Couverture pour Les Fables de La Fontaine

La Fontaine, Fables, 1678.
« La cour du lion »
(explication linéaire)




Notre Ă©tude porte sur la fable entiĂšre



Sa Majesté Lionne un jour voulut connaßtre
De quelles nations le ciel l'avait fait maĂźtre.
  Il manda donc par DĂ©putĂ©s
  Ses Vassaux de toute nature,
  Envoyant de tous les cĂŽtĂ©s
  Une circulaire Ă©criture,
  Avec son sceau. L'Ă©crit portait
  Qu'un mois durant le Roi tiendrait
  Cour plĂ©niĂšre, dont l'ouverture
  Devait ĂȘtre un fort grand festin,
  Suivi des tours de Fagotin.
  Par ce trait de magnificence
Le Prince Ă  ses sujets Ă©talait sa puissance.
  En son Louvre il les invita.
Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'Ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif, il loua la colĂšre
Et la griffe du Prince, et l'Antre, et cette odeur :
  Il n'Ă©tait ambre, il n'Ă©tait fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succĂšs, et fut encor punie.
  Ce Monseigneur du Lion-lĂ 
  Fut parent de Caligula.
Le Renard Ă©tant proche : Or cĂ , lui dit le sire,
Que sens-tu ? dis-le moi : parle sans déguiser.
  L'autre aussitĂŽt de s'excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire
  Sans odorat ; bref, il s'en tire.
  Ceci vous sert d'enseignement :
Ne soyez Ă  la Cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincĂšre ;
Et tùchez quelquefois de répondre en Normand.



Introduction



Accroche / amorce


‱ La Fontaine, aprĂšs la disgrĂące de son protecteur Nicolas Fouquet, Ă©volue en marge de la cour.
‱ Il dĂ©dicace son premier recueil de Fables au Dauphin, et le deuxiĂšme Ă  Mme de Montespan, il est apprĂ©ciĂ© pour son talent, mais il ne sera jamais courtisan de Louis XIV.
‱ La Fontaine a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© au roi lors de sa rĂ©ception Ă  l’AcadĂ©mie en 1684, mais sinon, il ne l’aurait jamais rencontrĂ©.

Situation de l’extrait


‱ Ses fables illustrent bien la mĂ©fiance de La Fontaine pour la cour, son Ă©tiquette, ses rĂšgles arbitraires.
‱ Dans notre fable, le sort malheureux des courtisans animaux nous est racontĂ© de maniĂšre Ă  la fois plaisante et instructive.
‱ DerriĂšre le conseil donnĂ© aux courtisans se cache une rĂ©flexion politique subversive.

Problématique


Comment le fabuliste, par le rĂ©cit captivant des mĂ©saventures d’animaux courtisans, fait en rĂ©alitĂ© une satire qui dĂ©nonce les consĂ©quences d’un exercice tyrannique du pouvoir ?
 ?

Mouvements de l’explication linĂ©aire


La fable est structurĂ©e en trois Ă©tapes qui sont marquĂ©es par trois liens logiques : « donc » signale la dĂ©cision du roi ; « d’abord » introduit la maladresse du premier courtisan ; « Or » (lien d’opposition) introduit le dĂ©fi que le roi fait au Renard, dont la ruse amĂšnera la conclusion et la morale de la fable.
1) Le caprice d’un roi autoritaire et orgueilleux
2) L'effroyable punition de courtisans maladroits
3) Une ruse et une morale qui interrogent le pouvoir

Axes de lecture du commentaire composé


I. Un récit mis en scÚne de maniÚre captivante
  1. Une intrigue qui captive et maintient l’attention
  2. Une mise en scĂšne dramatique
  3. L’échec de toutes les stratĂ©gies
II. Le détour par un monde animal calqué sur celui des humains
  1. Des animaux qui ont des traits de caractĂšre humain
  2. Un univers et des rĂ©fĂ©rences culturelles humaines
  3. Un systĂšme de pouvoir fĂ©odal qui porte un propos politique
III. Une double rĂ©flexion morale et politique sur les dangers d’un pouvoir arbitraire
  1. Une satire portĂ©e par le regard du moraliste
  2. L’excĂšs de flatterie est provoquĂ© par l’excĂšs d’autoritĂ©
  3. Un pouvoir qui empĂȘche l’expression sincĂšre des sujets



Premier mouvement :
Le caprice d’un roi autoritaire et orgueilleux



Sa Majesté Lionne un jour voulut connaßtre
De quelles nations le ciel l'avait fait maĂźtre.
  Il manda donc par DĂ©putĂ©s
  Ses Vassaux de toute nature,
  Envoyant de tous les cĂŽtĂ©s
  Une circulaire Ă©criture,
  Avec son sceau. L'Ă©crit portait
  Qu'un mois durant le Roi tiendrait
  Cour plĂ©niĂšre, dont l'ouverture
  Devait ĂȘtre un fort grand festin,
  Suivi des tours de Fagotin.
  Par ce trait de magnificence
Le Prince Ă  ses sujets Ă©talait sa puissance.


