Victor Hugo, Les Contemplations,
(1,21) « Elle était déchaussée »
Explication linéaire
Notre Ă©tude porte sur le poĂšme entier
Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;
Moi qui passais par là , je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu tâen venir dans les champs ?
Elle me regarda de ce regard suprĂȘme
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis : Veux-tu, câest le mois oĂč lâon aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?
Elle essuya ses pieds Ă lâherbe de la rive ;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folĂątre alors devint pensive.
Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !
Comme lâeau caressait doucement le rivage !
Je vis venir Ă moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.
Introduction
Ă la fin de la « vieille chanson du jeune temps » le poĂšte n'avait pas su voir la beautĂ© de sa compagne de jeu, et depuis, il ne cesse d'y penserâŠ
Je ne vis quâelle Ă©tait belle
Quâen sortant des grands bois sourds.
« Soit ; nây pensons plus ! » dit-elle.
Depuis, jây pense toujours.
Victor Hugo, Les Contemplations (I,19), 1956.
Mais d'un poĂšme Ă l'autre, Les Contemplations semblent bien suivre une progression, peut-ĂȘtre, l'Ă©volution d'une Ăąme ? On est toujours dans la premiĂšre partie « Autrefois » et le premier livre « Aurore ». Mais notre poĂšte est devenu plus audacieux, et cette fois-ci, il n'hĂ©site pas Ă inviter la jeune fille Ă le suivre.
Est-ce vraiment un souvenir autobiographique ? Tout est imprĂ©cis dans ce poĂšme : les indications de date et de lieu sont abrĂ©gĂ©es, et on ne saura rien de cette jeune fille : son visage, ses vĂȘtements ne sont pas dĂ©crits. Elle pourrait tout aussi bien ĂȘtre noble, paysanne, fĂ©e ou nymphe...
Avec sa dimension lĂ©gĂšrement Ă©rotique, ce poĂšme a tout de suite marquĂ© les esprits ! Ulric Guttinguer, un poĂšte ami de la famille Hugo (et qu'AdĂšle appelait d'ailleurs l'Oncle de Normandie) a cependant prĂ©fĂ©rĂ© l'interprĂ©ter comme « la rencontre et l'union du poĂšte avec la dĂ©mocratie »âŠ
C'est aussi un poĂšme trĂšs musical, presque chantant, mais on s'Ă©loigne des heptasyllabes sautillantes de la « vieille chanson du jeune temps » : ici les alexandrins semblent annoncer que cette simplicitĂ© n'est probablement qu'apparenteâŠ
Problématique
Comment Victor Hugo met-il en scĂšne ce souvenir d'une rencontre amoureuse, Ă la fois sensuel et insaisissable, personnel et universel ?
Axes utiles pour un commentaire composé
Dans ce poĂšme, le souvenir personnel se fond dans un moment d'Ă©ternitĂ© : la rĂ©ponse de la jeune fille â sauvage et mystĂ©rieuse comme la nature elle-mĂȘme â passe Ă travers une sensualitĂ© et une musicalitĂ© qui dĂ©bordent les mots eux-mĂȘmes.
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