabeth IĂšre en 1587.

Mais ce cĂŽtĂ© catholique est lui-mĂȘme divisĂ©, car, au clan de Guise s’oppose la famille de Montmorency : le duc de Montmorency est connĂ©table, c’est Ă  dire, chef des armĂ©es. Pour s’allier avec la duchesse de Valentinois, il souhaite marier son fils, le comte d’Anville, Ă  Mademoiselle de Marck. Mais il y a une complication : d’Anville est dĂ©sespĂ©rĂ©ment amoureux de la reine dauphine...

Dans ces conflits, le seul qui ne prend pas position, c’est le marĂ©chal de Saint-AndrĂ©, car il est favorisĂ© par le roi.

4. Les personnages principaux



On se tourne maintenant vers les personnages principaux du roman, moins conformes à la réalité historique. Le duc de Nevers a plusieurs enfants, et notamment le Prince de ClÚves :
Il Ă©tait brave et magnifique, et il avait une prudence qui ne se trouve guĂšre avec la jeunesse.

Le duc de Nemours est un autre gentilhomme trÚs apprécié :
Ce prince Ă©tait un chef-d'Ɠuvre de la nature [...] Ce qui le mettait au-dessus des autres Ă©tait une valeur incomparable, et un agrĂ©ment dans son esprit, dans son visage et dans ses actions, que l'on n'a jamais vu qu'Ă  lui seul.

Ce sont des personnages d’exception, inimitables, qui annoncent des actions extraordinaires. En mĂȘme temps, ces portraits idĂ©alisĂ©s illustrent et schĂ©matisent les valeurs que l’on discute dans les salons au XVIIe siĂšcle : quelles sont les qualitĂ©s de l’honnĂȘte homme ?

Mme de La Fayette frĂ©quentait les Salons, notamment celui de Mme de Rambouillet, oĂč on lisait des passages de romans prĂ©cieux. Ainsi, les discussions mondaines et la littĂ©rature prĂ©cieuse se nourrissent rĂ©ciproquement. Bien sĂ»r on est loin ici des romans fleuves d’UrfĂ© ou de ScudĂ©ry, mais on retrouve cette influence de la prĂ©ciositĂ©.

Bref, le duc de Nemours a une telle renommĂ©e que la jeune et belle Elizabeth IĂšre d’Angleterre veut l’épouser, mais il ne semble pas pressĂ© de partir en Angleterre.

Enfin, M. de Nemours est un grand ami du vidame de Chartres, dont la soeur, Mme de Chartres, a une fille, Mlle de Chartres : c’est elle qui deviendra la princesse de ClĂšves ! On peut dire que le roman commence avec son arrivĂ©e Ă  la cour, au mois de novembre, c'est-Ă -dire, en plein hiver.

5. Arrivée de Mlle de Chartres à la cour



Il parut alors une beautĂ© Ă  la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l'on doit croire que c'Ă©tait une beautĂ© parfaite, puisqu'elle donna de l'admiration dans un lieu oĂč l'on Ă©tait si accoutumĂ© Ă  voir de belles personnes.

Mme de ClĂšves est aussi un personnage d’exception. Son portrait est idĂ©alisĂ©, esquissĂ© en quelques traits simples, comme dans la tradition des chansons de geste. Notre roman est en effet nourri de traditions littĂ©raires variĂ©es.
La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l'on n'a jamais vu qu'à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de grùce et de charmes.

La simplicitĂ© de ce portrait renforce par contraste la psychologie du personnage, et ce qui fait le cƓur du rĂ©cit : son Ă©volution morale. Ainsi, Mme de La Fayette dĂ©crit longuement l’éducation que Mme de Chartres a donnĂ© Ă  sa fille :
Madame de Chartres [...] faisait souvent Ă  sa fille des peintures de l'amour ; elle lui montrait ce qu'il a d'agrĂ©able pour la persuader plus aisĂ©ment sur ce qu'elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincĂ©ritĂ© des hommes, [...] et d'un autre cĂŽtĂ©, quelle tranquillitĂ© suivait la vie d'une honnĂȘte femme.

