Saragosse, une chambre Ă coucher, la nuit. Une lampe sur la table. Doña Josefa Duarte, vieille, en noir, avec le corps de sa jupe cousu de jais, Ă la mode dâIsabelle la Catholique. Elle ferme les rideaux cramoisis de la fenĂȘtre et met en place quelques fauteuils [...]
DOĂA JOSEFA DUARTE
Serait-ce déjà lui ?
Un nouveau coup.
Câest bien Ă lâescalier
Dérobé.
Un quatriĂšme coup.
Vite, ouvrons.
Doña Josefa ouvre la petite porte masquée. Entre Don Carlos, le manteau sur le nez et le chapeau sur les yeux.
Bonjour, beau cavalier.
RĂ©pondant au cor dâHernani [...] Nous avons eu lâhonneur dâĂȘtre enrĂŽlĂ©s dans ces jeunes bandes qui combattaient pour lâidĂ©al, la poĂ©sie et la libertĂ© de lâart.
DOĂA JOSEFA DUARTE
Quoi, seigneur Hernani, ce nâest pas vous ! â Main forte !
Au feu !
DON CARLOS, lui saisissant le bras
Deux mots de plus, duĂšgne, vous ĂȘtes morte !
DOĂA JOSEFA DUARTE
Moi vous cacher ! [...] Jamais !
DON CARLOS
Daignez, madame,
Choisir de cette bourse ou bien de cette lame.
Trois ans avant Hernani, Victor Hugo Ă©crit un texte qui sera considĂ©rĂ© comme le manifeste du drame romantique, la prĂ©face de Cromwell, dans lequel il explique lâimportance du mĂ©lange des registres :
Ainsi voilĂ un principe Ă©tranger Ă lâantiquitĂ©, un type nouveau introduit dans la poĂ©sie ; et, comme une condition de plus dans lâĂȘtre modifie lâĂȘtre tout entier, voilĂ une forme nouvelle qui se dĂ©veloppe dans lâart. Ce type, câest le grotesque. Cette forme, câest la comĂ©die.
DOĂA SOL
Hernani !
HERNANI
Doña Sol ! Ah ! câest vous que je vois
Enfin ! Et cette voix qui parle est votre voix !
â Doña Sol, le vieux duc, votre futur Ă©poux,
Votre oncle, est donc absent ?
DOĂA SOL
Oui, cette heure est Ă nous.
HERNANI
Cette heure ! et voilà tout [...] [Je] dérobe au vieillard
Une heure de vos chants et de votre regard ;
Et je suis bien heureux, et sans doute on mâenvie
De lui voler une heure, et lui me prend ma vie !
HERNANI
â Qui fait ce mariage ? On vous force jâespĂšre !
DOĂA SOL
Le roi, dit-on, le veut.
HERNANI
Le roi ! Le roi ! Mon pĂšre
Est mort sur lâĂ©chafaud, condamnĂ© par le sien, [...]
Leur haine vit. Pour eux la paix nâest point venue,
Car les fils sont debout, et le duel continue. [...]
Ăcoutez. Lâhomme auquel, jeune, on vous destina,
Ruy de Silva, votre oncle, [...] comte et grand de Castille,
à défaut de jeunesse, il peut, Î jeune fille,
Vous apporter tant dâor, de bijoux, de joyaux
Que votre front reluise entre des fronts royaux.
[...] Moi, je suis pauvre et nâeus,
Tout enfant, que les bois oĂč je fuyais pieds nus.
HERNANI
Peut-ĂȘtre ai-je reçu des droits, dans lâombre ensevelis,
Quâun drap dâĂ©chafaud noir cache encor sous ses plis. [...]
En attendant, je nâai reçu du ciel jaloux
Que lâair, le jour et lâeau, la dot quâil donne Ă tous.
Or du duc ou de moi souffrez quâon vous dĂ©livre.
Il faut choisir des deux, lâĂ©pouser, ou me suivre
DOĂA SOL
Je vous suivrai.
HERNANI
Parmi mes rudes compagnons ?
Proscrits dont le bourreau sait dâavance les noms,
[...] Réfléchissez encor.
Ătre errante avec moi, proscrite, et, sâil le faut,
Me suivre oĂč je suivrai mon pĂšre, â Ă lâĂ©chafaud.
