Couverture du livre Juste la fin du monde de Lagarce

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Couverture pour Juste la fin du monde

Juste la fin du monde (Épilogue)
Jean-Luc Lagarce
— Commentaire littéraire —




Extrait étudié



Après, ce que je fais,
je pars
Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard,
une année tout au plus.
Une chose dont je me souviens et que je raconte encore
(après j'en aurai fini) :
c'est l'été, c'est pendant ces années où je suis absent,
c'est dans le Sud de la France.
Parce que je me suis perdu, la nuit, dans la montagne,
je décide de marcher le long de la voie ferrée.
Elle m'évitera les méandres de la route, le chemin sera plus
court et je sais qu'elle passe près de la maison où je vis.
La nuit, aucun train n'y circule, je n'y risque rien
et c'est ainsi que je me retrouverai.
À un moment, je suis à l'entrée d'un viaduc immense,
il domine la vallée que je devine sous la lune,
et je marche seul dans la nuit,
à égale distance du ciel et de la terre.
Ce que je pense
(et c'est cela que je voulais dire)
c'est que je devrais pousser un grand et beau cri,
un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée,
que c'est ce bonheur-là que je devrais m'offrir,
hurler une bonne fois,
mais je ne le fais pas ;
je ne l'ai pas fait.
Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le
gravier
Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai.




Introduction



Accroche


• Jean-Luc Lagarce cite Roland Barthes dans « Comment j’écris » :
L'écriture est destruction de toute voix, [...] l'auteur entre dans sa propre mort, l'écriture commence.
Roland Barthes, La Mort de l'Auteur, 1968.

• Pour Roland Barthes, l'auteur confie ses mots aux lecteurs lecteurs.
• Au théâtre, le dramaturge les donne d’abord au metteur en scène.

Situation


• Louis n’a pas pu annoncer sa mort, mais il nous confie un souvenir.
• Son envie de crier n’a pas été réalisée.
• La pièce de théâtre est comparable à ce cri confié au spectateur.
• Tragédie du silence, reportée sur le public.

Problématique


Comment cette anecdote appartenant au passé de Louis, contient en fait symboliquement le sens de toute la tragédie du silence qui se joue dans la pièce ?

Mouvements pour une explication linéaire


1) Une fin sans fin
2) Le récit d’une absence
3) L’anecdote symbolique

Axes de lecture pour un commentaire composé


• L’absence aux autres.
• Des effets de boucle.
• Un revenant qui parle ?
• Une situation symbolique.
• Théâtre dans le théâtre.
• Une tragédie du silence.



Premier mouvement :
Une fin sans fin



Après, ce que je fais,
je pars
Je ne reviens plus jamais. Je meurs quelques mois plus tard,
une année tout au plus.
Une chose dont je me souviens et que je raconte encore
(après j'en aurai fini) :


Paradoxe temporel ?


• On a dépassé la fin « Après, ce que je fais »
• En même temps, on attend la fin « Après, j'en aurai fini ».
• Les deux adverbes « Après » encadrent le passage

Effet de boucle


• On retrouve le refrain du début de la pièce : « l'année d'après ».
• « Ce que je fais, je pars » avec le présentatif qui insiste sur l’action de partir. C’est l’action répétée de ce personnage.
• Un acteur qui recommence sans cesse la même pièce ?
• « une chose » thématisée en début de phrase.
⇨ Le récit qui va suivre n’est-il pas celui auquel on vient d’assister ?

Un revenant ?


• Il est devant nous et pourtant : « je ne reviens plus jamais ».
• Gestes vers le passé « se souvenir … raconter » + l’adverbe « encore ».
• Présent de narration (actualiser des actions passées).
• Présent d’énonciation (il le fait en ce moment même).


Deuxième mouvement :
Le récit d'une absence



c'est l'été, c'est pendant ces années où je suis absent,
c'est dans le Sud de la France
Parce que je me suis perdu, la nuit, dans la montagne,
je décide de marcher le long de la voie ferrée.
Elle m'évitera les méandres de la route, le chemin sera plus
court et je sais qu'elle passe près de la maison où je vis.
La nuit, aucun train n'y circule, je n'y risque rien
et c'est ainsi que je me retrouverai.


Une stratégie pour se retrouver


• Absurdement, les indications de temps et d'espace renvoient à son absence : « c'est pendant ces années où je suis absent ».
• Présentatifs qui encadrent « c’est pendant … c’est ainsi ».
• Louis ne cherche pas à se trouver, mais à se « re-trouver ».
⇨ Retrouver qui il était avant son départ, avant la mort de son père ?

Un passage symbolique


• D’abord éviter les autres : « éviter les méandres de la route ».
• La voie ferrée = le choix de voyager.
• Mais paradoxalement parce que « aucun train n'y circule ».
• Thème de l’absurde : il n’y aura personne donc pas de péripétie.