La premiĂšre scĂšne importante, c’est la rencontre du prince de ClĂšves et Mlle de Chartres, chez un bijoutier italien, pour « assortir des pierreries » dit-on. Bien souvent, les attitudes et les jeux de regard des personnages en disent plus que les mots :
Il fut tellement surpris de sa beautĂ©, qu'il ne put cacher sa surprise ; et mademoiselle de Chartres ne put s'empĂȘcher de rougir. [...] Il s'aperçut que ses regards l'embarrassaient, [...] et en effet elle sortit assez promptement. [...] Il conçut pour elle dĂšs ce moment une passion et une estime extraordinaires.

6. Le mariage de Mlle de Chartres



Mais la duchesse de Valentinois a pris en haine le vidame de Chartres qui a un jour refusĂ© une alliance avec une de ses filles. Elle va tout faire pour compliquer le mariage de Mlle de Chartres. Ce rĂŽle donnĂ© Ă  Mme de Valentinois fait rĂ©fĂ©rence Ă  des genres variĂ©s : c’est la mĂ©chante marraine des contes de fĂ©e, ou encore, c’est la dĂ©esse impitoyable qui poursuit le HĂ©ros tragique.

D’abord, le chevalier de Guise tombe amoureux d’elle, mais ses frĂšres, et surtout le cardinal de Lorraine, s’opposent fermement Ă  ce mariage. Ensuite, Mme de Chartres pense marier sa fille au prince de Montpensier, mais Mme de Valentinois fait pression sur le roi pour l’en empĂȘcher. Vous savez certainement que Mme de La Fayette a dĂ©jĂ  Ă©crit l’histoire de La Princesse de Montpensier en 1662.

Enfin, le duc de Nevers refuse que son fils Ă©pouse Mlle de Chartres : mais il meurt, et le prince lui demande alors sa main :
Madame de Chartres reçut la proposition qu'on lui faisait, et elle ne craignit point de donner à sa fille un mari qu'elle ne pût aimer, en lui donnant le prince de ClÚves.

Vous allez voir que de temps en temps, la romanciĂšre intervient avec luciditĂ© dans la narration. Avec ce subjonctif, elle s’adresse directement Ă  son lecteur en faisant une prolepse : elle annonce la suite du rĂ©cit. La situation d’origine porte dĂ©jĂ  en germe le dĂ©nouement final. En effet le prince de ClĂšves s’aperçoit bien vite que sa femme ne partage pas son amour.

M. DE CLÈVES
— Est-il possible [...] que je puisse n'ĂȘtre pas heureux en vous Ă©pousant ? Cependant il est vrai que je ne le suis pas. [...] Je ne touche ni votre inclination ni votre cƓur, et ma prĂ©sence ne vous donne ni de plaisir ni de trouble.

7. La rencontre avec M. de Nemours



C’est maintenant que l’intrigue se noue : au mois de fĂ©vrier, c’est la fin de l’hiver ! Une grande fĂȘte est organisĂ©e au Louvre pour cĂ©lĂ©brer le mariage du duc de Lorraine avec Claude de France. C’est Ă  cette occasion que la princesse de ClĂšves et le duc de Nemours se rencontrent.
Elle se tourna, et vit un homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir ĂȘtre que monsieur de Nemours [...] Ce prince Ă©tait fait d'une sorte qu'il Ă©tait difficile de n'ĂȘtre pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu [...] mais il Ă©tait difficile aussi de voir madame de ClĂšves pour la premiĂšre fois, sans avoir un grand Ă©tonnement. Monsieur de Nemours [...] ne put s'empĂȘcher de donner des marques de son admiration.