Comment la fable nous présente-t-elle le roi des animaux ?


‱ Majuscule Ă  « Sa MajestĂ© » le personnage est introduit d’abord par son titre, le plus Ă©levĂ© de la hiĂ©rarchie.
‱ L’adjectif « lionne » qualifie la majestĂ©, il s’agit bien d’un lion, roi des animaux, avec ses caractĂ©ristiques habituelles.
‱ Possessif pluriel « ses vassaux » : le Roi peut s’enorgueillir d’avoir de nombreux Vassaux.
‱ La rime « connaĂźtre / maĂźtre » laisse entendre encore un certain orgueil : il veut se rendre compte de l’étendue de son territoire.
⇹ Dùs le premier abord, le fabuliste montre une intention de moraliste.

Comment s’exprime la volontĂ© morale dans le dĂ©but de cette fable ?


‱ Le plus que parfait « dont le ciel l’avait fait maĂźtre » : La Fontaine fait bien rĂ©fĂ©rence Ă  une monarchie de droit divin (qu’il ne remet pas en question, il n’est pas rĂ©volutionnaire). Cependant, le ciel donne au Roi une responsabilitĂ© envers ses sujets. L’intention du moraliste est prĂ©sente dans cette simple rĂ©fĂ©rence.
‱ Le monarque d’abord « Sa majestĂ© » puis « le Roi » est maintenant « Le Prince » c’est le titre de l’essai de Machiavel.
⇹ La Fontaine veut dĂ©jĂ  nous laisser entendre que ce roi est prĂȘt Ă  tout pour asseoir son autoritĂ©.

Comment le caprice de ce roi met-il en place l’intrigue ?


‱ Le passĂ© simple « voulu connaĂźtre » met en place l’intrigue, tout part d’une volontĂ© du roi des animaux.
‱ L’action suit immĂ©diatement « il manda donc » ce Roi suit sans dĂ©lai son caprice.
‱ Le participe prĂ©sent « envoyant » montre l’action en train de se rĂ©aliser, un Roi qui donne des ordres impĂ©rieux Ă  tous, partout Ă  la fois.
⇹ Ce passage nous montre l’action d’un roi autocratique, qui donne un ordre que personne ne peut refuser.

Comment comprend-on que cet ordre écrit est impérieux ?


‱ Le complĂ©ment circonstanciel « avec son sceau » prĂ©cise que le roi tient Ă  donner l’ordre lui-mĂȘme.
‱ La Fontaine insiste sur la procĂ©dure « une circulaire Ă©criture » l’image du cercle est comme un piĂšge, un collet : personne ne peut y Ă©chapper.
‱ L’enjambement « L’écrit portrait // que 
 » introduit de maniĂšre dynamique le contenu des mandats envoyĂ©s.
⇹ L’art subtil du moraliste nous fait dĂ©jĂ  comprendre que tout ce qui arrivera est en fait une consĂ©quence de l’orgueil de ce roi.

Comment est dĂ©jĂ  exprimĂ© l’excĂšs d’orgueil de ce roi ?


‱ La diĂ©rĂšse Ă  « lionne » allonge encore le mot de façon un peu artificielle, le gonfle inutilement.
‱ L’adverbe intensif « un fort grand festin » exagĂšre l’opulence du festin : le seul qui soit donnĂ© pendant un mois entier.
‱ La rime « festin 
 fagotin » est moqueuse : il s’agit des tours d’un singe savant lors d’une foire. Cela n’a rien de prestigieux (surtout dans un monde d’animaux).
⇹ Ces indices rĂ©vĂšlent dĂ©jĂ  l’orgueil du roi. Le fabuliste intervient lui-mĂȘme discrĂštement pour juger ce personnage.

Comment le fabuliste discrĂ©dite Ă  l’avance l’action de ce roi ?