Louis justifie ses choix


• Négation « n’y risque rien » lexicalisée « Éviter ».
• Lien de cause : « parce que je me suis perdu ».
• Lien de conséquence : « c'est ainsi que je me retrouverai ».

Quête initiatique


• Chercher sa propre identité (cf. personnage d’Oedipe).
• Première personne à la fois sujet et COD « je me retrouverai ».



Troisième mouvement :
L'anecdote symbolique



À un moment, je suis à l'entrée d'un viaduc immense,
il domine la vallée que je devine sous la lune,
et je marche seul dans la nuit,
à égale distance du ciel et de la terre.
Ce que je pense
(et c'est cela que je voulais dire)
c'est que je devrais pousser un grand et beau cri,
un long et joyeux cri qui résonnerait dans toute la vallée,
que c'est ce bonheur-là que je devrais m'offrir,
hurler une bonne fois,


Petite anecdote singulière


• Une expérience unique « à un moment … une bonne fois ».
• Le viaduc impose une direction unique.
⇨ Image du destin, de la fatalité
⇨ Dimension symbolique de l’anecdote.

Un personnage entre vie et mort


• Non pas « entre terre et ciel » mais ciel en premier…
⇨ Mouvement descendant imposé.
• Le viaduc est une métaphore in absentia.
⇨ La vie de Louis, le destin d’un héros tragique, un rôle au théâtre ?

Une métaphore théâtrale


• La parole prend le pas sur l’action : « penser, dire, pousser un cri. »
• Importance de la parenthèse « Et c'est cela que je voulais dire ».
⇨ Depuis le début de la pièce, il veut annoncer sa mort...
• Le conditionnel « je devrais » empêche la réalisation de l’action.
• Prétérition : affirmer qu'on ne dit pas ce qu'on dit quand même.

Le cri est une pièce de théâtre


• Adjectifs mélioratifs « grand … beau … joyeux ».
• Ce n’est pas un cri de souffrance mais un cri esthétique.
• Un cri qui soulage « une bonne fois » = catharsis.
• Cf. la purgation des passions chez Aristote.

L’écho file cette métaphore


• Le verbe « résonner » évoque l’écho.
• Mythologie la nymphe écho, maudite par Junon, ne peut plus parler.
• La vallée = la salle, sous le clair de lune des projecteurs.
• Les spectateurs attendent d’applaudir ce cri qui ne vient pas.




Quatrième mouvement :
Un échec qui a du sens



mais je ne le fais pas ;
je ne l'ai pas fait.
Je me remets en route avec seul le bruit de mes pas sur le
gravier
Ce sont des oublis comme celui-là que je regretterai.


Un échec pour qui ?


• Moment de basculement avec le lien d’opposition « mais »
• Pour le personnage / pour le spectateur / pour le dramaturge.
• Double énonciation : le dramaturge s’adresse au public par dessus la tête du personnage.

La pièce est une confidence au public


• Le verbe « faire » est répété au présent et au passé composé.
• Le verbe « faire » remplace le verbe dire.
• Parole performative : dire, c’est faire. C’est souvent le cas au théatre.
⇨ l’aveu qu’il n’a pas réalisé a tout de même été entendu (par nous).

La parole est secondaire


• La confidence passe par les gestes et les bruits : « bruits de pas ».
• Louis nous parle pour nous dire qu’il ne parle pas « le seul bruit ».

Symbolique du gravier


• Le mot « gravier » seul sur une ligne = solitude.
• Symbole du gravier : grain de sable dans la mécanique tragique ?
• Allitération en R « route … bruit … regret »
• Paronomase (sonorités proches) : « gravité » de la situation ?
• Anglais « grave » = la tombe.
⇨ Ce qui est plus grave que la mort, c’est l’oubli.

Un véritable oubli ?


• Mot « oubli » dernier mystère de la pièce : l’oubli est involontaire.
• N’a-t-il pas justement choisi de se taire et d’éviter les autres ?
• Personnage tragique toujours un peu coupable et un peu innocent.
⇨ Au spectateur de juger.

Retour au début de la pièce


• Les pronoms « je ne le fais pas … je ne l’ai pas fait » le seul changement est le passage au passé composé.
• Renvoi anaphorique à toute la pièce terminée « des oublis comme celui-là ». Le point commun de ces oublis, c’est le silence.
• Le dramaturge a poussé un long et beau cri (autobiographique ?)



Conclusion



• Louis semble revenir d’entre les morts.
• Comprendre enfin ses choix : ses départs, son silence.
• Mystère qui persiste : un oubli n’est pas vraiment un choix.
• Anecdote symbolique : la tragédie, la fatalité du silence.
• Message sur le théâtre lui-même, qui redonne du sens.
• Le cri désigne le théâtre chez Antonin Artaud :
Maintenant je peux remplir mes poumons dans un bruit de cataracte, dont l’irruption détruirait mes poumons, si le cri que j’ai voulu pousser n’était un rêve.
Antonin Artaud, Le Théâtre Séraphin, 1936.

[...]



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