La rencontre avec M. de Nemours est trĂšs rapprochĂ©e de la premiĂšre rencontre avec le prince de ClĂšves : ce premier effet de miroir va nouer l’intrigue autour d’un triangle amoureux qui ne peut pas bien se terminer. DĂšs le dĂ©but, Mme de La fayette prĂ©pare un dĂ©nouement fatal : c’est un trait que le roman emprunte Ă  la tragĂ©die classique.

Mlle de Chartres et M de Nemours dansent ensemble, puis la dauphine vient les voir : est-ce qu’ils se sont reconnus ? Ils n’ont peut-ĂȘtre pas besoin d’ĂȘtre prĂ©sentĂ©s ! Mais la princesse de ClĂšves se montre toute embarrassĂ©e :

LA PRINCESSE DE CLÈVES
— Je vous assure, Madame, [...] que je ne devine pas si bien que vous pensez.

Mme LA DAUPHINE
— Vous devinez fort bien [...] et il y a mĂȘme quelque chose d'obligeant pour monsieur de Nemours, Ă  ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l'avoir jamais vu.

C’est la premiĂšre fois qu’on voit la princesse de ClĂšves troublĂ©e, voire mĂȘme dissimulatrice. Mais comme souvent, elle est trahie, non par les mots, mais par ses attitudes. Jusqu’ici, elle Ă©tait sereine et ne comprenait mĂȘme pas les sentiments de son mari. : comme AgnĂšs dans L’École des Femmes, ces premiĂšres Ă©motions marquent le dĂ©but de son Ă©ducation sentimentale.

Quelqu’un d’autre s’aperçoit du trouble de Mme de Clùves :
Le chevalier de Guise, [...] l'adorait toujours, [...] et ce qui se venait de passer lui avait donnĂ© une douleur sensible. Il prit comme un prĂ©sage, que la fortune destinait monsieur de Nemours Ă  ĂȘtre amoureux de madame de ClĂšves.

M. de Guise subit lui aussi sa propre tragĂ©die, parallĂšlement Ă  celle des autres personnages, mais cela reste une histoire en arriĂšre plan, qui renforce les traits de l’intrigue principale. On est typiquement dans un contrepoint baroque.

Le soir mĂȘme, la princesse de ClĂšves raconte le bal Ă  sa mĂšre :
Elle loua monsieur de Nemours avec un certain air qui donna Ă  madame de Chartres la mĂȘme pensĂ©e qu'avait eue le chevalier de Guise.

Mme de Chartres raconte alors Ă  sa fille la premiĂšre histoire enchĂąssĂ©e : l’histoire de Diane de Poitiers. Ces histoires ont un rĂŽle, elles sont comme des miroirs, qui Ă©clairent l’intrigue principale. Ici, on voit que la dĂ©fiance Ă  l’égard des passions et de la jalousie fait partie de l’éducation mĂȘme que Mme de Chartres donne Ă  sa fille, et va donc prĂ©parer ses choix Ă  venir.

8. L’histoire de Diane de Poitiers



Madame de Valentinois devint maĂźtresse du feu roi peu avant qu’il soit fait prisonnier, mais Ă  son retour d’Espagne, il tomba amoureux de la duchesse d’Étampes. Jamais il n'y eut une si grande haine entre deux femmes. À la mort du fils aĂźnĂ© du roi, qui fut certainement empoisonnĂ© Ă  Tournon, Madame de Valentinois se fit aimer du nouveau dauphin ! La duchesse d’Étampes s’allia alors avec son jeune frĂšre, le duc d’OrlĂ©ans, qui Ă©tait en plus soutenu par l’Empereur. Le dauphin quant Ă  lui s’allia avec le connĂ©table et parvint Ă  convaincre le roi que l’Empereur Ă©tait dangereux : les deux armĂ©es s’affrontĂšrent. Mme d’Étampes s’était rendue coupable de trahison : quand le duc d’OrlĂ©ans et son pĂšre moururent, la duchesse de Valentinois devint toute puissante et la chassa. Depuis, le roi a eu bien des sujets de se plaindre d’elle, mais la jalousie, qui est aigre et violente en tous les autres, est douce et modĂ©rĂ©e en lui par l'extrĂȘme respect qu'il a pour sa maĂźtresse.