‱ Le dĂ©monstratif suivi du terme excessivement Ă©logieux « ce trait de magnificence » nous laisse deviner le regard ironique du fabuliste.
‱ Le verbe « Ă©taler » est connotĂ© : il n’est pas si puissant que ça. Mais La Fontaine est prudent, il flatte Louis XIV qui est en train de faire construire Versailles et ne peut pas se reconnaĂźtre dans ce lion.
‱ Le CC de but « par ce trait » qui introduit une multiplication des possessifs nous donne un aperçu du point de vue du roi : il veut absolument montrer « sa puissance » Ă  « ses sujets ».
⇹ Nous avons donc un premier mouvement qui nous dĂ©peint un roi plein de dĂ©fauts, finalement trĂšs humains.

Comment ce monde animal est-il déjà rapproché de celui des humains ?


‱ Le pluriel de « nations » insiste sur le double sens, animal et humain, (la nation des renards, des ours, etc.)
‱ De mĂȘme, « toute nature » joue sur ce double tableau humain et animal (on verra que chaque animal est un caractĂšre).
‱ Champ lexical de la monarchie et de la politique : le Roi a des « DĂ©putĂ©s » et des « Vassaux » ce sont bien les mĂ©canismes du pouvoir humain qui sont visĂ©s Ă  travers cette fable.
‱ L’expression « cour plĂ©niĂšre » est solennelle : tous les seigneurs importants du Royaume se doivent d’ĂȘtre lĂ .
⇹ Ce premier mouvement ne se contente pas de mettre en place le dĂ©cor, il annonce dĂ©jĂ  que les intentions du fabuliste vont au-delĂ  d’une simple morale.


DeuxiĂšme mouvement :
L'effroyable punition de courtisans maladroits



En son Louvre il les invita.
Quel Louvre ! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'Ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le Monarque irrité
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le Singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif, il loua la colĂšre
Et la griffe du Prince, et l'Antre, et cette odeur :
  Il n'Ă©tait ambre, il n'Ă©tait fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succĂšs, et fut encor punie.
  Ce Monseigneur du Lion-lĂ 
  Fut parent de Caligula.


La fable développe la tradition qui met en parallÚle animaux et humains


‱ Antonomase : « son Louvre » le nom propre est utilisĂ© comme un nom commun pour parler d’une cour. La cour des animaux est implicitement comparĂ©e Ă  celle de l’époque.
‱ La majuscule « L’Ours » signale bien que La Fontaine campe des personnages qui ont un caractĂšre stĂ©rĂ©otypĂ©. L’ours est un baron un peu fruste et maladroit, qui ne sait pas dĂ©guiser ses pensĂ©es.
‱ La ponctuation expressive « Quel Louvre ! » souligne la remarque du fabuliste qui est bien prĂ©sent ici pour critiquer la cour de ce lion.
⇹ Le fabuliste organise son rĂ©cit pour captiver son lecteur.

Comment l’art du rĂ©cit de La Fontaine maintient-il l’attention du lecteur ?


‱ L’adverbe intensif « un vrai charnier » nous donne bien Ă  voir l’antre d’un lion qui dĂ©vore ses proies. Cela en dit long sur la cruautĂ© dont le personnage fera preuve ensuite.
‱ Le lien chronologique « d’abord » ouvre ce mouvement avec cette odeur qui cause la maladresse de l’ours. Le lecteur est intriguĂ©.
‱ Le fabuliste intervient directement au subjonctif « il se fĂ»t bien passĂ© » il annonce que cet Ours va mal finir (c’est une prolepse, qui fait allusion Ă  la suite du rĂ©cit).
⇹ Le fabuliste mĂ©nage ses surprises et met en scĂšne soigneusement cette premiĂšre maladresse.

Comment la maladresse de l’ours est-elle thĂ©ĂątralisĂ©e ?


‱ La syllepse par le nombre « sa narine » dĂ©signe en fait les deux narines. Cela imite le geste des pattes de l’ours qui bouche son nez.
‱ Le dĂ©monstratif « cette mine » renvoie au possessif « sa grimace ». Normalement Ă  la cour, il faut porter un masque, et cacher ses vĂ©ritables sentiments. La Fontaine fait allusion au thĂšme baroque du theatrum mundi (le monde est un thĂ©Ăątre oĂč chacun joue un rĂŽle).
‱ Le verbe « dĂ©plaire » n’a pas de complĂ©ment car ce qui dĂ©plaĂźt au roi dĂ©plaĂźt aussi Ă  tous les courtisans qui sont spectateurs.
⇹ Comme les autres personnages prĂ©sents devant la scĂšne, nous allons assister Ă  une exĂ©cution sommaire choquante.