DOĂA SOL
Allez oĂč vous voudrez, jâirai. Restez, partez,
Je suis Ă vous. Pourquoi fais-je ainsi ? Je lâignore.
Jâai besoin de vous voir et de vous voir encore
Et de vous voir toujours. [...]
Ă minuit. Demain. Amenez votre escorte.
Sous ma fenĂȘtre. Allez, je serai brave et forte.
Vous frapperez trois coups. [...]
DON CARLOS, ouvrant avec fracas la porte de lâarmoire.
Quand aurez-vous fini de conter votre histoire ?
Croyez-vous donc quâon soit Ă lâaise en cette armoire ?
HERNANI, Ă Don Carlos,
Que faisiez-vous lĂ ?
DON CARLOS
Moi ? Mais, Ă ce quâil paraĂźt.
Je ne chevauchais pas Ă travers la forĂȘt.
[...]
Parlons franc. Vous aimez madame et ses yeux noirs,
Vous y venez mirer les vĂŽtres tous les soirs,
Câest fort bien. Jâaime aussi madame, et veux connaĂźtre
Qui jâai vu tant de fois entrer par la fenĂȘtre,
Tandis que je restais Ă la porte.
HERNANI
En honneur,
Je vous ferai sortir par oĂč jâentre, seigneur.
DON RUY GOMEZ
Des hommes chez ma niĂšce Ă cette heure de la nuit !
Venez tous ! Cela vaut la lumiĂšre et le bruit.
à Doña Sol.
Par saint Jean dâAvila, je crois que, sur mon Ăąme,
Nous sommes trois chez vous ! Câest deux de trop, madame.
Aux deux jeunes gens.
QuâĂȘtes-vous venus faire ici ? Câest donc Ă dire
Que je ne suis quâun vieux dont les jeunes vont rire ?
La libertĂ© dans lâart, la libertĂ© dans la sociĂ©tĂ©, voilĂ [...] la double banniĂšre qui rallie [...] toute la jeunesse si forte et si patiente dâaujourdâhui, [...] et Ă sa tĂȘte lâĂ©lite de la gĂ©nĂ©ration qui nous a prĂ©cĂ©dĂ©s.
DON CARLOS, faisant un pas.
Duc, ce nâest pas dâabord
De cela quâil sâagit. Il sâagit de la mort
De Maximilien, empereur dâAllemagne.
Il jette son manteau et découvre son visage caché par son chapeau.
DON CARLOS, gravement.
Seigneur duc, es-tu donc insensé ?
Mon aĂŻeul lâempereur est mort. Je ne le sai
Que de ce soir. Je viens tout en hĂąte, et moi-mĂȘme,
Dire la chose, Ă toi, fĂ©al sujet que jâaime,
Te demander conseil, incognito, la nuit,
Et lâaffaire est bien simple, et voilĂ bien du bruit !
DON RUY GOMEZ
Qui lui succĂšde ?
DON CARLOS
Un duc de Saxe est sur les rangs.
François premier, de France, est un des concurrents.
DON RUY GOMEZ
OĂč vont se rassembler les Ă©lecteurs dâempire ?
DON CARLOS
Ils ont choisi, je crois, Aix-la-Chapelle, ou Spire,
Ou Francfort.
DON RUY GOMEZ
Notre roi, dont Dieu garde les jours,
Nâa-t-il pensĂ© jamais Ă lâempire ?
DON CARLOS
Toujours. [...]
Je vais en Flandres. Il faut que ton roi, cher Silva,
Te revienne empereur. Le roi de France va
Tout remuer. Je veux le gagner de vitesse.
Je partirai sous peu.
DON RUY GOMEZ
Quâest ce seigneur ?
DON CARLOS
Il part. Câest quelquâun de ma suite.
HERNANI, seul.
Oui, de ta suite, ĂŽ roi ! de ta suite ! â Jâen suis !
Nuit et jour, en effet, pas Ă pas, je te suis.
[...]
Va devant ! je te suis. Ma vengeance qui veille
Avec moi toujours marche et me parle Ă lâoreille.
Va ! je suis lĂ , jâĂ©pie et jâĂ©coute, et sans bruit
Mon pas cherche ton pas et le presse et le suit !
[...]
La nuit tu ne pourras tourner les yeux, ĂŽ roi,
Sans voir mes yeux ardents luire derriĂšre toi !
âšÂ * Victor Hugo, Hernani đ Acte I (axes de lecture) *
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