MME DE CHARTRES
— Si vous jugez sur les apparences en ce lieu ci, [...] vous serez souvent trompĂ©e : ce qui paraĂźt n'est presque jamais la vĂ©ritĂ©.

9. Le bal du maréchal de Saint-André



Le marĂ©chal de Saint-AndrĂ© organise un bal, mais Nemours ne pourra pas y ĂȘtre, Ă  cause d’un voyage en Flandre. Un soir que Mme de ClĂšves discute avec la dauphine, arrive le prince de CondĂ©, qui rapporte une discussion qui se dĂ©roule chez le roi avec M. de Nemours :

LE PRINCE DE CONDÉ
— L'on dispute contre monsieur de Nemours, Madame. [...] Je crois qu'il a quelque maĂźtresse qui lui donne de l'inquiĂ©tude quand elle est au bal, tant il trouve que c'est une chose fĂącheuse pour un amant, [...] de savoir qu'elle y est et de n'y ĂȘtre pas.

Quand la princesse de ClĂšves entend cela, elle dĂ©cide intĂ©rieurement qu’elle n’ira pas Ă  ce bal. Elle en parle Ă  sa mĂšre, prĂ©textant qu’elle trouve le marĂ©chal de Saint-AndrĂ© trop pressant envers elle. Mme de Chartres trouve l’excuse trop lĂ©gĂšre, et lui conseille de faire semblant d’ĂȘtre malade.

Avez-vous remarquĂ© la complexitĂ© de la situation d’énonciation ? Dans un 1er temps, le prince de CondĂ© rapporte Ă  la dauphine une opinion de Nemours qui tombe dans l’oreille de Mme de ClĂšves. Dans un 2e temps, la princesse donne des prĂ©textes Ă  sa mĂšre, qui lui conseille de donner de fausses excuses Ă  la cour.

Toute cette mise en scĂšne nous rĂ©vĂšle les intentions cachĂ©es de l’hĂ©roĂŻne, qui trahissent l’évolution de ses sentiments. C’est aussi cette complexitĂ© des situations qui les rend aussi unique dans la littĂ©rature.

Dans la Princesse de ClĂšves, les discours ont des sens multiples : selon le contexte et les destinataires, un mĂȘme message peut ĂȘtre reçu de maniĂšres diffĂ©rentes. On reconnaĂźt aussi le thĂšme baroque du theatrum mundi : le monde est un thĂ©Ăątre. À la cour surtout, chacun joue un rĂŽle et se cache derriĂšre un masque.

Le lendemain du bal oĂč Mme de ClĂšves n’est pas allĂ©e, Nemours de retour de voyage en Flandre se rend chez la reine, oĂč se trouvent la dauphine, Mme de Chartres et Mme de ClĂšves.

Mme LA DAUPHINE
— Vous voilĂ  si belle, que je ne saurais croire que vous ayez Ă©tĂ© malade. Je pense que [...] l'avis de monsieur de Nemours sur le bal [...] vous a empĂȘchĂ©e d'y venir.

Heureusement, Mme de Chartres vient au secours de sa fille :
Mme DE CHARTRES
— Je vous assure, [...] que ma fille [...] Ă©tait vĂ©ritablement malade ; mais [...] si je ne l'en eusse empĂȘchĂ©e, elle n'eĂ»t pas laissĂ© de vous suivre [...] pour avoir le plaisir de voir tout ce qu'il y a eu d'extraordinaire au divertissement d'hier au soir.

Madame de La Fayette prend alors un point de vue omniscient pour révéler ce que pense chacun des personnages :
Madame la dauphine crut ce que disait madame de Chartres, monsieur de Nemours fut bien fùché d'y trouver de l'apparence ; néanmoins la rougeur de madame de ClÚves lui fit soupçonner que ce que madame la dauphine avait dit n'était pas entiÚrement éloigné de la vérité.