En quoi cette exécution arbitraire peut-elle choquer le lecteur ?


‱ La pĂ©riphrase « l’envoya chez Pluton » est un euphĂ©misme pour dire qu’il l’a condamnĂ© Ă  mort et exĂ©cutĂ© sans procĂšs. C’est un abus de pouvoir d’une grande violence.
‱ La dĂ©sinvolture de l’expression « faire le dĂ©goĂ»tĂ© » nous laisse entendre la voix moqueuse du lion lui-mĂȘme, au discours direct libre.
‱ Le dĂ©monstratif « cette sĂ©vĂ©ritĂ© » en feignant d’attĂ©nuer la brutalitĂ© de la dĂ©cision, la renforce au contraire (litote).
⇹ Le point de vue du moraliste, prĂ©sent Ă  travers sa maniĂšre de raconter, se retrouve aussi pour conter la maladresse du singe.

Comment le moraliste désapprouve-t-il la flagornerie du singe ?


‱ AprĂšs un acte aussi arbitraire, la rĂ©action du singe est clairement excessive : le moraliste insiste avec l’adverbe intensif « approuva fort ».
‱ Une pĂ©riphrase dĂ©signe le singe « flatteur excessif » clairement, le moraliste n’approuve pas la dĂ©cision du singe, au nom des valeurs de modĂ©ration du classicisme.
‱ Le mĂȘme mot revient sous diffĂ©rentes formes « flatteur 
 flatterie » c’est un polyptote. Le moraliste souligne la connotation nĂ©gative.
‱ Les liens d’addition sont multipliĂ©s (polysyndĂšte), les louanges sont excessives : « la colĂšre
 et la griffe et l’antre... et l’odeur »
‱ Par mĂ©tonymie (glissement de sens) « la griffe » peut dĂ©signer en rĂ©alitĂ© la violence du personnage : donc rien qu’on ne puisse louer.
⇹ La dĂ©marche du singe amorce une vĂ©ritable satire des flatteurs.

Comment se développe cette satire de la flatterie ?


‱ Le singe s’essaye Ă  un compliment trop sophistiquĂ© (amphigouri), avec une comparaison impossible (d’oĂč la nĂ©gation et le subjonctif) : « il n’était parfum qui ne fut ail ».
‱ En fait, cette comparaison est une figure d’exagĂ©ration (hyperbole). Il dit que l’antre du lion sent tellement bon que les parfums les plus subtils semblent avoir une odeur d’ail en comparaison.
‱ Le parallĂ©lisme « Il n’était ambre, il n’était fleur » semble abrĂ©ger le discours trop long du Singe qui s’écoute parler.
⇹ Le moraliste s’amuse de la flatterie excessive du singe, il le rend ridicule mais laisse bien entendre qu’il ne mĂ©rite pas la mort !

Comment nous laisse-t-il comprendre que c’est une faute mineure ?


‱ L’expression « une sotte flatterie » minimise cette faute qui n’est au fond qu’un manque d’intelligence.
‱ Le rĂ©sultat n’est qu’un « mauvais succĂšs ».
‱ Pourtant la punition est la mĂȘme « fut encore punie ».
‱ Le seul adverbe « encor » laisse entendre que le Singe a subi exactement le mĂȘme sort que l’Ours.
⇹ La satire d’un pouvoir injuste est donc encore plus forte que celle de la flatterie des sujets, qui au fond, est causĂ©e par la peur.

Comment La Fontaine transmet-il cette satire du pouvoir ?


‱ La Fontaine prend une prĂ©caution en dĂ©signant trĂšs prĂ©cisĂ©ment « Ce Monseigneur Lion-lĂ  » il laisse entendre que bien sĂ»r, il ne vise pas Louis XIV dont les jugements ne sont pas remis en question.
‱ Ce roi des animaux est donc plutĂŽt comparĂ© Ă  Caligula, un empereur romain qui est cĂ©lĂšbre pour ses exĂ©cutions abusives.
⇹ La fable joue sur les deux tableaux : une critique du comportement des courtisans, qui dĂ©nonce en fait les excĂšs d’un souverain.


TroisiĂšme mouvement :
Une ruse et une morale qui interrogent le pouvoir



Le Renard Ă©tant proche : Or cĂ , lui dit le sire,
Que sens-tu ? dis-le moi : parle sans déguiser.
  L'autre aussitĂŽt de s'excuser,
Alléguant un grand rhume : il ne pouvait que dire
  Sans odorat ; bref, il s'en tire.
  Ceci vous sert d'enseignement :
Ne soyez Ă  la Cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincĂšre ;
Et tùchez quelquefois de répondre en Normand.


Une situation pĂ©rilleuse et intrigante qui relance l’attention


‱ Le troisiĂšme mouvement commence par la prĂ©sence du Renard : tout le monde connaĂźt ce personnage. Cela produit un effet d’attente : la fable se terminera certainement par une ruse.
‱ Le participe prĂ©sent « Ă©tant proche » joue sur la crainte : face Ă  un tel monarque, n’importe qui, obligĂ© d’ĂȘtre lĂ , peut se trouver en situation de risquer et de perdre sa vie.
‱ La question du lion commence par un lien d’opposition « Or ça » il laisse au Renard une chance de se montrer meilleur courtisan que les deux autres. Mais cela lui laisse peu d’options.
⇹ On devine que la question est un piĂšge, car chaque rĂ©ponse peut mener Ă  la mort.

Comment comprend-on que cette question constitue un piĂšge ?


‱ La question piĂšge du roi est rapportĂ©e cette-fois au discours direct, (avec un verbe de parole et des guillemets).
‱ C’est une question ouverte « Que sens-tu ? » mais il n’y a pas de bonne rĂ©ponse, car la vĂ©ritĂ©, c’est que l’antre du lion sent le cadavre de ses victimes. Le renard a peu de chance de s’en sortir.
‱ Enfin, il n’est pas possible de ne pas rĂ©pondre. La question du lion comporte deux impĂ©ratifs « dis 
 parle ».
⇹ Le comportement du roi dĂ©montre qu’il n’est pas un bon souverain. Ce passage a une dimension satirique importante.

Comment s’exprime la dimension satirique de cet ordre ?


‱ L’ordre du roi « parle sans dĂ©guiser » est paradoxalement impossible, par sa cruautĂ©, le lion se prive de toute rĂ©ponse sincĂšre, mĂȘme s’il insiste pour en obtenir une. Le moraliste montre donc ici les limites d’un pouvoir excessivement autoritaire.
‱ Le pronom « le » est en fait le prĂ©texte que le lion cherche pour exĂ©cuter un troisiĂšme de ses vassaux.
⇹ Le fabuliste joue avec le plaisir des attentes du lecteur, qui attend du renard une ruse, un trait d’esprit.

Comment est mise en valeur la vivacitĂ© d’esprit du renard ?


‱ L’adverbe « aussitĂŽt » prouve que le Renard a un excellent sens de la rĂ©partie. Il est capable d’improviser une ruse rapidement.
‱ Le fabuliste rapporte d’abord ses excuses, puis ses justifications, et enfin, indirectement, ses paroles : « je ne peux rien dire, sans odorat ».
‱ La nĂ©gation « je ne peux rien dire » est intĂ©ressante, puisque le Renard parle. Cet aspect paradoxal de la ruse la rend plaisante.
‱ La prĂ©position privative « sans odorat » crĂ©e un effet humoristique, comme si le manque d’odorat pouvait le rendre muet.
‱ L’enjambement « il ne pouvait que dire // sans odorat » met encore en valeur cette chute qui est un trait d’esprit.
⇹ Tout l’art du fabuliste est de maĂźtriser un rĂ©cit court avec des effets parfaitement calculĂ©s pour parvenir Ă  ses fins

Comment comprend-on que le fabuliste a atteint son but ?


‱ Le fabuliste manie un art du rĂ©cit court, une fois qu’il a atteint son objectif, il abrĂšge en quatre syllabes « bref, il s’en tire. » Cela produit un effet d’accĂ©lĂ©ration qui participe Ă  la dimension plaisante de la fable.
‱ Contrairement aux autres personnages, dont le sort est racontĂ© au passĂ© simple, le Renard « s’en tire » au prĂ©sent. On comprend : il est toujours en vie aujourd’hui, lui.
‱ La morale est indissociable du rĂ©cit, elle est introduite par le pronom « Ceci » qui reprend tout ce qui prĂ©cĂšde.
⇹ La fable est un apologue, c’est-Ă -dire, un petit rĂ©cit qui illustre une morale.