Comme Mme de Chartres a deviné les sentiments de sa fille pour M. de Nemours, elle va tenter de la détacher de lui :

Mme DE CHARTRES
— [On le soupçonne] d'avoir une grande passion pour la reine dauphine [...] il y va trĂšs souvent, et je [...] suis d'avis [...] que vous alliez un peu moins chez [elle], afin de ne vous pas trouver mĂȘlĂ©e dans des aventures de galanterie.

Sous les effets de la jalousie, la princesse de ClĂšves rĂ©alise alors qu’elle Ă©prouve pour Nemours les sentiments qu’elle devrait avoir pour son mari ! Elle dĂ©cide alors de l’éviter tant que possible. Mais un jour, elle ne peut s’empĂȘcher de demander Ă  la dauphine oĂč en est sa relation avec Nemours :

LA DAUPHINE
— Vous ĂȘtes injuste, [...] vous savez que je n'ai rien de cachĂ© pour vous. Il est vrai que monsieur de Nemours, [...] a eu, je crois, intention de me laisser entendre qu'il ne me haĂŻssait pas ; mais depuis qu'il est revenu [de Flandre], il ne m'a pas mĂȘme paru qu'il [s’en] souvĂźnt !

La princesse de ClĂšves, malgrĂ© elle, se sent soulagĂ©e d’apprendre que Nemours lui est certainement fidĂšle. Mais survient alors un nouveau drame : Mme de Chartres tombe gravement malade.

10. La maladie de Mme de Chartres



Mme de ClĂšves et son mari sont au chevet de Mme de Chartres. M. de Nemours leur rend souvent visite, et en profite pour voir la princesse de ClĂšves :
Il lui faisait voir combien il prenait d'intĂ©rĂȘt Ă  son affliction, et il lui en parlait avec un air si doux [...] qu'il la persuadait aisĂ©ment que ce n'Ă©tait pas de madame la dauphine dont il Ă©tait amoureux.

Mais quand elles se retrouvent seules, Mme de Chartres sur son lit de mort met sa fille en garde contre son inclination pour le duc de Nemours, et lui conseille de quitter la cour :

Mme DE CHARTRES
— Ma fille, [...] le pĂ©ril oĂč je vous laisse, [...] augmente le dĂ©plaisir que j'ai de vous quitter. Vous avez de l'inclination pour monsieur de Nemours ; je ne vous demande point de me l'avouer [...] Ayez de la force et du courage, [...] retirez-vous de la cour, [...] ne craignez point de prendre des partis [...] trop difficiles, [...] ils seront plus doux dans les suites que les malheurs d'une galanterie.

Ces recommandations ont un poids particulier, car ce sont les derniÚres volontés de Mme de Chartres, qui meurt deux jours plus tard :
Madame de ClĂšves Ă©tait dans une affliction extrĂȘme ; son mari ne la quittait point, et sitĂŽt que madame de Chartres fut expirĂ©e, il l'emmena Ă  la campagne, pour l'Ă©loigner d'un lieu qui ne faisait qu'aigrir sa douleur.

La mort de Mme de Chartres est un tournant pour l’évolution de Mme de ClĂšves qui doit dĂ©sormais forger ses propres principes de conduite face au tourment des passions.

Je traite les 4 parties de La Princesse de ClĂšves dans 4 vidĂ©os diffĂ©rentes sur mon site : www.mediaclasse.fr . Vous pouvez participer pour le prix d’un cafĂ© ou d’un thĂ© : c’est une somme symbolique, mais c’est le meilleur moyen de garder mon travail accessible et indĂ©pendant. GrĂące aux participations, pas de publicitĂ©, pas d’investisseurs pour imposer une ligne Ă©ditoriale : le site reste Ă  vous et Ă  vous seuls.

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