Comment la morale répond-elle parfaitement au récit qui précÚde ?


‱ La morale se prĂ©sente comme un double conseil : ce qu’il ne faut pas faire « ne soyez pas » et ce qu’il faut faire « tĂąchez de
 »
‱ les deux maladresses sont deux Ă©cueils coordonnĂ©s : « Ni fade adulateur, ni parleur trop sincĂšre ».
‱ La stratĂ©gie du renard est une troisiĂšme option : « rĂ©pondre en Normand » joue avec un stĂ©rĂ©otype rĂ©gional, selon lequel les Normands ne diraient jamais explicitement oui ou non.
‱ La subordonnĂ©e de condition « si vous voulez y plaire » cache en fait une rĂ©alitĂ© plus violente « si vous voulez survivre ».
⇹ Souvent chez La Fontaine, le rĂ©cit dĂ©passe en rĂ©alitĂ© la morale pour lui donner une nouvelle profondeur.

Comment se traduit la profondeur insoupçonnée de cette morale ?


‱ La modalisation interroge : pourquoi « quelquefois » ? La cour n’est-elle pas un piĂšge perpĂ©tuel ? La Fontaine introduit une certaine nuance, mais en faisant cela il laisse apparaĂźtre la responsabilitĂ© du roi.
‱ On peut aussi s’interroger sur l’adverbe intensif « trop sincĂšre » : il est Ă©trange qu’un moraliste critique ainsi cette valeur de sincĂ©ritĂ©.
‱ Cela nous alerte sur le sens plus profond et politique de cette fable. Le manque de sincĂ©ritĂ© est provoquĂ© par l’attitude du souverain.
‱ En effet, d’un point de vue de l’État, cette morale n’apporte rien d’utile : les flatteries deviennent des non rĂ©ponses.
⇹ La morale de cette fable n’évacue pas toute la dimension satirique du rĂ©cit qui prĂ©cĂšde, au contraire, elle nous laisse deviner que sous le propos de moraliste qui dĂ©plore les excĂšs des courtisans, se cache une rĂ©flexion politique plus profonde.


Conclusion



Bilan


Dans cette fable, La Fontaine met en scĂšne de maniĂšre plaisante les mĂ©saventures de courtisans qui mettent en place des stratĂ©gies qui intriguent le lecteur. [II] Le dĂ©tour par des animaux permet de caricaturer les dĂ©fauts du monde des humains, les mĂ©canismes Ă  l’Ɠuvre dans les enjeux de pouvoir [III] Ainsi, les interventions discrĂštes du moraliste, feignant de donner des conseils aux courtisans, dĂ©nonce en rĂ©alitĂ© toutes les dĂ©rives d’un pouvoir monarque autoritaire, qui se prive de conseils sincĂšres, par l’exercice d’un pouvoir tyrannique.

Ouverture


Plus tard, d’autres auteurs pousseront jusqu’à l’absurde la reprĂ©sentation des colĂšres et de l'orgueil des hommes de pouvoir. Par exemple, Alfred jarry reprĂ©sente les excĂšs d’Ubu Roi, d’une maniĂšre tellement vive qu’on parle encore aujourd'hui de « situation ubuesque ».
MERE UBU : De grĂące, modĂšre-toi, PĂšre Ubu.
PERE UBU : J'ai l'honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens.

Alfred Jarry, Ubu roi, 1896.

Autre ouverture possible


Au XXe siĂšcle, pour illustrer sa philosophie de l’absurde, Camus mettra en scĂšne le personnage de Caligula dans une piĂšce de thĂ©Ăątre :
CALIGULA. — A la bonne heure! (Il boit.) Écoute, maintenant. (RĂȘveur.) Il Ă©tait une fois un pauvre empereur que personne n'aimait. Lui, qui aimait Lepidus, fit tuer son plus jeune fils pour s'enlever cet amour du cƓur. (Changeant de ton.) Naturellement, ce n'est pas vrai. DrĂŽle, n'est-ce pas ? Tu ne ris pas. Personne ne rit ?



Grandville, La cour du lion,1838 (ia enhanced).

⇹ La Fontaine, 𝘍𝘱𝘣𝘭𝘩𝘮, 1678 đŸ’Œ La cour du lion (extrait PDF)